Chaque semaine, sur les réseaux sociaux, médecins et kinésithérapeutes signalent des dérives dans le domaine de l’ostéopathie. Des manipulations pouvant parfois engendrer des séquelles importantes. La présidente de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK), Pascale Mathieu, s’est emparée du sujet et a appelé de ses vœux à un recensement de ces pratiques. Un BOT – un compte automatisé – sur le réseau social "X" a ainsi été créé à cet effet. Interview. Egora.fr : Vous êtes à l’initiative du BOT (c’est-à-dire un compte automatisé) sur le réseau social X - anciennement Twitter - nommé "Dingueries ostéo", qui vise à recenser et stocker les signalements de pratiques dangereuses en ostéopathie… Pourquoi cette initiative ? Pascale Mathieu : Même si le terme est un peu familier, cela correspond à peu près à ce que l’on peut voir au quotidien depuis de nombreuses années et qui s’aggrave avec le temps… Face à l’inertie des pouvoirs publics, et ce malgré les diverses alertes qu’on a lancées ces dernières années, il va nous falloir rassembler des éléments probants pour constituer un dossier qu’on pourra remettre en main propre aux ministres concernés. Il faudra ensuite voir ce qu’il convient de faire pour arrêter ces dérives, qui sont très dangereuses. Ce qui sera intéressant c’est qu’en consultant ce compte-là, on aura tout ce qui a été signalé. On verra en fonction des signalements s’il faut qu’on opère un tri et qu’on voie un peu quel type d’incidents déclarer.
Aussitôt dit, aussitot fait. Je vous présente @DinguerieOsteo A force de voir dénoncer ici des pratiques dangereuses, je souhaite les recenser et les stocker. Merci @_mizmo ! L'utilisation est simple, il va vous expliquer le mode d'emploi.
— Pascale Mathieu (@PMathieuMK) August 4, 2023
Bonjour le monde.
— Dinguerie-Ostéo (@DinguerieOsteo) August 4, 2023
Afin d'archiver les #DingueriesOstéo que l'on croise sur Twitter, il suffit de me mentionner @DinguerieOsteo en commentaire du tweet, ou en le citant.
Restez courtois avec les charlatans néanmoins.
Bisous-qui-craquef.
Depuis quand observez-vous ces dérives et comment se manifestent-elles ? Cela ne date pas d’hier. Il y a une dizaine d’années déjà, j’avais une patiente qui avait eu un syndrome de la queue de cheval à la suite d’une manipulation ostéo. Je l’ai eue pendant plus d’un an en rééducation. C’était une manipulation qui n’aurait pas dû être faite, il y avait des signes cliniques qui excluaient tout geste. Malgré tout, cela avait été fait par un jeune ostéopathe de mon secteur. J’ai eu au moins cinq cas extrêmement graves qui ont conduit à des chirurgies, avec des séquelles notamment neurologiques. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’endroit pour déclarer ces événements et les recenser. Quand vous vous exprimez sur les réseaux sociaux, en particulier lorsque des médecins signalent des manipulations, vous avez une batterie d’ostéopathes qui vous disent que ‘ce n’est pas vrai car si vous regardez les chiffres de la littérature, il y a très peu d’accidents’. Ce qui est vrai, puisqu’ils ne sont déclarés nulle part… Très souvent aussi, les patients ne font pas forcément le lien entre le dommage qu’ils ont et le geste de l’ostéopathe. Ce qui est plus grave – cela a été décrit par un kinésithérapeute sur "X", c’est lorsque le patient ne vient pas immédiatement nous voir alors qu’il sort de chirurgie, qu’il y a de la rééducation prévue, parce qu’il est allé voir un ostéopathe qui lui a dit de ne pas commencer tout de suite. On a beaucoup de kinés dont les patients ont des douleurs, vont voir un ostéopathe, et ne reviennent pas tout de suite parce que l’ostéopathe prétend qu’il ne faut pas défaire ce qu’il a fait.
Il y a donc ce message qui est distillé que ce qu’on fait pourrait être néfaste par rapport aux bienfaits de l’ostéopathie. C’est extrêmement gênant… Je blâme les charlatans qui prétendent tout et n’importe quoi et détournent les patients du soin. Le recensement que vous avez initié a donc aussi pour but de défendre votre profession ? Bien sûr. Mais essentiellement les patients. Vous avez aussi alerté les médecins sur ces dérives. En 2011, nous avions décidé de faire une communication commune pour alerter les médecins dans leur bulletin. Encore aujourd’hui, certains envoient leurs patients chez l’ostéopathe directement, sans passer par la kinésithérapie. Cela montre une méconnaissance de ce que font les kinésithérapeutes...
C’est peut-être notre faute... Mais cela peut aussi s’expliquer par le fait que nous ne sommes plus à l’hôpital et plus tellement en contact avec les médecins pendant leurs études, ils ne font plus forcément la différence entre la kinésithérapie et l’ostéopathie et ne voient pas forcément ce qu’est la rééducation, le spectre de notre action. Très souvent, ils ne prescrivent pas parce qu’ils ne savent pas que cela peut être utile. Que faudrait-il faire ? Je pense qu’il faudrait que l’Ordre des médecins et les autres ordres professionnels s’emparent du sujet, et alertent les patients. Cela étant, on ne peut pas empêcher les patients d’aller voir un ostéopathe, de vouloir des solutions rapides et "magiques"… On sait que pour la lombalgie, la rééducation, c’est de l’exercice, du travail musculaire, qui demande un effort. C’est plus agréable de s’allonger sur une table et de se faire papouiller avec des prétentions magiques… Vous parlez d’inertie des pouvoirs publics. Le Gouvernement ne fait-il rien pour lutter contre ces pratiques ? Je ne vais pas blâmer le ministre [de la Santé] qui vient d’arriver. J’ai eu beaucoup d’espoirs quand on a réanimé le groupe d’appui sur les pratiques non conventionnelles dans le champ de la santé qui a commencé à travailler au sein du ministère. L’idée était de les recenser et de voir ce qu’on allait en faire : les interdire, les encadrer… ? Peut-être que des décisions seront prises. Mais quand je vois que ce groupe a tendance à vouloir faire le tri, et finalement à reconnaître certaines pratiques, cela m’inquiète. Dès lors qu’elles sont reconnues, cela devient très dangereux.
La première réunion disait donc qu’il fallait encadrer ces pratiques, mais s’il y a un danger pour les patients, il faudra peut-être les interdire. Par exemple, pour voir un bébé de moins de six mois, il faudrait un certificat de non contre-indication. Ça n’est jamais fait. Les pouvoirs publics le savent : les ostéopathes n’ont pas à agir. Il suffirait de faire respecter les textes. Ce n’est pas le cas. Il va falloir mettre la barre plus haut dans nos exigences de protection des patients.
Des ostéopathes me demandent de vérifier un truc. Merci de répondre avec sincérité aux questions suivantes si vous ou pour votre enfant, vous avez déjà consulté un ostéopathe ni-ni. C'est à dire un ni-medecin, ni-kiné. Un simple ostéopathe (non professionnel de santé).
— DrPepper (@DocPepper_FR) August 4, 2023
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Dans un rapport au vitriol, l’Igas pointait de nombreuses failles dans la formation des ostéopathes et suggérait de les reconnaître comme professionnels de santé, au même titre que les assistants dentaires, afin de garantir une meilleure qualité de formation. Entendez-vous cet argument ? Non. Je suis archi contre. J’avais été auditionnée et j’avais dit qu’au contraire, il ne fallait surtout pas faire cela. L’ostéopathie repose sur des concepts fantaisistes, qui n’existent pas. Les reconnaître, ce serait reconnaître leurs concepts, parce qu’ils ne vont pas y renoncer. Quand vous regardez les fondements de base, la chiropraxie [le rapport de l’Igas concernait également la chiropraxie, NDLR], c’est un pasteur qui a eu des espèces de révélations et qui parle d’ajuster les vertèbres avec des concepts qui n’ont jamais pu être mis en évidence. Si on reconnaît ça, on va reconnaître ceux qui font des sacrifices d’animaux pour soigner les gens ? Je ne compare pas, mais il n’y a pas de fondement. Je suis persuadée que ce qui fonctionne en ostéopathie, c’est quand ils font de la kinésithérapie. Quand vous regardez le décret de 2007, l’ostéopathie, c’est la manipulation non instrumentale pour essayer de traiter les troubles fonctionnels à l’exclusion des pathologies organiques. Déjà ça, ce n’est pas respecté. Finalement, c’est très restreint, ce ne sont que les manipulations. Maintenant, les ostéopathes se mettent à proposer des exercices. Si les patients sont soulagés, c’est parce que ce sont des techniques de kinésithérapie. Dans la kinésithérapie, il y a une partie de thérapie manuelle infime, qui est historique, et finalement qui correspond à une partie de l’ostéopathie qui n’est pas ésotérique.
Si c’était moi, je réserverais la pratique de l’ostéopathie aux professionnels de santé : médecins, kinés, par exemple. Si on limite cette pratique, au bout d’un moment, la mode s’éteindra. C’est peut-être un vœu pieu, car il y a beaucoup d’enjeux financiers derrière les écoles d’ostéopathie. Comme ils ont besoin de vivre, ils prétendent guérir n’importe quoi… Si on les légitime en les rendant professionnels de santé, je n’aurais qu’une envie, c’est rendre mon tablier. Il n’y a que chez nous qu’on a ce problème-là. On a créé un monstre qu’on n’arrive plus à contrôler. Comment en sommes-nous arrivés là ? Depuis la loi Kouchner qui a reconnu l’ostéopathie, on a laissé exploser le nombre d’ostéopathes en France. Tout simplement parce qu’on a laissé se multiplier les écoles. On est le pays qui forme le plus d’ostéopathes au monde : c’est devenu un business ! Vous ratez médecine, vous ratez kiné, vous achetez ostéopathe, sans prérequis. Là on en forme à tour de bras et c’est la foire : vous tapez ostéopathie et infertilité, vous avez tout un tas d’offres toutes plus mirobolantes les unes que les autres pour permettre d’avoir des enfants. Des choses fausses, infondées, et qui leurrent les patients qui sont les plus fragiles, parce qu’ils se trouvent en difficulté face à des problèmes insolubles. Dans le champ du handicap c’est pareil, ça fleurit. Ça m’a toujours choquée de voir certains profiter de la détresse des gens pour leur faire miroiter des choses. Quelles actions concrètes souhaitez-vous voir mises en place ? En plus de ce que fait le ministère, j’ai envie qu’on ait, grâce à ce BOT, une vision [sur ces dérives] – même si cette vision ne sera pas réelle car on reste sur les réseaux sociaux. J’aimerais aussi qu’on mène une enquête afin d’identifier les accidents qui arrivent en réanimation à la suite de manipulations. Aussi, et je le dirai au ministre quand je le rencontrerai, je souhaiterais qu’il y ait une adresse dédiée sur le site du ministère pour recenser tout ce que les médecins voudraient déclarer comme accidents ou incidents indésirables, comme on fait pour les médicaments. Et puis derrière, prendre des mesures s’il y a lieu de prendre des mesures. Qui va gérer ce BOT ? Pour l’heure, c’est la personne qui, spontanément, l’a créé. Après on verra. Moi je n’ai pas vocation à faire ça. J’espère qu’on trouvera de bonnes volontés. Il y a beaucoup de gens qui sont impliqués dans [la lutte contre ces dérives] comme le collectif No Fake Med dont je suis membre. Il y a aussi beaucoup de médecins très impliqués parce qu’ils voient toutes les dérives dans leurs cabinets. Je pense qu’il y aura une collaboration. Surtout, j’espère que ce sera très visible.
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