Trois gynécos français accusés d’avoir utilisé leur propre sperme pour inséminer des patientes

22/12/2021 Par S. B.
Faits divers / Justice
Dans un courrier adressé à l'Ordre des médecins, l'association PMAnonyme soupçonne trois médecins français, dont deux sont décédés, d'avoir eu recours à leur propre sperme pour des inséminations, et cela à l'insu des patientes. C’est la première fois que de telles accusations sont rendues publiques en France. 

Dans un e-mail adressé le 2 novembre au Conseil national de l'Ordre des médecins, et auquel franceinfo a eu accès, l'association PMAnonyme soupçonne trois gynécologues français d'avoir eu recours à leur propre sperme pour inséminer des patientes, "et ce à leur insu". C'est la première fois que de telles accusations sont rendues publiques en France. 

Dans son courrier, PMAnonyme explique vouloir "signaler de façon informelle" ces découvertes et les questionnements qu'elles posent, "sans objectif de contentieux". Car plus de trois décennies après ces inséminations, seules les anciennes patientes de ces médecins pourraient porter plainte pour "abus de confiance", explique à franceinfo l'avocat en droit médical Antoine Béguin. "L'enfant n'a pas été victime directe, c'est la mère qui l'a été", souligne-t-il. A ce stade, aucune des trois patientes concernées n'a entamé de procédure judiciaire. 

 

Tests ADN 

Les faits datent des années 1970 et 1980. Plusieurs tests ADN, réalisés par des personnes nées de dons, soulèvent des questions quant aux pratiques de ces spécialistes. De premiers soupçons ont émergé récemment au sein de PMAnonyme, qui réunit des centaines de personnes nées de dons de gamètes et milite pour l'accès aux origines personnelles. Trois femmes, nées entre 1974 et 1986, membres de l'association ont en effet découvert des liens génétiques avec les familles des gynécologues de leurs mères.  

Avec l'anonymat du don de sperme, ces femmes ont composé avec une absence totale d'information sur leur géniteur. Toutes ont alors décidé de faire des tests ADN vendus sur Internet via des sites américains comme MyHeritage.fr ou 23andMe.com. Ces tests ont permis de faire émerger de nouveaux "cousins génétiques", c'est-à-dire des personnes ayant elles-mêmes réalisé un test et partageant avec elle une part d'ADN. Dans le cas d'une patiente, quatre de ses "cousins génétiques" présentent plus de 4% d'ADN partagé, soit un lien génétique rapproché selon les spécialistes. Un travail minutieux de croisement, entre données génétiques et arbres généalogiques déclaratifs, s'est alors enclenché. 

Les éléments révèlent alors qu'elle est descendante des parents du gynécologue de sa mère, aujourd'hui décédé. Nathalie Jovanovic-Floricourt, une autre spécialiste de généalogie génétique, a également analysé ces données pour franceinfo. "Au vu des dates de naissance et des données de l'arbre généalogique, le gynécologue est bien le géniteur ", assure la présidente de l'association DNA Pass. "C'est indéniable." 

 

"Cousins génétiques" 

Une autre patiente, née elle aussi d'une insémination en 1986, a également fait des recherches ADN. "Ma mère n'était absolument pas au courant" de cette démarche, confie-t-elle. A l'ouverture des résultats, la trentenaire découvre une première correspondance ADN de 4,6%, suivie de "beaucoup d'autres". Elle contacte alors...

ses nouveaux "cousins génétiques" sur les réseaux sociaux, leurs noms étant visibles sur la base de données du test. Au gré d'échanges, elle met ainsi au jour un nouvel arbre généalogique. Rapidement, le nom du gynécologue de sa mère apparaît. 

Au total, elle compte des correspondances génétiques avec sept membres de la famille du spécialiste, toujours en vie aujourd'hui. Quelques mois plus tard, un nouveau "match" émerge avec un homme. La correspondance est de 20%, un pourcentage équivalent à un lien entre demi-frère et demi-sœur biologiques selon les spécialistes. La mère de cette personne, contactée par franceinfo, confirme avoir été une patiente du même gynécologue. Elle l'avait consulté pour une insémination prévue avec les spermatozoïdes de son mari. 

Contacté par franceinfo, le praticien réfute totalement le fait d'avoir utilisé son propre sperme et évoque un cousin. Mais les analyses, que franceinfo a confié à trois spécialistes de généalogie génétique, mettent à mal cette version.  

 

"Scandale sanitaire" 

Enfin, un troisième cas est évoqué par PMAnonyme. Une jeune femme née en 1974 est convaincue de l'implication du gynécologue de sa mère dans sa conception, test ADN à l'appui. 

Ces histoires, qui tendent à montrer les zones d’ombre qui entouraient les parcours de PMA avant les premières lois de bioéthique au début des années 90, pourraient n’être que le début d’"un scandale sanitaire", estime PMAnonyme. A l'époque, rien dans la loi n’interdisait le recours aux dons de sperme frais pour une insémination, chose interdite depuis la loi du 31 décembre 1991.  

Jusqu'à la création du premier Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos), en 1973, "les inséminations artificielles se faisaient dans un certain nombre de cabinets médicaux, selon les pratiques qui étaient celles des gynécologues concernés", souligne auprès de franceinfo le biologiste de la reproduction Pierre Jouannet, ancien président de la Fédération française des Cecos. Ce dernier évoque, dans le courant des années 1960, des "gynécologues qui recrutaient des étudiants en médecine pour être donneurs de sperme" frais.  

Plusieurs rumeurs, confirmées par des médecins relatent que des gynécologues utilisaient leur propre sperme pour les inséminations. Dans les cabinets privés, "le médecin partait un moment et revenait avec du sperme frais". "Etait-ce un donneur ou était-ce le médecin ?" s'interroge encore le Pr Grégoire Moutel, chef du service de médecine légale et droit de santé au CHU de Caen. "J'ai eu des échos de gynécologues ayant utilisé leurs propres gamètes. C'est possible", poursuit un médecin parisien souhaitant rester anonyme. Lorsqu'il était interne, le professeur Israël Nisand, ancien président du Collège national des gynécologues-obstétriciens français, décrit avoir entendu des rumeurs similaires.  

[Avec francetvinfo.fr et liberation.fr

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