Retraités, cinq toubibs reprennent du service pour secourir leur commune en détresse

06/04/2017 Par A.M.
Démographie médicale

Confrontée au départ précipité d'un médecin, Malestroit, petite ville bretonne, a dû rappeler cinq de ses anciens généralistes partis à la retraite. En attendant l'ouverture au printemps de la maison de santé pluridisciplinaire, les ex-futurs retraités exercent dans un cabinet médical provisoire, en tant que collaborateurs salariés d'un confrère en exercice. Un système qui pourrait faire des émules.

Le maire se souvient du temps béni où sa commune de 2500 habitants ne comptait pas moins de cinq médecins généralistes. Ces dernières années, deux d'entre eux ont pris leur retraite et les trois généralistes restant à Malestroit (Morbihan) ont pris en charge, tant bien que mal, les quelques 15.000 personnes situées dans leur bassin de vie. Mais fin septembre, la petite ville bretonne a perdu l'un de ses praticiens, parti précipitamment "pour des raisons personnelles". "J'ai appris par des habitants qu'il allait partir. Il a quitté Malestroit très rapidement, laissant une patientèle de 1500 personnes", expose l'édile, Bruno Gicquello.  

Appel au secours

 

Dans la cité médiévale, c'est le branle-bas de combat. Le maire et son 1er adjoint, médecin à la clinique voisine, réunissent les deux médecins restant et les pharmaciens pour un conseil de guerre. Trouver un généraliste prêt à s'installer est déjà difficile en soi, en dénicher un "du jour au lendemain" relève de l'impossible. Une idée a germé : pourquoi ne pas faire appel, temporairement, aux cinq médecins retraités de la ville ? "Chacun a pris un nom et l'a contacté", raconte le maire. Un appel au secours auquel les jeunes retraités, âgés de 70 ans en moyenne, ont tous répondu. Parmi eux, le Docteur Jean-Luc Demange, 71 ans. A la retraite depuis plus de trois ans, il a été touché par la "détresse" des patients de la commune dans laquelle il avait longtemps exercé. "Les malades pouvaient passer la journée entière dans la salle d'attente et attendaient plusieurs jours pour obtenir un rendez-vous, ça devenait intolérable", se désole le sexagénaire, qui avait gardé "un pied à l'étrier" à travers sa participation à la commission des retraits du permis de conduire de la préfecture. Restait à trouver le statut juridique adéquat pour ces futurs ex-médecins retraités, qui n'ont plus de numéro RPPS. La solution est imaginée en concertation avec l'ARS, la CPAM et le CDOM: ils seront "collaborateurs salariés" du Dr Loïc Hervé, l'un des deux généralistes restant à Malestroit, et exerceront jusqu'à ce que la maison de santé pluridisciplinaire en construction ouvre ses portes, au printemps. Ils prescriront sur les feuilles de soin du Dr Hervé (tout en mentionnant leur nom et prénom) ; ce dernier encaissera les actes, paiera l'Urssaf et les charges salariales et versera à ses collaborateurs un salaire forfaitaire de 800 euros par mois, pondéré en fonction de l'activité de chacun. A cela s'ajoutera une part des recettes. La CPAM du Morbihan s'est engagée à traiter les feuilles de soin en 48 heures, comme pour une télétransmission. "On a mis en place un circuit privilégié, pour que les assurés ne soient pas pénalisés", explique-t-on à la CPAM. A charge pour la mairie de mettre à disposition et d'équiper le local -un ancien cabinet réhabilité, de payer le secrétariat téléphonique et le coût du "surplus comptable" pour le médecin employeur. "Pour trois mois, on est sur un budget de 7000 euros, soit 2.80 euros par habitant", calcule le maire.  

900 actes en trois mois

  Le "cabinet médical provisoire" a ouvert ses portes fin novembre. Les cinq médecins retraités assurent une journée de permanence par semaine. Une "aide précieuse" pour les patients comme pour les pharmacies, salue le maire. Le Dr Demange, quant à lui, a pris "plaisir à retrouver les malades", parmi lesquels certains de ses anciens patients. En trois mois, les cinq retraités ont effectué  900 actes, pour un bilan financier de 21 000 euros. "C'est l'équivalent d'un médecin qui travaillerait 4 jours par semaine avec 25 patients, plus 12 le samedi matin", estime leur "employeur". Une quantité de travail que les deux généralistes restant à Malestroit, déjà "pris à la gorge", auraient été incapables d'absorber. "Cela m'occasionne deux à trois heures de gestion et de comptabilité par semaine", relève tout de même le Dr Hervé. L'expérience, concluante, a été renouvelée pour six mois supplémentaires par l'ARS et la CPAM. Mais elle ne se poursuit plus qu'avec trois médecins retraités. "Un médecin a eu un souci familial ; l'autre, qui continuait ses consultations à l'hôpital, n'a pas pu se libérer comme il voulait", explique Bruno Gicquello. L'inauguration de la maison de santé est prévue fin avril, début mai. Elle... abritera une vingtaine de professionnels de santé. "Plusieurs jeunes médecins, qui vont soutenir leur thèse, se sont montrés fortement intéressés", d'après le maire. Ils trouveront une patientèle "fixée" à Malestroit. "Sans médecin pendant 4 ou 5 mois, les patients seraient partis à droite et à gauche", note le Dr Hervé. Et il aurait été encore plus difficile pour un nouvel arrivant de s'installer.  

Solution miracle

  En attendant, le cabinet médical provisoire de Malestroit pourrait bien faire des émules. "Un conseiller général de Tulle m'a contacté pour savoir comment était monté notre système, rapporte le Dr Demange. La ville est dans une situation médicale précaire : plusieurs praticiens vont partir à la retraite en fin d'année." Au-delà de la problématique des déserts, "il n'y a aucun outil dans notre système de santé pour répondre à la défaillance brutale d'un médecin, qui arrête son activité pour problème de santé, divorce ou autre", relève le Dr Hervé, qui salue "la grande souplesse" dont ont fait preuve les tutelles et le CDOM pour innover en un temps record. Malestroit aurait-elle trouvé la solution miracle? "Maintenant que le système a été éprouvé, il peut être mis en place dès le lendemain du départ d'un médecin, souligne le généraliste. Mais l'avenir de la santé rurale ne peut pas reposer sur des médecins de 70 ans."

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