L’Académie de pharmacie dénonce la dangerosité de certains compléments alimentaires

08/02/2019 Par Marielle Ammouche
Nutrition

L’Académie de pharmacie a décidé de faire le ménage parmi les compléments alimentaires. Ces substances sont, selon la directive européenne datée du 10 juin 2002,"des denrées alimentaires, dont le but est de compléter le régime alimentaire normal", "constituent une source concentrée de nutriments ou d’autres substances", "ont un effet nutritionnel ou physiologique", et "sont commercialisés sous forme de doses, […] destinées à être prises en unités mesurées de faible quantité". Les compléments autorisés en France sont inscrits sur une liste publiée en 2014 dans le cadre d’un arrêté émanant du ministère de l’économie. Elle comprend 540 espèces végétales (autres que les champignons) utilisables pour les compléments alimentaires. 

  L’autorisation  des produits dépend de la répression des fraudes (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, DGCCRF), bien loin du processus d’étude et d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et produits de santé. Or l’Académie considère que certains de ces compléments alimentaires figurant sur cette liste ne correspondent pas à cette définition, car, d’une part, ils n’ont jamais été utilisés en tant qu’aliment, et d’autre part, ils présentent "une activité pharmacologique reconnue". Certains produits pourraient ainsi "comporter des risque pour la santé" estiment les académiciens dans un rapport sur ce sujet qui vient d’être rendu public. Les auteurs attirent en particulier l’attention sur les compléments alimentaires contenant des plantes à hétérosides hydroxyanthracéténiques (CAHH). Il s’agit de plantes diverses : aloès (suc), bourdaine (écorce), cascara (écorce), rhubarbes (racines) et séné (fruit, foliole), qui sont des plantes médicinales laxatives stimulantes. S’y ajoutent le cassier (canéfier ; « pulpe » du fruit) et le nerprun, qui contiennent ces composés en moindre quantité, mais dont des préparations spécifiques peuvent générer des apports importants. Pour l’Académie, les CAHH semblent "particulièrement à risque, en raison de leurs effets secondaires, des conditions usuelles de leur emploi, mais également de l’existence d’une allégation-santé retenue par l’Efsa, mais non encore entérinée en droit européen". Ainsi, cette phytothérapie est reconnue comme médicament par les autorités de santé nationales et internationales du fait de ses propriétés laxatives stimulantes, une activité pharmacologique qui "explique que ces plantes n’aient jamais été utilisées dans l’alimentation", précise le rapport.  

Un risque de "maladie des laxatifs"

  Cette action est puissante entrainant une irritation de la muqueuse intestinale et une perte d’électrolytes. Leur rapport bénéfice-risque a été jugé défavorable chez l’enfant, et ces produits ont des contre-indications (colopathies, déshydratation, …), des interactions médicamenteuses (liées au risque d’hypokaliémie), et des effets secondaires marqués. En particulier, en plus des risques de troubles métabolique, ces plantes entrainent l’instauration d’une tolérance et d’une dépendance, avec besoin régulier de laxatifs, qui nécessite d’augmenter la posologie et constipation sévère en cas de sevrage. En outre, "on notera de plus que le caractère carcinogène de certains hydroxyanthracénosides fait encore l’objet d’interrogations" précisent les académiciens. Il existe enfin un risque de mésusage entrainant une "maladie des laxatifs". Pour les académiciens "il apparait que les compléments alimentaires contenant ces plantes inscrites dans la liste de l’arrêté de 2014 répondent forcément au statut de médicament par fonction que ce soit pour leur usage ou pour les risques qu’ils sont susceptibles de provoquer". Or actuellement, la notion de "bénéfice-risque" n’est pas prise en compte dans le développement des compléments alimentaires. "Un certain nombre de plantes de cette liste sont à leur place. Mais 25% devraient relever du monopole pharmaceutique et 20% sont des plantes médicinales issues d'autres cultures, sur lesquelles on manque de recul", a commenté Pierre Champy, spécialiste de pharmacognosie (l'étude des médicaments d'origine animale et végétale), lors de la présentation du rapport. Pire, "certaines plantes sont interdites au titre des médicaments mais autorisées comme compléments alimentaires", a-t-il ajouté, en citant le cimicifuga. Des extraits de cet arbre d'Amérique du Nord sont utilisés en gélules pour, prétendument, combattre les effets de la ménopause.  

Distinguer "suppléments" et "compléments alimentaires"

  Les auteurs du rapport demandent donc une élimination des plantes contenant des dérivés hydroxyanthracéniques (aloe-émodine) de la liste jointe à l’arrêté du 24 juin 2014, et plus largement une révision de cette liste "en éliminant les plantes n’ayant aucun effet nutritionnel ou alimentaire et/ou qui présentent un danger pour les utilisateurs". Ils réclament par ailleurs un renforcement des contrôles avec plus des moyens donnés à la DGCCRF pour le contrôle et l’enregistrement des compléments alimentaires, le renforcement du dispositif de nutrivigilance, et la révision de la réglementation sur les allégations. Ils se prononcent aussi pour une révision de la directive de 2002 et l’instauration d’une  distinction entre les compléments alimentaires (produits bien définis et caractérisés, destinés à être utilisés en cas de carence alimentaire ou de déficience) et ceux non destinés à compléter une alimentation normale et qui pourraient être définis comme des "suppléments alimentaires". Ils recommandent enfin une meilleure formation dans ce domaine, avec la mise en place, dans les facultés de pharmacie, d’un programme d’enseignement sur les compléments alimentaires associant toutes les disciplines concernées : nutrition, pharmacognosie,…  

Le syndicat des compléments alimentaires, Synadiet, se veut rassurant

  Synadiet, le syndicat national des compléments alimentaires, a immédiatement réagi à la parution du rapport de l’Académie de pharmacie. Il souligne l’encadrement de ces produits. "La production, la mise sur le marché et la surveillance des compléments alimentaires à base de plantes sont très encadrées par la réglementation nationale et européenne. Un ensemble de directives et de règlements assure la sécurité d’emploi des produits ainsi que leur conformité aux normes de qualité requises dans toute l’Europe", rappelle le syndicat dans un communiqué. Il souligne aussi la participation des professionnels de santé. Ainsi, "51% des produits sont achetés auprès d’un pharmacien. De plus, dans 59% des cas, la consommation de compléments alimentaires fait suite au conseil ou à la prescription d’un professionnel de santé". Synadiet considère que les effets indésirables rapportés à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) via la nutrivigilance, qui s’élevaient à 77 en 2017, sont "relativement faibles", "majoritairement liés à des mésusages", et disparaissent généralement à l’arrêt du produit. Synadiet se prononce contre l’interdiction d’un certain nombre de compléments alimentaires, qu’il ne considère pas comme une solution, "si ce n’est pour certains lobbies pharmaceutiques qui voient d’un mauvais œil la croissance du secteur des compléments alimentaires", précise –t-il.

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