Diagnostic, évolution de la prise en charge thérapeutique : un spécialiste fait le point sur les nouveautés dans l'insuffisance cardiaque

26/10/2021 Par A.V.
Cardio-vasculaire HTA
Des changements importants concernent à la fois le diagnostic et la prise en charge thérapeutique de l’Insuffisance cardiaque. L’enjeu est de de lutter contre le retard au diagnostic et contre l’inertie thérapeutique, alors que la pathologie est en pleine expansion.  À l’occasion des Journées francophones de l’Insuffisance cardiaque, des cardiomyopathies, de l’assistance et de la transplantation (JFIC-CAT) organisées par la Société Française de Cardiologie (SFC) les 30 septembre et 1er octobre 2021, le Pr Nicolas Lamblin*, président du groupe de travail Insuffisance cardiaque et cardiomyopathies (GICC) de la SFC, et chef du service Urgences et soins intensifs de cardiologie du CHU de Lille, revient sur les enjeux de cette pathologie. 

 

Egora-Le Panorama du Médecin : Quels sont les progrès diagnostiques et thérapeutiques récents dans l’insuffisance cardiaque (IC) ? 

Pr Nicolas Lamblin : La prévalence de l’IC est à mon avis sous-estimée, ainsi que le handicap et ses conséquences dans la vie quotidienne des patients et des aidants (étude Efhica’s de la SFC). Nous constatons, chaque jour, un retard au diagnostic, voire une errance médicale. Même dans le monde de la cardiologie, nous sommes trop souvent restés sur des physiopathologies et des concepts anciens. Par exemple, dès qu’un patient à risque cardiaque est essoufflé, de nombreux médecins font une recherche de maladies coronaires avec des épreuves d’effort, des coroscanners, des coronarographies. Or, les maladies du muscle cardiaque existent indépendamment de la maladie coronaire qui est une comorbidité mais pas toujours une cause. Parfois même, des stents sont mis en place retardant ainsi le diagnostic de l’IC. 

Nous avons connu de grandes avancées avec une connaissance de la physiopathologie de l’IC ainsi qu’une stratégie diagnostique et une exploration par les examens complémentaires améliorées. Par exemple, les dosages du peptide natriurétique de type B (BNP) ou le NT-proBNP sont maintenant clairement recommandés dès la suspicion d’IC. Ils devraient être plus utilisés en médecine de ville. Ces marqueurs orientent face à des points d'appel cliniques et permettent de réfuter ou de renforcer l’hypothèse d’IC. Et derrière, l’échocardiographie, plus précise et bien maîtrisée par les cardiologues, affirme le diagnostic d'IC.  

L’identification de nouvelles voies physiopathologiques et l’arrivée de nouveaux traitements améliorent la survie et le pronostic des malades. La nouvelle classe des inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose, les SGLT-2 inhibiteurs (dapaglyfloozine, empagliflozine, et probablement sotagliflozine qui n’a pas encore d’AMM en France) améliore les symptômes, réduit nettement les hospitalisations pour IC ainsi que la mortalité toutes causes. Ce sont des hypoglycémiants chez les diabétiques dont les bénéfices chez les IC (diabétiques ou non) semblent surtout sur l’hémodynamique rénale. Ils améliorent aussi nettement le pronostic des insuffisants rénaux, comme chez les IC, même lorsqu'ils ne sont pas diabétiques.  

Autre nouveauté : le vericiguat. Ce traitement diminue le taux de nouvelles décompensations itératives après une décompensation cardiaque récente chez les patients IC déjà traités. Dans l’étude Victoria cependant, le vericiguat n’a pas montré d’amélioration de la mortalité (cardiovasculaire ou totale).  

La prise en charge comporte aussi le traitement de l’étiologie quand c’est possible, et des comorbidités associées. Les dernières recommandations...

de l’European Society of Cardiology (ESC) insistent sur la nécessité du dépistage de la carence martiale et son traitement éventuel par fer injectable (carboxymaltose) car, dans l’IC, l’absorption digestive du fer oral est inefficace.   

Qu’apporte l’apparition du concept d’IC "midly reduced ejection fraction" dans les nouvelles recommandations ?  

Des travaux épidémiologiques et des analyses a posteriori de grands essais thérapeutiques ont montré que le groupe, appelé auparavant IC à "fraction d’éjection intermédiaire" ou "mid ranged" (FEVG comprise entre 41% et 49%), a des caractéristiques cliniques proches des IC à FEVG réduites (≤ 40%) en termes d’âge, de sex ratio, de diabète, d’hypertension. Deuxièmement, les patients à FEVG réduites améliorés sous traitement, viennent dans la catégorie des FEVG intermédiaires. Et troisièmement, la relecture des grands essais thérapeutiques pour les IC à FEVG > à 40%, montre un bénéfice probable (avec une ampleur de moindre importance) des thérapeutiques pour les FEVG au moins jusqu’à 50%. Cette classe intermédiaire est désormais appelée FEVG  "modérément réduite" ou "midly reduced ejection fraction".  Le terme "réduite" est introduit pour inciter les médecins à considérer et prendre en charge les patients de cette catégorie comme des IC à FEVG réduite. 

 

Que disent les nouvelles recommandations au niveau du traitement médicamenteux de l’IC ? 

Avant, la prise en charge était séquentielle. Les recommandations préconisent désormais de traiter dès le départ de l’IC (essentiellement en cas de fraction d’éjection réduite testée dans les études) avec les quatre classes de médicaments (ayant fait leurs preuves) en même temps : IEC ou association sacubitril/valsartan (qui, en plus de l'action bloqueur de l’angiotensine 2, inhibe la néprilysine et potentialise l’action des peptides natriurétiques), bêtabloquant, bloqueur du minéralocorticoïde et inhibiteur du SGLT2. Mais ces études ont été réalisées avec des médicaments mis les uns après les autres. Et si nous pouvons penser que le bénéfice sera au rendez-vous, le traitement avec tous ces médicaments indiqués d'emblée pose la question de la tolérance. Ce choix est essentiellement porté pour lutter contre l’inertie thérapeutique et traiter au plus tôt afin d’éviter les réaggravations précoces. 

Les recommandations ne précisent pas, chez un malade inaugural, s’il faut instaurer d’emblée un IEC et du sacubitril / valsartan. Le choix est laissé aux médecins. Le niveau de preuve pour introduire le sacubitril / valsartan d'emblée est moindre qu’en seconde intention. Les recommandations préconisent également que tous les traitements soient introduits à petites doses, lesquelles seront par la suite augmentées.  

 

L’amylose cardiaque à transthyrétine est une nouvelle pathologie à prendre en charge ? 

De 10 à 13% des patients à fraction d’éjection préservée (ICFEp) ont une amylose à transthyrétine (trois hommes pour une femme au-delà de 80 ans). Il ne s’agit pas de la maladie familiale à transthyrétine mutée, ni d’une amylose AL (à chaine légère), maladie hématologique. C’est un mécanisme de dégénérescence accélérée du myocarde, qui serait presque physiologique chez des centenaires (études histologiques). La maladie se présente comme une ICFEp pour laquelle le muscle cardiaque est trop épaissi (≥ 12 mm). Le premier progrès majeur est dans le diagnostic. Avant, il fallait faire des biopsies (glandes salivaires, graisses péri-ombilicales, voire biopsies endomyocardiques) pour prouver des dépôts amyloïdes et les typer. Aujourd’hui, la réalisation d'une scintigraphie aux radiotraceurs osseux permet de voir une fixation du myocarde lorsqu’existent des dépôts de transthyrétine. C’est un examen simple, disponible et sans danger. 

Le second grand progrès est une thérapeutique innovante spécifique de l’amylose à transthyrétine : le tafamadis. Elle stabilise la transthyrétine circulante et freine les dépôts amyloïdes. Dans l’étude publiée en 2018, l’amélioration de la mortalité toutes causes, des symptômes et des décompensations ainsi qu’une très bonne tolérance ont été démontrées. Les analyses épidémiologiques observationnelles vont dans le même sens.  

 

Faut-il traiter d’emblée un patient post-infarctus comme un IC ? 

Les patients ayant eu un infarctus de taille suffisamment importante deviendront (s’ils ne le sont pas d’emblée) IC dans les 5, 10 voire 15 ans. La nécessité ou non d’un traitement contre l’IC pour éviter ou retarder sa survenue est régulièrement évaluée. Les médicaments auront-ils plus d'effets indésirables qu’ils n’auront d'effets...

bénéfiques tant que les patients n’ont pas d’IC ? Certaines molécules doivent être prescrites dès le post infarctus : IEC, bêta bloquants, bloqueurs de minéralocorticoïdes. Mais l’étude Paradise-MI a testé l’hypothèse du sacubutril / valsartan versus valsartan seul, après un infarctus de taille suffisante et avec des critères de sévérité. Avec un suivi relativement court d’environ deux ans, cette étude montre que le bénéfice n’est pas important (mais il se peut que ce suivi soit trop court puisque l’IC n’arrive qu’après de nombreuses années).   

Que disent les recommandations concernant les vaccinations chez les  IC ? 

Les études dédiées n’existent pas mais les précédentes recommandations jugeaient déjà préférable de leur proposer une vaccination, en particulier contre les agents infectieux provoquant des infections respiratoires, bronchites et/ou pneumopathies, facteurs déclenchants fréquents de décompensations cardiaques. Les IC sont aussi dans 25 à 30% des cas atteints de bronchite chronique ou de maladies respiratoires chroniques associées et donc sujets à des aggravations. Récemment, nous (GICC de la SFC) avons associé la vaccination anti-Covid à celles contre la grippe et les pneumocoques déjà recommandées. Durant cette épidémie, de nombreux patients cardiaques ont eu une infection Covid plus grave, sont décédés ou ont fait une décompensation cardiaque nécessitant une hospitalisation. Une étude mondiale, rapportée lors du Congrès européen, a inclus et randomisé les patients avec infarctus récent entre vaccination contre la grippe ou placebo puis les a suivis en périodes d'épidémies grippales. Les résultats ont montré une diminution de la mortalité totale des patients vaccinés. Nous pouvons penser que les conclusions seraient semblables dans l’IC. Le "nous pouvons vacciner" doit devenir "nous devons".  

 

Quel est le risque encouru par les patients Covid ayant fait une myocardite de développer à distance une chronicité de celle-ci ou une IC ? 

D’une part, la plupart des myocardites liées à la Covid étaient tout à fait modestes avec peu de douleurs thoraciques, un petit peu de troponine, une IRM montrant les myocardites mais sans dysfonction ventriculaire gauche. D’autre part, beaucoup de patients ont fait une souffrance myocardique avec une élévation de la troponine et une pneumopathie Covid mais sans faire forcément une myocardite. Enfin, d’autres patients ont vraiment fait une myocardite et chez certains d’entre eux quelques formes très graves comme les myocardites fulminantes que nous voyons avec d'autres virus.  

Nous ne savons pas quels seront les risques de développer une insuffisance cardiaque après la survenue d’une myocardite. Je pense que, à l'instar des autres virus, les patients qui n'ont pas eu de forme grave au départ ne devraient pas développer une maladie grave plus tard. Ceux qui ont eu une forme grave et se sont améliorés sont à surveiller. Mais comme il s’agit d’une agression inflammatoire du myocarde, je ne suis pas sûr qu'ils développent une insuffisance cardiaque sévère à distance. Mais je reste toujours très prudent sur l’avenir…  

Le dernier point, chez les sujets jeunes, nous voyons aussi des myocardites après vaccination anti-Covid après quelques jours, voire jusqu'à 3 semaines après une injection. Mais à ce jour, ce sont des formes vraiment bénignes sans dysfonction ventriculaire gauche, même s’ils sont surveillés trois ou quatre jours à l’hôpital. Je ne pense pas qu’ils développeront une myocardite chronique ou une insuffisance cardiaque post-Covid.  

 

Quelle nouvelle organisation du parcours de soin de l’IC ? 

Il est nécessaire de casser les barrières entre les différents acteurs de santé et d'aller vers plus de coopération et donc de coordination. Encore récemment, un gériatre me disait que son patient n’avait pas le bon traitement, mais qu’il n’osait pas modifier la prescription du cardiologue. Si le gériatre est compétent, formé, et qu’il a un doute, il doit appeler le cardiologue. Le gériatre doit pouvoir modifier les traitements, tout comme le médecin traitant qui doit s'impliquer dans l'adaptation du traitement. Ils ne doivent pas attendre la consultation annuelle du cardiologue. 

Je plaide, dans certains cas, avec un protocole établi par le cardiologue traitant, pour que l’infirmière puisse monter les doses de médicaments. Et qu'elle appelle le médecin si cela ne convient pas. Les pharmaciens d'officine pourraient également augmenter les doses. Il ne s’agit pas qu’ils introduisent une nouvelle molécule bien sûr, le projet global reste au cardiologue qui fixe les lignes. Cela implique que chacun des acteurs soit d'accord avec les autres. C'est très innovant en France mais le Canada, la Scandinavie, la Belgique ont de l'avance sur nous. La France est un peu "coincée" entre les prérogatives des différentes acteurs de soins, leurs corporations, une prise en charge historique et une résistance au changement. Cette nouvelle organisation doit s’accompagner en douceur et en bonne intelligence. 

*Le Pr Nicolas Lamblin déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Amicus Therapeutics, Alnylam, Akcea,, Astra-Zeneca, Bayer, BMS, Boehringer-Ingelheim, MSD, Lilly, Novartis, Pfizer, Sanofi, Vifor. 

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