Soins de ville : pourquoi ce généraliste veut donner la priorité aux maisons de santé

19/11/2021 Par L. C.
A quelques mois de l’élection présidentielle, et alors que la santé peine à émerger dans les débats, les usagers tentent d’interpeller les candidats sur les difficultés d’accès aux soins auxquelles ils font face quotidiennement, ainsi que sur l’avenir du système. Dans un manifeste publié ce mercredi 17 novembre, France Assos Santé et l’association de soignants travaillant en exercice coordonné AVECSanté appellent les politiques à miser sur les maisons de santé (MSP), seul modèle capable de "répondre aux défis de demain". Explications avec le Dr Pascal Gendry, médecin généraliste et président de l’association.

Egora.fr : Dans un manifeste écrit avec France Assos Santé à quelques mois de l'élection présidentielle, vous entendez refonder le système de soins primaires. Y a-t-il urgence ? Dr Pascal Gendry : Il y a une grosse problématique d’accès aux soins depuis des années : accès aux médecins généralistes, mais aussi à d’autres professionnels de santé de soins primaires : masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes, parfois aux infirmières… La liste est longue. Il y aussi des problèmes de démographie au niveau de la population générale avec le vieillissement de la population, le développement des pathologies chroniques et puis de la précarité. On le sait : les équipes pluriprofessionnelles, lorsqu’elles sont structurées et organisées, peuvent mieux prendre en charge ces défis démographiques, grâce à la coopération et à la coordination. Le regard de plusieurs professionnels face à une situation clinique permet d’avoir une vision beaucoup plus globale des choses. Avec l’épidémie de Covid, on a aussi vu que ces équipes permettaient d’assurer les soins dans une situation de crise. L’organisation a permis aux Français de bénéficier d’une poursuite de leur prise en charge, avec des cabinets qui n’étaient pas fermés, une sécurisation des prises en charge, mais aussi de faciliter la politique d’aller vers, et aider à la vaccination. Actuellement, on a 1889 maisons de santé ouvertes en France, mais elles ne couvrent pas le territoire national. Alors, oui, on est dans les objectifs de Ma Santé 2022 proposé par le président de la République [2000 maisons de santé, NDLR], mais, clairement, il faut enclencher la 5e ou passer en boîte automatique parce qu’il faut que ça avance. Chaque Français là où il se trouve – et pas seulement en zone de tension démographique en professionnels de santé ou en généralistes – doit pouvoir bénéficier de cette prise en charge en équipe pluripro. C’est ce qu’exprime le manifeste.

Aujourd’hui, le monde de la santé est en forte tension. Le monde de l’hôpital aussi. Si on veut améliorer la prise en charge des Français, il faut aussi que les soins de ville soient organisés. L’hôpital est organisé en équipes, en services, la ville doit être organisée en équipe pour répondre aux défis. Quand une personne âgée rentre d’hospitalisation après une pose de prothèse de hanche, elle doit aussi être pris en charge par une équipe (un médecin, un kiné, une infirmière et un pharmacien). Cette équipe, on la retrouve dans la MSP. Et puis il y a tous ces gens qui ne devraient pas passer par la case hôpital, notamment pour les soins non programmés (SNP). Grâce à l’équipe, la collaboration et les protocoles, on pourrait les éviter.   Vous promouvez le modèle des MSP. En quoi ce modèle est-il, selon vous, le plus efficient aujourd'hui ? Par rapport aux autres formes d’exercice coordonné qui n’imposent pas le regroupement ? Le regroupement n’est pas forcément fait dans des locaux communs, mais dans un projet de santé commun. Cela veut dire des modalités de fonctionnement, de communication entre les professionnels, de protocoles, de participation à des réunions de concertation pluriprofessionnelle, d’utiliser un dossier médical partagé (DMP)… Et puis il y a des formations communes. C’est véritablement le partage d’un projet commun autour d’un patient. Et également une implication de cette équipe au sein...

de son territoire, avec d’autres acteurs et d’autres niveaux de coordination. Une équipe de professionnels de santé de soins primaires en MSP doit s’intégrer à son territoire, mais le territoire, lui, n’est pas une équipe. Il y a une graduation de la coordination indispensable. La MSP est l’unité de base de prise en charge des usagers pour demain.   Les MSP permettent une meilleure prise en charge des patients ? L’aspect qualitatif est dans l’ADN des maisons de santé, et fait d’ailleurs partie du projet de santé (se faire évaluer, travailler sur des protocoles, etc.). Des études montrent que les maisons de santé par leur capacité d’organisation et leur dynamique de groupe peuvent prendre en charge une population plus importante que l’addition des professionnels isolés. C’est un fait. Elles soutiennent aussi l’attractivité dans des territoires ruraux ou fragiles, telles que les zones péri-urbaines ou les banlieues. Elles sont aussi attractives pour d’autres professionnels : on pense immédiatement aux généralistes, mais quelque part, elles permettent à des populations de bénéficier des compétences des psychologues, des psychomotriciens, de diététiciens…      Toutefois vous pointez le blocage de leur déploiement par les intérêts mono-professionnels... Clairement les maisons de santé impliquent un changement de culture profond. Mais on peut le faire : d’ailleurs, il y a de plus en plus d’équipes qui se créent. Puis il y a une appétence de la jeune génération pour ce type d’exercice, mais aussi des professionnels qui y ont goûté. Lors de la crise Covid, de nombreux professionnels isolés se sont rapprochés des MSP pour travailler sur des organisations d’accueil de patients Covid, le dépistage ou encore la vaccination. Il y a toutefois des réticences sur le travail en équipe : "Je ne vais plus être maître de mon outil de travail", "On va regarder comment je travaille", "On va me juger", "Cela coûte trop cher", "La structure juridique est vachement compliquée à monter"… Toutes ces difficultés, de plus en plus d’équipes parviennent à les surmonter. Mais il faut accompagner les équipes qui se créent et qui fonctionnent, mais aussi accompagner ce changement culturel et, sans doute faire évoluer la formation des professionnels de santé. Autant, on n’imagine pas un médecin hospitalier travailler seul dans son coin, autant un généraliste, on ne va pas le former pour qu’il travaille en équipe. La norme doit devenir ce travail en équipe pour répondre aux défis dont on a parlé.

  Vous demandez de fait aux pouvoirs publics de généraliser ce mode d'exercice. Comment ? Par la coercition ? Est-ce tourner le dos à la pratique d'exercice en solo ? On ne va pas opposer les soignants qui travaillent en équipe avec ceux qui travaillent en solo. Mais inciter les professionnels à travailler en équipe, ça, les pouvoirs publics peuvent le faire. Il faut orienter les politiques publiques vers cet exercice coordonné : être incitatif ! Est-ce qu’on finance des organisations ou est-ce qu’on finance des professionnels en solo ? Ce sont des choix politiques à faire. De toute façon, demandez à la jeune génération comment ils veulent travailler. Il faudrait flécher les aides à ceux qui peuvent assumer certains actes/missions. Il n’est question de diminuer les revenus des professionnels en solo. Ce n’est pas notre problème. Mais l’enjeu est d’encourager...

ces derniers à répondre aux attentes des usagers. N’oublions pas que ce manifeste n’est pas une revendication de professionnels, mais d’une fédération d’usagers qui souhaite la généralisation de ce modèle.   Vous préconisez par ailleurs d'instaurer un nouveau modèle économique pour ces structures, ainsi que des nouveaux modes de rémunération. Quels seraient-ils ? Ce changement de culture veut dire aussi des évolutions dans les modalités de rémunération, avec des rémunérations qui ne seraient pas uniquement du paiement à l’acte. Il y a forcément des évolutions nécessaires pour reconnaître le travail en équipe, le financer. Beaucoup d’équipes qui fonctionnent sont très attirées par des expérimentations sur des nouveaux modes de rémunération, type article 51, Ipep (Incitation à une prise en charge partagée), Peps (Paiement forfaitaire en équipe de professionnels de santé) ; mais c’est aussi parce qu’elles ont évolué, grandi et sont donc suffisamment matures pour imaginer, tout en restant libérales, des financements collectifs qui peuvent mieux correspondre aux prises en charge des patients qu’ils réalisent.

Le modèle ACI est intéressant : il permet de financer le fonctionnement. Mais, quelque part, c’est une toute petite part du budget nécessaire à une équipe pour fonctionner. Il faut donc réfléchir sur l’évolution de cette ACI [l’Assurance maladie a transmis ce mercredi une proposition d’avenant à l’accord conventionnel interprofessionnel en faveur du développement des CPTS, NDLR], mais aussi sur des paiements innovants, forfaitaires. On a beaucoup parlé des Rosp (rémunération sur objectifs de santé publique) individuelles, mais peut-être que des Rosp d’équipe peuvent être envisagées, des rémunérations sur l’atteinte d’objectifs. En commun, on peut plus facilement atteindre ces objectifs. Ce sont des propositions que l’on fait régulièrement à la Caisse nationale d’Assurance maladie. Si on veut que ces équipes prodiguent des soins de qualité, il faut les valoriser et les inciter à s’engager. Les pouvoirs publics doivent également investir dans la coordination de ces équipes, fournissent une fonction de coordination, administrative. Le législateur a donné la possibilité aux Sisa de salarier des assistants médicaux, voire des professionnels de santé. Je n’ai pas dit qu’il fallait encourager cela, mais il faut accompagner les équipes qui veulent le faire. Aussi, il n’y a pas de raison que des territoires où la densité en professionnels de santé est extrêmement basse soient accompagnés par des subventions importantes mais que cela ne soit pas les cas dans les zones urbaines, très urbaines. Il faut accompagner les équipes de ces zones dans leur projet immobilier parce que se regrouper de manière physique dans une grande ville est extrêmement compliqué, compte-tenu du prix au mètre carré. Pourtant, le diabétique, l’insuffisant cardiaque, la personne de 90 ans, y ont aussi besoin d’être pris en charge par ses équipes.   A ce sujet, vous avancez la possibilité de généraliser la prise en charge à 100% et le maintien du secteur 1 sans dépassement d'honoraires... On veut que les malades qui sont pris en charge dans ces structures aient la possibilité de ne pas avoir de reste à charge, grâce au tiers payant ou autrement. Ce n’est pas à nous de dire qui doit prendre en charge : l’Assurance maladie, ou l’Assurance et les mutuelles, etc… Ce sont des choix politiques. Nous disons simplement...

que les professionnels de santé des MSP s’engagent à être en secteur 1, à assurer les soins de proximité, à répondre aux besoins d’une population… Il y a malheureusement dans nos équipes des professionnels qui ne sont pas encore pris en charge : les diététiciens, les psychologues… Et ça aussi, c’est un réel problème. Le président de la République a donné des pistes sur les psychologues. Mais pour un patient diabétique, le fait de ne pas bénéficier d’un diététicien est pénalisant. S’il est obligé d’aller à l’hôpital pour bénéficier d’une prise en charge de diététique, a-t-on vraiment répondu à ses besoins de proximité ?   Avec France Assos Santé, vous souhaitez que les usagers soient de véritables acteurs de ce système. Comment les intégrer ? C’est un petit changement de posture : dans la posture antérieure, les maisons de santé étaient le fruit de la réflexion de professionnels de santé - parfois accompagnés d’élus. Là, on change de regard. C’est désormais un souhait partagé avec les usagers de développer ces MSP pour qu’ils puissent en bénéficier au plus près de chez eux.  Dans plusieurs MSP, des usagers, parfois regroupés en association, participent à l’écriture du projet de santé initial. Il y a aussi des usagers qui portent des actions au sein de la maison de santé. Je pense à Bordeaux où une équipe a mis en place de l’activité physique et adaptée pour des patients atteints de pathologies chroniques. C’était eux qui prescrivaient l’accès à cet atelier et assuraient la gouvernance. Au bout d’un an, ce sont des usagers qui ont pris la main, et organisent les séances, les plannings, la communication, etc. Les patients peuvent aussi faire partie de l’évaluation : ils ne se privent pas de commentaires sur Google, peut-être qu’ils peuvent aussi participer à des réunions pour dire ce qui va ou ce qui ne va pas et faire des propositions. Ça se fait déjà dans des équipes suffisamment matures.   Quelle est l’ambiance du manifeste ? Ce manifeste n’a pas vocation à être réservé à la presse médicale. Il est, au fond, plutôt grand public. Il n’a pas vocation à convaincre des professionnels, mais plutôt à convaincre les usagers de prendre leur place dans ces projets de santé dans leur proximité, et de revendiquer un droit à la maison de santé dans leur quartier ou commune. On verra si les candidats à l’élection présidentielle se préoccupent de ce sujet, éminemment politique. La santé ne se limite pas à l’hôpital et à la ville, c’est l’affaire de tous. On ne peut pas avoir qu’un super système hospitalier, il faut qu’on ait un système d’organisation de ville qui soit aussi à la hauteur.

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