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Attentat de Nice : des soignants racontent ce qu'ils n'ont jamais dit

 

"Ce soir-là, j'étais seule comme jamais je ne me suis sentie dans le travail"

Isabelle, 43 ans, médecin anesthésiste-réanimateur de repos, assiste au feu d’artifice sur la promenade. Elle attend avec impatience de rejoindre dimanche ses trois enfants chez leurs grands-parents.

"Ce soir-là, j’étais seule. Seule comme jamais je ne me suis sentie dans le travail. Seule et sans matériel. Pourtant, nous étions plusieurs sur la Prom’ à faire la même chose, mais chacun dans son coin…
Une femme est tombée pratiquement devant moi. Traumatisme crânien et arrêt cardiaque. J’ai commencé la réanimation tout de suite, même si je savais que le pronostic était quasiment fatal. C’est un réflexe conditionné, j’ai fait ce que je savais faire : masser.
Peut-être que j’aurais pu être utile ailleurs.
En pleine action, on a parfois besoin de recul pour comprendre exactement ce qu’il se passe, si on a fait les bons choix, mis en route le traitement le plus efficace. Dans des situations compliquées, c’est bien agréable et confortable d’avoir du personnel compétent autour de soi, d’être aidé, parfois même conseillé pour gérer au mieux…
Dix minutes plus tard, j’avais toujours les mains posées sur son thorax, à me dire : Qu’est-ce que je fais ? Je continue ou j’arrête ?
Je me sentais libre de tout et coincée à la fois.
Dans un établissement, on acte ce que l’on fait : heure du décès, puis on remplit des papiers, on parle à la famille. Là, personne autour, je pouvais arrêter, me lever et partir, recommencer ailleurs sur un autre corps.
En fait, j’étais perdue.
C’est le téléphone qui m’a sorti de mon “nuage”. Ma mère voulait savoir si j’étais en vie. Elle m’a trouvée un peu distante. Puis, quand j’ai eu mes enfants au téléphone, j’ai atterri lentement. J’ai réalisé que je n’étais pas efficace, que j’étais choquée, que j’avais vécu cet événement comme entourée d’un brouillard au milieu duquel il n’y avait que moi et cette femme à terre. J’ai retrouvé ma voiture et j’ai pleuré, d’abord parce que je n’étais pas fière de moi.
Quelques jours plus tard, ma mère, m’a fait remarquer qu’il y a vingt ans, j’avais déjà été dans cet état, à la mort de mon premier bébé."

 

L'auteur
Le Dr Marc Magro, 51 ans, est médecin urgentiste au Samu de Nice et médecin-pompier du SDIS Alpes-Maritimes depuis 25 ans. Il est titulaire d'un DESS de psychologie. Il est également l'auteur de quatre romans (Le Serment de Jules, Chambre X, Le Syndrome de Verne, Via Ameglio), d'un recueil de nouvelles primé par le prix Cesare Pavese (Si vous preniez de mes nouvelles) et de documents, portant notamment sur l'histoire de la médecine et de la psychiatrie.

 

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