Les psychiatres face à la lame de fond Covid

05/02/2021 Par Corinne Tutin
Psychiatrie
La pandémie de Covid a logiquement occupé une place centrale du congrès digital de l’Encéphale, qui s’est déroulé du 20 au 22 janvier. En effet, elle bouleverse les pratiques. Et les psychiatres sont particulièrement impliqués. Mais leurs patients vivent la crise sanitaire de façon très variable en fonction du trouble dont ils souffrent. Psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne de Paris, le Pr Raphaël Gaillard, qui a présidé le comité scientifique du congrès, revient sur cet événement.

  Egora : Quels sont les points clef abordés lors de congrès digital ? Pr Raphaël Gaillard : Le premier élément essentiel était pour nous d’avoir pu démontrer grâce à cet événement que la psychiatrie n’a pas disparu. Il était important d’assurer une FMC de qualité et de permettre des interactions entre psychiatres : après tout ceux-ci sont des professionnels du lien social ! Habituellement, le congrès de l’Encéphale réunit 4000 participants. Nous étions 3000 cette année. Un des thèmes traités portait sur la téléconsultation, qui a évolué à vitesse grand V en psychiatrie. Même les psychanalystes s’y sont mis. L’impression que j’ai est qu’elle permet d’aborder beaucoup de points avec les patients, peut résoudre des problèmes d’accessibilité et certains malades ont même davantage partagé en téléconsultation qu’ils ne le faisaient en présentiel. Cependant, elle ne remplace pas les consultations classiques, car il peut être important de voir les malades, notamment lorsqu’il s’agit de primoconsultants pour lesquelles la téléconsultation est plus difficile. Les patients avec des troubles psychotiques n’étaient pas très à l’aise à la différence de ceux qu’on qualifiait autrefois de « névrotiques », avec un trouble anxieux ou autre, qui ont adopté la téléconsultation. Par ailleurs, les malades âgés n’ont pas l’habitude de la visio et préfèrent la consultation par téléphone. Mais, les plus jeunes n’étaient pas, dans mon expérience, les plus nombreux à téléconsulter. Ce qui finalement n’est pas si surprenant car ils communiquent plutôt par tchat. Un autre point négatif est que la téléconsultation est très fatigante pour les praticiens. Comment vos patients ont-ils vécu la crise sanitaire ? Nous avons vu arriver des primoconsultants dans un état de vulnérabilité, d’angoisse, d’incertitude, supportant très mal le contexte de privation sociale lié à la pandémie. Dans le même temps, certains patients psychotiques, notamment schizophrènes, ont vécu la situation comme une normalisation sociale. La maladie mentale isole. Nos patients souffrant de troubles mentaux ont eu l’impression que ce qu’on demandait aux autres, c’était ce qu’ils vivent habituellement. Ils se sont sentis moins isolés, moins gênés d’être sans travail, de rester chez eux. Mais, comme dans la population générale, nous avons observé une augmentation des addictions, en particulier de la dépendance à l’alcool. Pour les drogues dures (héroïne, cocaïne ou autres) des overdoses ont été relevées lors du déconfinement, lorsque l’accès à ces substances a de nouveau été possible. Par ailleurs, les toxicomanies dites sans substance, aux jeux vidéo par exemple, ont explosé. Nous craignions que nos patients psychotiques, qui ont du mal à respecter les gestes barrière, soient fortement touchés par l’infection Covid-19. En fait, beaucoup d’équipes ont constaté que les unités Covid, ouvertes pour nos patients, se sont peu remplies. Et, une étude, que nous avons entreprise à l’hôpital Sainte Anne sur 250 patients et 250 soignants et qui devrait être prochainement publiée, a montré que la séroprévalence pour la Covid-19 est deux fois plus importante chez les soignants que chez les malades. Il faudra déterminer si cela est dû au fait que nos patients ont, au bout du compte, moins d’interactions sociales que nous ne le pensions, ou si leur moindre sensibilité à l’infection est due au tabagisme, plus courant chez eux et dont le rôle vis-à-vis de l’infection Covid-19 est débattu, ou à la prise d’anti-psychotiques comme la chlorpromazine, qui a démontré des effets inhibiteurs in vitro contre le SARS-CoV-2 (voir page -). Faut-il craindre, comme beaucoup le redoutent, une 3e vague psychiatrique en raison de la pandémie ? Je préfère parler de lame de fond psychiatrique plutôt que de 3e vague, pour davantage rendre compte de cette temporalité plus lente et plus prolongée. Il est probable que nous allons rencontrer beaucoup de syndromes de stress post-traumatique. Certains patients infectés par la Covid-19 se sont vu mourir loin de leurs proches, d’autres présentent une fatigue prolongée, qu’il faudra prendre en compte. Il faudra aussi continuer de soutenir nos confrères, notamment ceux de réanimation. La situation en a galvanisé certains mais a engendré aussi un stress post-traumatique chez beaucoup, stress aggravé dans un premier temps par le fait qu’ils ne pouvaient échanger avec les familles des malades. La surcharge de travail, les incertitudes thérapeutiques ont aussi joué pour ces équipes dont les actes sont habituellement très codifiés.   Le Pr Gaillard déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Janssen, Lundbeck, Roche, Sobi et Takeda, Astra Zeneca, Boehringer-Ingelheim, Pierre Fabre, Lilly, LVMH, Mapreg, Novartis, Otsuka, Pileje, Sanofi, Servier

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