Vaccination anti-Covid-19 : une première stratégie

24/07/2020 Par Dr Alain Trébucq
Infectiologie
Une course effrénée au premier vaccin anti-covid-19 est lancée depuis plusieurs mois et pas moins de 131 candidats-vaccins sont actuellement en cours d’évaluation pré-clinique tandis que 17 sont déjà au stade de l’évaluation clinique. Et on peut raisonnablement penser que certains parmi ces derniers pourraient recevoir une autorisation d’utilisation chez l’homme au cours du dernier trimestre 2020, sur la base des essais de phase 3 actuellement en cours. C’est dans cette perspective que les membres du Care (Comité Analyse Recherche Expertise Covid-19), du Conseil scientifique Covid-19 et du Comité vaccin Covid-19 ont déterminé une stratégie de vaccination. Egora.fr vous rapporte ici l’essentiel de ce qu’il faut en retenir.

  Après le premier passage du virus sur le continent européen, l’immunité collective évaluée à partir de données séroépidémiologiques est à un niveau faible, de 6 à 15% au maximum, avec de fortes variations d’un pays à un autre. Un niveau très insuffisant pour assurer une protection en cas de second passage de ce virus qui, en attendant cette éventualité, circule encore à bas bruit dans plusieurs pays européens dont la France. Par ailleurs, aucun traitement médicamenteux n’a, à ce jour, apporté une preuve irréfutable de son efficacité, pas plus en traitement préventif que curatif. La vaccination reste donc le moyen potentiellement le plus efficace pour circonscrire la menace Covid-19. Ce que l’on sait de la réponse immunitaire au cours de l’infection SARS-Cov2 La quasi-totalité des patients infectés par le SARS-CoV-2 développent une réponse anticorps avec un temps média de séroconversion des IgG de 11 jours après l’apparition des premiers symptômes, atteignant un pic au 30e jour. Les taux d’anticorps sont corrélés de façon positive avec l’âge et la sévérité de la maladie, les patients asymptomatiques ayant des taux faibles. Ces anticorps persistent chez la plupart des patients convalescents, toutefois, une faible fraction de patients n’ont plus d’anticorps détectables plus de 2 mois après la guérison. Ces anticorps sont majoritairement dirigés contre les protéines de nucléocapside et la glycoprotéine spike. Durant leur convalescence, les patients produisent des anticorps neutralisants (AcN) contre cette protéine Spike, les taux de ces AcN étant corrélés positivement aux taux globaux d’anticorps, dont les IgG. Il est postulé que ces AcN exercent un effet protecteur contre le SARS-CoV-2, justifiant les essais actuellement en cours de thérapie par plasma de sujets convalescents. Les réponses immunes cellulaires (lymphocytes T CD8 et CD4) sont détectées chez 70 à 100% des patients convalescents. Réponse humorale plus réponse cellulaire seraient nécessaires pour assurer la clairance du virus. C’est donc sur ces bases que les candidats-vaccins pourront être biologiquement évalués, sachant que dans un contexte épidémique, il est souhaitable d’atteindre dès la première injection des titres d’AcN suffisants ainsi que de bonne réponses immunes cellulaires de type Th1. Mais peut-être sera-t-il nécessaire, pour cela, de procéder à 2 injections à 3 ou 4 semaines d’intervalle, soit par des vaccins de même nature, soit par des vaccins aux modes d’action complémentaires. Les premiers résultats dévoilés de vaccinations dans des modèles animaux (rongeurs ou primates non humains) démontrent la capacité des candidats-vaccins à induire après deux administrations des AcN et des réponses cellulaires de type Th1 mais à des taux relativement modestes. Une capacité protectrice contre l’infection est parfois mise en évidence mais pouvant, dans certains cas, être limitée à la réduction de la sévérité de la maladie. Populations prioritaires pour une vaccination anti-SARS-CoV-2 Si les personnes âgées de plus de 75 ans sont les plus vulnérables face à ce risque infectieux, ce sont aussi celles dont les réponses immunitaires sont les plus faibles suite à une vaccination. Les mesures-barrières devront donc rester en première ligne dans la protection de cette population vulnérable. Deux niveaux de priorité ont été définis. En rang 1, plus de 28 millions de personnes, à savoir les populations à risque d’exposition professionnelle, les populations vulnérables en raison de leur âge (plus de 65 ans) ou de leur état de santé, et les personnes vivant en situation de grande précarité. Les populations à risque d’exposition professionnelle : pour elles, deux niveaux de priorité ont été définis :

  • Priorité très élevée : les personnels soignants, les personnels au contact des populations les plus vulnérables (EPHAD, auxiliaires de vie, etc.), soit environ 1.8 million de personnes.
  • Priorité élevée : les personnes au contact de la population par leur profession (commerçants, guichets de fonction publique ou de banques, enseignants, personnel hôtelier ou de la restauration, transports, caissières…), soit environ 5 millions de personnes.

Populations vulnérables en raison de leur âge (plus de 65 ans) ou de leur état de santé (pathologies cardiovasculaires, HTA, diabète, obésité, affections respiratoires chroniques…) : cet ensemble représente pas moins de 23 millions de personnes, soit près du tiers de la population française. Les personnes vivant en situation de grande précarité : soit environ 250.000 personnes. En rang 2, environ 5 millions de personnes :

  • La population ultra-marine en cas de risque de pénurie de lits de réanimation,
  • Les personnes vivant dans les établissements fermés à risque accru de transmission. Il s’agit du milieu carcéral, des établissements pour personnes en situation de handicap, des hôpitaux psychiatriques,
  • Les personnes ayant un emploi stratégique : 150.000 policiers, 200 000 sapeurs-pompiers volontaires, 40.000 sapeurs-pompiers professionnels et 200.000 militaires actifs.

Au total, c’est donc 50% de la population qui devrait être prioritairement vaccinée !  

Ne pas méconnaître la sénescence immunitaire

C’est un apparent paradoxe. Alors que les personnes de plus de 75 ans ont payé le plus lourd tribut face à l’épidémie de Covid-19 et qu’elles devraient donc être la priorité des priorités parmi les populations cibles des futurs vaccins contre le SARS-CoV-2, ce sont sans doute aussi celles qui en bénéficieraient le moins en raison du phénomène de sénescence immunitaire. L’intensité et la valeur protectrice des réponses immunes aux vaccins est en effet significativement moindre chez les plus de 75 ans, ce qui souligne la nécessité d’explorer cette question dans les phases de développement clinique des vaccins. L’occasion aussi de rappeler que les mesures-barrières restent indispensables autour des personnes de plus de 75 ans en période épidémique, qu’il y ait ou non un vaccin !

Médecins généralistes, IDE et pharmaciens en première ligne L’expérience malheureuse de la vaccination anti-H1N1 qui avait shunté les acteurs du premier recours ne devra évidemment pas se reproduire. Il est recommandé une vaccination au plus près des personnes concernées, impliquant donc les médecins généralistes, les IDE, les pharmaciens mais aussi les acteurs de la médecine du travail, de l’hôpital et du monde médicosocial. En conséquence, une évolution des textes régissant la prescription et la réalisation de l’acte vaccinal anti-SARS-CoV-2 sera à prévoir et il faut sans tarder anticiper la formation des professionnels concernés. La campagne de vaccination qui serait mise en place devra également comprendre une dimension de rattrapage vaccinal, la crise sanitaire du printemps 2020 ayant engendré des retards de vaccination. Les comités recommandent également une réflexion sur les vaccinations contre la grippe saisonnière et anti-pneumococcique. Les comités recommandent enfin une mise à disposition du vaccin sans reste à charge, avec une couverture intégrale de son coût par l’Assurance maladie.     L’enjeu de la confiance Les controverses apparues lors de la désastreuse campagne de vaccination antiVHB de 1994 puis lors de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) en 2009 ont laissé de graves séquelles dans l’opinion publique, exposée par ailleurs aux fake news relayées par les médias sociaux. Rétablir la confiance est donc un enjeu majeur car en l’état, l’adhésion des Français n’est pas acquise. Quatre propositions sont donc faites :

  1. Simplicité de la mise à disposition du vaccin. Le circuit de vaccination (prescription, délivrance, injection) devra être le plus court possible et non chronophage.
  2. Communication transparente. La vaccination Covid-19 apparaît dans un contexte de fortes incertitudes, il est fondamental que celles-ci ne nourrissent pas les doutes sur la sécurité ou la capacité d’immunisation du ou des vaccin(s). Une communication transparente est donc indispensable, elle devra aborder toutes les questions possibles. Cette communication institutionnelle ne devra pas méconnaître une « contre-communication » hostile aux stratégies vaccinales, déjà en place, mais qui trouvera un regain de dynamisme en cas de déploiement d’une grande campagne de vaccination contre la Covid-19.
  3. Poursuivre les recherches. Notamment en épidémiologie et en sciences sociales, pour mieux cerner les populations cibles et pour mieux répondre aux réticences et aux doutes de ces populations à l’égard de la vaccination en général et de la vaccination anti-Covid-19 en particulier.
  4. Promouvoir une démarche de type « forum citoyen ». Cette démarche serait en effet de nature à favoriser la transparence, l’adhésion et la confiance, tout en favorisant la prise en compte d’exigences d’éthique, d’équité et de diversité des publics cibles.
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