Immunothérapie : tout comprendre du prix Nobel de médecine en 180 secondes

05/10/2018 Par Marielle Ammouche
Cancérologie

Les deux lauréats du prix Nobel de médecine 2018 sont à l’origine de la découverte des protéines Ctla-4 et PD-1, - dite voie des checkpoint -, et de leur développement clinique, qui apporte un bénéfice majeur pour le traitement de plusieurs types de cancers.

Comme le rappelle l’assemblée Nobel de l’Institut Karolinska, dans son communiqué daté du 1er octobre, "le cancer constitue l’un des plus grands défis sanitaires de l’humanité". Et dans ce domaine, l'Américain James P. Allison et le Japonais Tasuku Honjo ont réalisé des "découvertes majeures" complémentaires, en montrant "comment différentes stratégies pour inhiber les freins du système immunitaire peuvent être utilisées dans le traitement du cancer". Cela a justifié qu’ils obtiennent tous deux cette année le prix Nobel de médecine. L’immunothérapie, qui vise à stimuler les cellules immunitaires pour qu’elles s’attaquent aux cellules cancéreuses, constitue en effet, aux yeux de nombreux experts, la 4ème voie de traitement du cancer, aux côtés de la chirurgie, de la radiothérapie et de la chimiothérapie. Pour l’assemblée Nobel, ces recherches ont "révolutionné le traitement du cancer et a fondamentalement changé notre façon de voir la prise en charge de cette pathologie". "C'est une bonne nouvelle pour tout le monde, en particulier pour les malades (..) C'est une révolution équivalente à l'arrivée des antibiotiques", a commenté Eric Vivier, chercheur de l'Inserm, joint par l'AFP. L’intérêt portée par les chercheurs à l’immunothérapie en oncologie ne date cependant pas d’hier. Ainsi, dès la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, l’idée de pouvoir activer le système immunitaire pour lutter contre les cellules tumorales est apparue. Des expérimentations ont ainsi été réalisées en infectant les patients avec des bactéries pour activer leurs défenses. Mais ces stratégies n’ont pas été efficaces, sauf pour le cas du cancer de la vessie avec l’utilisation du BCG. Et dans les années 1990, l’utilisation de cytokines comme l’interféron-α ou les interleukines s’inscrivait aussi dans ce domaine mais avec, là encore, des résultats décevants. Les progrès dans la compréhension des mécanismes moléculaires sous-tendant la réaction immunitaire liés aux lymphocytes T, ont ensuite permis d’identifier des protéines nécessaires au déclenchement d’une réponse immunitaire qui agissent comme des accélérateurs de cellules T, et d'autres protéines qui, au contraire, constituent des freins aux cellules T, inhibant l'activation immunitaire.   James P. Allison, développeur de la voie Ctla-4 C’est à ce niveau que se situent les découvertes de James P. Allison et Tasuku Honjo. L’américain a étudié dans les années 1990 à l’Université de Californie à Berkeley, une protéine des lymphocytes T déjà connue, Ctla-4 (pour antigène 4 des lymphocyte T cytotoxiques), qui agit comme un frein aux cellules T. Le chercheur a eu l’idée de cibler cette molécule dans un contexte tumoral. Il a développé un anticorps capable de se lier au Ctla-4 pour lever ce verrou de la réponse immunitaire antitumorale. Une première expérience a été menée à la fin de l’année 1994 sur les rongeurs. Et les résultats ont été spectaculaires avec guérison des souris. "Malgré le peu d’intérêt de l’industrie pharmaceutique, précise l’Institut Karolinka, Allison a poursuivi ses efforts intenses pour adapter la stratégie thérapeutique aux hommes". Et, en 2010, une étude clinique a montré des effets positifs prometteurs chez des patients atteints de mélanome avancé.   Tasuku Honjo, découvreur de la voie PD-1 Tasuku Honjo lui, a découvert, dans son université de Kyoto, la protéine PD-1 (Programmed cell Death 1), présent à la surface des lymphocyte T. Son ligand PD-L1, est exprimé par la tumeur. Le chercheur a mené de nombreuses expériences pour en comprendre le rôle, et a ainsi pu montrer que le PD-1, fonctionnait, à l’image du Ctla-4, comme un frein à la cellule T, mais avec un mécanisme différent. Dans les expériences sur les animaux, le blocage de PD-1 s'est également révélé une stratégie prometteuse dans la lutte contre le cancer. Cela a ouvert la voie à l'utilisation de PD-1 comme cible dans le traitement des patients. De premières études ont ensuite été réalisées chez l’homme et, en 2012, une étude clé a démontré l’efficacité de cette voie dans le traitement de patients atteints de différents types de cancer, avec l’obtention de rémission à long terme chez plusieurs patients atteints d'un cancer métastatique.   De multiples applications cliniques Cette stratégie thérapeutique a été appelée voie des inhibiteurs de chekpoint. Elle porte de nombreux espoirs. A la date de juillet dernier, il y avait quelque 800 essais cliniques en cours dans le monde dans ce domaine, et plus de 30 médicaments en développement, selon un décompte de l'American Cancer Society. Certains sont déjà autorisés en Europe et aux États-Unis. Le premier médicament commercialisé a été l’ipilimumab (Yervoy, BMS) en 2012, qui cible Ctla-4, pour le traitement du mélanome, suivis du nivolumab (Opdivo, BMS) et du pembrolizumab (Keytruda, MSD), en 2014, dans le mélanome et le cancer bronchique, qui ciblent PD-1/PD-L1. Des essais ont aussi été réalisés dans les cancers du rein métastatiques, avec un gain de survie modeste. Dans les carcinomes urothéliaux, les résultats ne sont pas suffisamment convaincants. Ces traitements sont aussi testés dans les cancers gastriques avancés et en échec, avec de premiers résultats prometteurs. L’avenir pourrait reposer sur des associations de traitements anti PD1 et anti Ctla-4, et/ou avec la chimiothérapie. De nombreuses questions restent cependant à résoudre, comme les effets secondaires qu’entrainent parfois ces traitements d’immunothérapie, à type de réactions cutanées, manifestations auto-immunes, … Et de comprendre pourquoi ils sont inefficaces dans certaines localisations telles que le cancer du pancréas ou du cerveau, et pourquoi des patients sont non répondeurs à cette thérapie. James P. Allison, 70 ans, actuellement professeur d'immunologie au Centre du cancer de l'Université du Texas et Tasuku Honjo, 76 ans, professeur à l'Université de Kyoto, avaient déjà reçu conjointement en 2014 le prix Tang, présenté comme la version asiatique des Nobel. James P. Allison avait reçu l'année suivante le prix Lasker dans la catégorie recherche clinique. "Je suis honoré de recevoir cette reconnaissance prestigieuse", a-t-il réagi sur son site internet. "Les scientifiques ambitionnent simplement de repousser les frontières du savoir. Mon intention n'était pas d'étudier le cancer mais de comprendre la biologie des cellules T, ces cellules incroyables qui parcourent notre corps pour le protéger". De son côté, Tasuku Honjo a indiqué en conférence de presse à l'Université de Kyoto vouloir "continuer [sa] recherche (...) afin que l'immunothérapie sauve plus de patients atteints du cancer que jamais". L'annonce du Nobel est d’ailleurs tombée le jour du 94e anniversaire de l'ancien président américain Jimmy Carter, aujourd'hui parfaitement remis d'un cancer métastasé après avoir suivi un traitement à base de pembrolizumab, anticorps ciblant la protéine PD-1.

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