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"Il y a eu un avant et un après" : Bernard Jomier, le sénateur-généraliste qui a affronté le Pr Raoult

Bernard Jomier
Il fait partie de ces élus qui ont été jetés en pâture par les antivax pour avoir défendu coûte que coûte la science durant l'épidémie. Après une jeunesse à militer au sein d’Amnesty international et à courir le monde pour y exercer la médecine, le sénateur et médecin généraliste Bernard Jomier a gravi les échelons, de la mairie de Paris jusqu’au Palais du Luxembourg, pour défendre sa vision de la santé. Ce dimanche 24 septembre, l'élu de gauche - qui n'a jamais délaissé sa patientèle - remet son siège en jeu lors des élections sénatoriales. Nous l’avons rencontré.

 

"Que chacun fasse son métier et les vaches seront bien gardées." Derrière son masque chirurgical, ce mardi 15 septembre 2020, le Pr Didier Raoult ne cache pas son agacement. Un peu plus de six mois après l’apparition du Covid en France, le directeur de l’IHU Méditerranée* fait face à la commission d'enquête sénatoriale sur la gestion de la crise sanitaire. Le Dr Bernard Jomier, nommé co-rapporteur de cette commission, est chargé de l’interroger. Sénateur apparenté au groupe socialiste et généraliste de profession, il a longuement préparé cette audition, recueillant les avis de confrères infectiologues, notamment sur le traitement défendu à cor et à cri par le Pr Raoult : le cocktail d’hydroxychloroquine et d’azithromycine. "Il semblerait que la science a parlé", avance le parlementaire, énumérant la liste des pays ayant déconseillé ce traitement. Une posture d’opposition qui ne plaît guère au microbiologiste marseillais. "Je ne suis pas d’accord avec vous, sur aucun point", rétorque-t-il. "Professeur, ce n’est pas un débat entre nous", recadre aussitôt le sénateur, le ton ferme mais posé. 

"L’audition était très tendue", se souvient Bernard Jomier, assis dans un des fauteuils du petit salon qui jouxte la buvette des sénateurs. Retransmise sur Public Sénat, la séance est vue plus de 1 million de fois, et suscite l’ire des pro-Raoult. Bernard Jomier – qui était jusqu’ici resté dans l’ombre du Palais  du Luxembourg – s’attire les foudres de la mouvance complotiste, qui se déchaîne sur les réseaux sociaux. "Je me prends les premières salves d’injures, de menaces de mort." Sans oublier les accusations de corruption. En décembre 2020, la commission d’enquête rend son rapport. Mais Gérard Larcher, président LR du Sénat, décide de ne pas en rester là. L’épidémie n’étant pas finie, il demande une mission d’information. Il la confie à Bernard Jomier. "C’était une grosse surprise car les missions d’information sont théoriquement présidées par la majorité, explique le sénateur de Paris, presque encore étonné. C’était une reconnaissance : les positions que j’avais portées étaient les positions justes."  

 

 

Après une année à poursuivre les échanges sur la crise sanitaire, la mission prend fin. Mais les positions et la rigueur du sénateur-médecin lui valent le respect de ses pairs. Les Républicains lui confient ainsi la tâche de présider la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France. "Il y a eu un avant et un après" l’audition du Pr Raoult, estime Bernard Jomier.  

 

"Il fallait protéger les Français" 

La deuxième vague de haine arrive à l’automne 2021. A la fin de l’été, le sénateur dépose une proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le Sars-CoV-2. "On avait des éléments solides qui montraient que le vaccin réduisait la circulation du virus – ne l’annihilait pas comme on l’avait espéré à un moment, mais surtout permettait une très bonne protection contre les formes sévères." Le généraliste a un rapport particulier avec l’obligation vaccinale. Parti à l’étranger à plusieurs reprises en tant que médecin, il a vu "les bienfaits de la vaccination". En 2017, dans l’hémicycle, il avait d’ailleurs défendu la décision d’Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, d’étendre le nombre de vaccins obligatoires pour les jeunes enfants à 11. Mais dans un contexte de crise sanitaire, sa proposition ne passe pas. Elle n’est d’ailleurs pas votée par le Parlement. "Je trouve ça dommage, car ce n’était qu’une autorisation donnée à l’exécutif de pouvoir mettre en œuvre l’obligation vaccinale." Cette fois, les menaces sont plus virulentes encore. Sa fiche médecin sur Google est criblée de commentaires nauséabonds. On le décrit comme étant le "fils caché de Mengele", qui "souhaite faire des expériences sur les êtres humains". Et de menaces : "le Z s’occupera de fermer ton cabinet en mai prochain, pauvre ordure". Des commentaires qui figurent toujours aujourd’hui sur internet. "Google me réclame 1 500 ou 2 000 euros pour effacer ces commentaires. C’est un marchand de malheur. Je refuse ce chantage." 

 

Une image contenant texte, capture d’écran, PoliceDescription générée automatiquement

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Son cabinet est placé sous surveillance policière pendant un temps. Puis, lorsque les choses se calment, Bernard Jomier dépose plainte, "à la demande de la présidence du Sénat". "Huit personnes sont renvoyées devant le tribunal en janvier 2024. Je demanderai leur condamnation", annonce-t-il, inflexible. Il croit en la justice. "Ceux qui ont été du côté de la science obtiennent très largement gain de cause devant la justice ; les menteurs et les manipulateurs sont largement condamnés par les tribunaux." Le généraliste qui a prêté main forte à l’hôpital de Melun durant le premier confinement ne se dit pas affecté personnellement par ces insultes. "Ça m’a beaucoup moins touché que les patients que j’ai vu mourir du Covid." Malgré la violence dont il a fait l’objet, le sénateur ne regrette pas d’avoir porté haut ces idées. "Il fallait protéger les Français." 

 

"On ne pleure pas dans ce métier" 

Février 2020. Alors que les activités du Palais Bourbon se mettent à l’arrêt, Bernard Jomier se retrouve presque désœuvré. Lui qui navigue entre son cabinet du 19e arrondissement – où il exerce toujours le vendredi après-midi – et ses travaux de sénateur. En ville, les patients ne se pressent pas à sa porte… par peur d’attraper le virus. "Il faut dire qu’Edouard Philippe n’a pas été brillant" dans sa communication, juge-t-il. Le généraliste n’a pas l’intention de flemmarder dans sa maison de campagne, située au bord de la forêt de Fontainebleau, dans le sud de la Seine-et-Marne. Un écrin de verdure qui lui rappelle sans doute son Auvergne natale, et propice au jardinage. Quand les autorités lancent un appel pour renforcer les hôpitaux, Bernard Jomier ne réfléchit pas. Il "postule" sur l’application de l’ARS Île-de-France et on l’affecte à l’hôpital de Melun.  

Alors âgé de 56 ans, Bernard Jomier est entouré de médecins de la Réserve sanitaire. "On était une vingtaine. […] Comme j’étais plus jeune, on m’a demandé si j’acceptais d’être au lit du malade. Puis on m’a mis en Unité d'hospitalisation de courte durée qui avait été transformée en unité Covid." Les médecins plus âgés sont placés à la régulation. En se remémorant cette période, sa gorge se noue, son regard brillant perd toute sa lumière. "J’ai vécu des choses… j’ai eu envie de pleurer, confie-t-il. Même maintenant ça me… Quand vous voyez quelqu’un de 28 ans de mourir devant vous… On avait oublié depuis le VIH. C’était très violent. Heureusement, le chef de l’unité était d’accord pour ne pas appliquer les consignes gouvernementales : on laissait les familles venir voir la personne qui allait décéder. C’était dégueulasse ce qu’on a fait, c’était inadmissible." 

Il se souvient avoir pleuré au volant de sa voiture sur le parking de l’hôpital, presque incapable de démarrer. "Ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps. On ne pleure plus dans ce métier au bout d’un moment. Je ne sais pas si c’était la fatigue… On ne savait pas où on allait, on était perdus. Tout ce qu’on savait, c’est que l’hydroxychloroquine ne servait à rien. Pour le reste, on ne savait pas grand-chose." Il a quitté Melun après le week-end du 8 mai. "Ça s’était un peu calmé." En revenant au Sénat, il a invité une délégation de l’hôpital à déjeuner : des médecins, des infirmières, des agents d’entretien... "Pour les remercier." A peine nommé corapporteur de la commission d’enquête sur la gestion de la crise, Bernard Jomier a suggéré à Alain Milon (LR) de commencer par "écouter les gens qui vivent l’épidémie". Ceux de la première ligne, dont il a fait partie. "C’est ce qu’on a fait." 

 

"Porter les droits avant les systèmes politiques" 

Depuis toujours, Bernard Jomier est comme habité par "l’action publique, l’action collective". Un héritage de ses parents, catholiques pratiquants, qui ont "toujours eu des engagements altruistes, d’intérêt général, même si ce n’étaient pas forcément les miens". Avant-dernier d’une fratrie de six enfants – 3 filles, 3 garçons – Bernard Jomier grandit dans un environnement "stable", avec des parents "actifs" mais "présents". "Ils étaient très respectueux de ce que l’on voulait faire ou ne pas faire. Ils poussaient leurs enfants sans exception". "Je suis un enfant gâté quelque part", sourit-il. Son père – forestier – bouge beaucoup pour le travail. La famille quitte Clermont-Ferrand quand Bernard Jomier a une dizaine d’années pour Lille puis Compiègne. 

Son premier combat au service de la communauté, l’adolescent le mènera à 15 ans, au lycée de Compiègne. Sa revendication ? Avoir "un endroit à nous, les jeunes" : une cafète. "Le proviseur était un mec très ouvert. Et il a dit ‘Je vous débloque 800 francs de crédit, vous vous débrouillez pour tout créer’. On a passé les vacances de Noël à fabriquer le bar, aller voir un boulanger pour qu’il nous fournisse en croissants…", se rappelle-t-il, amusé. Son bac en poche à 16 ans, il descend à la capitale pour entamer des études de médecine - "j’aurais bien voulu faire...

30 commentaires
22 débatteurs en ligne22 en ligne
Photo de profil de Francois Laissy
1 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 2 mois
Comment un médecin généraliste peut-il n'exercer qu'un vendredi après-midi par semaine, en assurant des consultations longues, pour pouvoir être le médecin traitant de patients dont on doit assurer le...Lire plus
Photo de profil de Eric Bernard
353 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 2 mois
c'est sûr que de soigner une infection respiratoire potentiellement compliquée de thromboses avec du Doliprane et avec comme consigne de ne pas voir ton MG et d'appeler le 15 quand tu ne respires plus...Lire plus
Photo de profil de Laurence Champsaur
158 points
Débatteur Renommé
Autre spécialité médicale
il y a 2 mois
Merci Dr Jomier pour votre droiture et votre engagement. Je reste affligée de voir encore ici ces commentaires obscurantistes. Comme a dit Malraux : le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas ...Lire plus
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