JO 2024 : le système de santé est-il prêt ?
Plus que 16 semaines avant le coup d’envoi des Jeux Olympiques et Paralympiques. L’événement alimente certaines inquiétudes en termes de risques sanitaires alors que plus de 16 millions de visiteurs, 15 000 athlètes, 45 000 volontaires, 25 000 journalistes sont attendus en Île de France et dans les villes hôtes. Un défi organisationnel pour le système de santé qui risque la surchauffe en cas d’afflux massif de patients.
Les Jeux Olympiques (26 juillet - 11 août) et Paralympiques (28 août - 8 septembre), et leurs rassemblements d’envergure inhérents, soulèvent la question des risques sanitaires. En Île de France, l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris attend près de 2 millions de visiteurs étrangers (57% d’européens, 43% de longs courriers) et 13,4 millions de nationaux (la moitié de franciliens) soit, par rapport à un été « normal », environ 1 million de personnes supplémentaires. Bordeaux, Nantes, Lyon, Saint-Etienne, Nice, Marseille, Lille et Tahiti se répartiront un peu moins de 1 million de visiteurs.
Dans son document confidentiel d’analyse nationale des risques (ANR), le Centre de renseignement olympique a identifié 261 risques possibles (dont une quarantaine d’ordre sanitaire) et 1 500 contre-mesures associées. Si les risques terroristes, notamment biologiques (botulisme, anthrax, ricine) figurent aux premiers rangs, ceux liés à la canicule et à la sur-occupation des services d'urgence en pleine période estivale sont en bonne place.
Un terrain propice à la circulation d’agents infectieux
Sollicitée par la Direction générale de la Santé (DGS) et la Délégation interministérielle aux Jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) pour la construction d’une cartographie des risques à identifier, Santé Publique France (SPF) précise que « les toxi-infections alimentaires collectives et autres infections alimentaires, les arboviroses ou encore la rougeole » font partie des « principaux risques infectieux » pointés. En raison de l’implantation d’Aedes albopictus dans plus de 70 départements de la France métropolitaine, les arboviroses (dengue, Zika et chikingunya) sont un enjeu. Dans son dernier rapport, SPF recense 2 019 cas importés de dengue et 45 issus de 9 foyers de transmission autochtones (en Paca, Occitanie, Auvergne Rhône-Alpes mais aussi en Île de France) en 2023. Pour la Pre Dominique Costagliola, directrice de recherche Inserm, Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de santé publique : « Une diffusion locale liée à une importation de cas pourrait être possible. C'est une situation que nous ne craignions pas il y a quelques années… ». « Nous sommes très méfiants à l’égard de l'augmentation des cas de dengues autochtones. Le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaire (Covars) avait demandé que des simulations du déclenchement d’un plan ORSEC dengue soient faites en métropole à Paris et dans certaines villes de province notamment en Occitanie mais, à ma connaissance, cela n’a pas été fait », souligne aussi le Pr Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l'Hôpital Tenon et vice-président de la Société française de lutte contre le sida.
D’autre part, bien que difficile à évaluer, les experts alertent sur un risque de diffusion d’infections sexuellement transmissibles (IST). « Avec une ambiance festive et un public jeune, nous pouvons craindre des rapports non protégés et une recrudescence d’IST. Les demandes de prescriptions de traitement post-exposition contre le VIH ou de dépistage d’autres IST (syphilis, gonocoque, chlamydia…) risquent d’augmenter. Lors des JO de Londres, une baisse des passages aux urgences mais aussi une hausse des consultations dans les Centres de santé sexuelle avaient été observées », précise la Pre Costagliola.
La surveillance sanitaire suffisamment dimensionnée pour détecter en temps réel un foyer infectieux ?
Au regard des risques identifiés, SPF indique « mettre en œuvre un dispositif de veille et de surveillance sanitaires renforcé pendant les JOP […] qui s'appuiera majoritairement sur les systèmes de surveillance existants comme SurSaUD (données des passages aux urgences du réseau Oscour, de SOS Médecins,…), celui des maladies à déclaration obligatoires (MDO), celui de surveillance microbiologique des Centres nationaux de référence (CNR) ainsi que ceux émanant des réseaux de laboratoires, médecins et services hospitaliers volontaires. De nouveaux systèmes seront également opérationnels au cours de cette période comme une veille internationale des signaux infectieux assurée avec l’appui de l’European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC), ou une surveillance menée en partenariat avec la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris. Ces nouveaux systèmes de surveillance pourraient perdurer après les JOP ».
« À Londres, la variole du singe avait été identifiée dans les eaux usées quasiment en même temps, si ce n'est avant les formes cliniques. Les eaux usées étant un très bon marqueur prédictif, est-il prévu d’étendre la surveillance microbiologique de SUM’Eau [actuellement réservée à la circulation du Sars-CoV-2] à d’autres agents pathogènes ? », interroge le Pr Pialoux. À cette question, SPF annonce qu’une extension de SUM’EAU « pendant les JOP et après, constitue une perspective prometteuse […] et que des travaux sont actuellement en cours sur le sujet pour évaluer la faisabilité ».
Un engorgement des services d’urgences est-il à craindre ?
Pour l’accueil de publics spécifiques, l’offre de soins est organisée : la polyclinique du village olympique et l’hôpital Bichat pour les athlètes, l’Hôpital Européen Georges-Pompidou pour les délégations et l’Hôpital Avicenne pour les journalistes.
Concernant l’accueil du public général, l’ARS Île de France prévoit une hausse de la fréquentation des urgences hospitalières de 5 % (soit en moyenne 150 passages aux urgences supplémentaires par rapport à une activité normale) et demande aux établissements situés à proximité des sites de compétition d’avoir des capacités « en termes de ressources humaines et de lits légèrement supérieures à un été standard ». Elle indique que « les capacités d’accueil des maisons médicales de garde pour les soirs et le week-end seront augmentées ». Du côté de l’AP-HP, les plannings d’été, associés à une valorisation salariale pour les employés, sont en train de s’écrire avec, en prévision, le renfort d’environ 730 professionnels médicaux et paramédicaux et l’ouverture de 360 lits supplémentaires.
Pour le Pr Pialoux : « Si aucun imprévu ne survient, l’organisation est globalement assurée. Je pense toutefois qu’il faut deux niveaux de réponses : non seulement celui, déjà dense, associé aux risques prévisibles mais également un deuxième permettant de faire face à l’imprévisible. Le Covid et la variole du singe nous ont appris l’humilité… […] Je vois trois points de difficultés, épinglés notamment par la commission des lois de l'Assemblée nationale en 2023. Le premier concerne certains sites olympiques qui sont des déserts médicaux. La moindre surcharge sera pénalisante. Le deuxième porte sur les risques infectieux imprévisibles. Personne n'avait prédit ou vu arriver la variole du singe à l’été 2022. Or, cette épidémie a désorganisé de manière aiguë des services et des urgences en plein été. Aucun scénario ne prévoit ce type d’événement et rien ne nous empêche de penser qu’une énième vague de Covid, avec un nouveau variant plus transmissible, ou plus pathogène puisse se superposer à une résurgence de la variole du singe ou autre. Cela compliquerait la prise en charge dans le service d’urgence d’un hôpital public déjà en difficulté de manière chronique et qui accueille, classiquement durant l’été, une augmentation des pathologies. Le troisième point concerne les accidents d’exposition aux IST. Le Centre Gratuit d’Information, de Dépistage et de Diagnostic (CeGIDD) de Bichat-Claude-Bernard est fléché comme lieu d’accueil de ces cas. Or, d’une part son fonctionnement restera à moyens constants et d’autre part, un certain nombre de personnes concernées se rendront spontanément plutôt dans l’hôpital ou le service de santé local proche de leur hôtel, ce qui est difficilement quantifiable… ».
Quelle place pour la médecine de ville dans l’écosystème des JO ?
Questionnée le 5 mars au Sénat sur ce point, Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des JOP répondait : « Nous réfléchissons avec Frédéric Valletoux à la manière d’associer la dimension des médecins libéraux à notre effort collectif en faveur de la santé, pour lequel tout est anticipé, y compris les situations sanitaires exceptionnelles, qui font l’objet […] de plans d’action spécifiques complémentaires ». À quatre mois de la cérémonie d’ouverture des JO, la Fédération des médecins de France nous indique ne pas avoir été, à ce jour, associée à ces plans. « Les médecins libéraux assureront leur fonction comme chaque été et comme lors de toutes manifestations spécifiques. […] Même si 20 scénarios sont déjà prévus, c’est souvent le 21ème qui arrive. Nous avons l’habitude de faire preuve de souplesse… », rappelle la Dre Patricia Lefebure, présidente de la Fédération des médecins de France (FMF). Pour le Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins : « Nous pouvons raisonnablement nous inquiéter de risques de tensions hospitalières lors des JO. Notre principal objectif sera de ne pas provoquer d'engorgement dans les hôpitaux en ne traitant pas les urgences pouvant être prise en charge en ville. C'est notre rôle tout au long de l'année mais nous y sommes davantage sensibles pendant les périodes de grands rassemblements ».
Références :
D’après des entretiens avec les Prs Dominique Costagliola (Inserm, Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de santé publique), G. Pialoux (Hôpital Tenon et vice-président de la Société française de lutte contre le sida), et les Drs Patricia Lefebure (présidente de la Fédération des médecins de France), et Jean-Christophe Masseron (président de SOS Médecins),
Autres sources : ARS île de France, INSERM, Public Sénat, Cours des comptes.
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