"L'État traite ses médecins comme de la merde" : portrait d'un jeune président de l'Ordre qui agite l'institution

02/02/2023 Par L. C.
Portrait
Il y a deux ans, le Dr Julien Cottet, alors âgé de 36 ans, a pris les rênes du conseil de l’Ordre des médecins d’Eure-et-Loir. Un devoir pour l’allergologue qui, depuis son installation, était témoin du "désespoir" de ses confrères abandonnés par l’Etat et victimes de l’agressivité montante de la population, désespérée. Le praticien a multiplié les actions et les déclarations choc pour défendre ses pairs, au risque de déplaire au Conseil national de l’Ordre, dont il dénonce l’inaction. Rencontre avec un agitateur qui assume.

 

Il porte un jean troué tendance, un pull fin bleuté remonté aux coudes laissant apparaître des inscriptions japonaises sur ses avant-bras que je ne comprends pas. "Ce sont les valeurs du bushido : le respect, le courage, la politesse, l’altruisme…", explique le Dr Julien Cottet. Le code de conduite du samouraï précisément. "C’est de ça que je m’inspire quand j’ai besoin, c’est ce qui guide un peu ma vie." Aller au front, à l’instar d’un guerrier dévoué, cela semble être dans les habitudes de l’allergologue de 38 ans. 

Il y a deux ans, le praticien, installé dans une résidence récente du centre-ville de Chartres, s’est présenté pour devenir le nouveau président de l’Ordre des médecins d’Eure-et-Loir avec la volonté viscérale de faire bouger les choses. "Je ne voulais plus entendre et lire ‘que fait l’Ordre ?’", confie-t-il. "Le Conseil national de l’Ordre (Cnom) ne va pas au combat" pour défendre les médecins, lance-t-il, désapprobateur. Or "c’est ce qu’ils attendent", "c’est la seule et unique institution qui peut défendre tous les médecins", quels que soient leur statut et leur spécialité. 

Un verbe franc qui a su convaincre ses électeurs, qui ont fait de lui le plus jeune président d’un CDOM. Un rôle de leader qui n’a pas effrayé un instant le Dr Cottet, qui dirige désormais l’instance locale avec un style qui détonne. Sans détours ni démagogie. Résultat : "On ne fait plus de reproches à l’Ordre du 28." "Il est jeune, avec un bureau renouvelé, on se bouge, on a inventé des choses : on fait des visites de cabinet, on accueille des nouveaux, on fait des formations pour les internes et les installés…" Avec l’association Jeunes médecins du 28, qu’il a fondée, il organise aussi des soirées anti-burnout. 

Peu adepte "de la parlotte" et "des communiqués de presse", l’allergologue préfère agir. Dans son territoire – "le plus grand désert" de France – le défi était de taille. Il y a plus d’un mois, il a organisé un rassemblement choc devant la préfecture pour alerter sur la dégradation des conditions d’exercice et l’agressivité montante envers les soignants : plus de 100 praticiens ont répondu à son appel et se sont agenouillés devant le bâtiment, stéthoscope autour du cou en position d’étranglement, leur plaque entre les mains et la bouche muselée. Synonyme de mort de la médecine.  

"Il n’y a pas une semaine où un médecin ou une assistante ne se fait pas agresser", s’insurge le Dr Cottet, lui-même victime il y a quelques années d’une agression suivie d’une séquestration dans son cabinet par un père de famille qui exigeait un rendez-vous pour ses enfants. "On ne cautionne pas, mais on comprend l’agressivité des patients. C’est un syndrome horrible", confie l’allergologue, qui avait installé une caméra dans son cabinet avant de la retirer car "ça n’a pas réglé le problème". "C’est parce que c’est un désert, que les gens sont en souffrance, qu’il y a un énervement." 

Ce que le jeune président de CDOM juge par-dessus tout intolérable en revanche, c’est l’inaction de...

l’Etat. "Les politiques ont fait la sourde oreille" face aux appels à l’aide des territoires qui voyaient venir la catastrophe. Il y a une dizaine d’années, Julien Cottet, alors interne, avait déjà tenté d’ouvrir les yeux aux élus. A cette époque, "on commençait à créer des MSP*, tout le monde s’est moqué de moi quand j’ai dit qu’on allait créer un désert dans le désert. Je n’avais pas encore l’aura que j’ai maintenant, pas les moyens de diffusion de l’information." 

La situation actuelle ne peut qu’illustrer l’échec des politiques nationales, qui ont vidé des communes au profit d’autres, accuse l’allergologue : à Chartres, 18 généralistes sont partis à la retraite l’an dernier pour deux installations seulement. Bilan : "40 000 patients sur le carreau en janvier 2023." Et combien de praticiens au bord de la rupture ?  

 

"L’Etat a monté les gens contre nous" 

"L’Etat français traite ses médecins comme de la merde", s’emporte le représentant des praticiens euréliens. Pire, "il a monté les gens contre nous", estime-t-il. D’abord, "en faisant croire que les études de médecine coûtent de l’argent à l’Etat". Un discours "mensonger" qui a eu pour conséquences de faire penser aux Français qu’ils sont en droit venir chercher "un service" dans les cabinets libéraux ; mais aussi de participer à la chute du médecin de sa position de notable, jadis pourtant incontestable. "Lorsqu’on reçoit des courriers de la Sécu, on nous appelle Monsieur ou Madame, plus Docteur, c’est assez révélateur."  

Une déconsidération à laquelle ne peut se résoudre le Dr Julien Cottet, qui n’a pas grandi dans une famille de médecins. "Mon père était concessionnaire automobile, ma mère, malade, gérait des restaurants à Paris. C'était une enfance très atypique, chaotique. Je me suis forgé ma propre vision du médecin." Celle d’un scientifique, proche de ses patients, d’un homme respecté et respectable, explique-t-il, les yeux brillants. "Aujourd’hui en tant que président de CDOM, je me bats pour l’image que je me suis construite." Le contexte actuel rend toutefois la tâche ardue. D’un côté, "on tue la médecine avec le télésoin, les plateformes" – responsables de la "déshumanisation du parcours de soins", de l’autre on "pond des lois délétères". 

L’agacement se lit instantanément dans son regard cristallin. La colère ne retombe pas. "L’accès direct est une hérésie !" lance-t-il, cinglant "la nullité confondante et l’hypocrisie incroyable" des politiques. "Si j’étais président du Cnom, Stéphanie Rist [députée à l’origine de la loi sur l’accès direct, NDLR], je la poursuivrais en commission disciplinaire , s’emporte-t-il. Et François Braun aussi." Car "on fait croire aux Français qu’ils vont pouvoir être suivis par d’autres professionnels qui n'ont pas fait médecine parce qu’on part du postulat qu’ils vont bien, mais on n’en sait rien !" argumente le Dr Cottet, alertant sur la dangerosité de la mesure. "Si elle passe, je quitte la médecine !" 

Alors que la proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale, le trentenaire blâme le manque de réactivité des syndicats et de l’Ordre devant la menace. Lors de ses vœux, le Dr François Arnault, à la tête du Cnom, s’était pourtant montré ferme face à Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé. "Le médecin traitant doit être la porte d'entrée dans le soin, et le verrou contre une médecine à deux vitesses", martelait-il, voyant le chiffon rouge des transferts de compétences s’agiter vigoureusement. 

Pas assez convaincant pour Julien Cottet. "L’Ordre n’a pas fait son boulot. C’est un discours, j’en fais aussi, quand est-ce qu’on passe à l’action ? Les syndicats et l’Ordre n’ont toujours pas compris qu’il y avait le temps médical, politique et médiatique. C’est la bataille médiatique qu’il faut d’abord gagner. Ils sont complétement dépassés par les événements. Les syndicats se réunissent maintenant, mais on ne se bat pas contre une loi après qu’elle a été votée !" juge-t-il âprement. "Ça va nous tomber dessus, tout comme la coercition, et l’Ordre est nulle part." 

Le Dr Cottet assure pourtant avoir prévenu, sans succès. Il déplore que le Cnom ait fait cavalier seul. Un épisode a particulièrement fait bondir l’allergologue : lorsque...

le Cnom au travers du Comité inter-ordres de santé (Clio) s’est positionné en faveur du partage d’actes entre soignants, avant de rétropédaler et d’éteindre l’incendie quelques jours plus tard, "sous la pression des syndicats", selon le Dr Cottet. "Il s’est permis de faire un communiqué sans nous demander notre avis mais il ne faut pas oublier que le Cnom n’est rien du tout. Les CDOM sont la base. On lui a donné mandat pour nous représenter, pas pour parler à tout bout de champ." 

Cette opposition, le jeune médecin ne craint pas de l’affirmer. En septembre dernier, il a d’ailleurs refusé de se rendre à l’assemblée générale des présidents des conseils départementaux organisée par le Cnom, à Paris. "C’est là que ça a explosé." Une décision prise après avoir pris connaissance de l’ordre du jour : "Il n’y avait pas un mot sur nos problèmes internes, notamment les délais pour les commissions disciplinaires qui font qu’on ne peut même plus juger les gens, ou les délais pour les formations restreintes, dont les conclusions sont parfois ahurissantes : on laisse des types qui sont bourrés 24h/24 travailler !" 

La déception avait déjà été grande en avril, lors d’une précédente assemblée, pour le plus jeune représentant local. "Je n’ai jamais vécu un tel moment de solitude", confie-t-il. "Il ne s’est rien passé, on nous a lu des rapports de commission. Merci mais on pouvait nous les envoyer par mail !" s’offusque le Dr Cottet, qui déteste "les grands-messes". Une attitude qui n’a pas plu, reconnaît-t-il. Il y a deux semaines, le Cnom lui a rendu visite. "Les personnes qui sont venues ont fait un aveu d’échec total. Quand je leur ai fait part de nos difficultés sur le territoire, on m’a dit ‘on sait, on ne peut pas, l’Ordre n’est pas là pour ça’…" "A chaque fois l’Ordre se retranche en disant qu’il n’est pas un syndicat, mais les médecins paient tout de même 340 balles par an pour qu’on les défende !" 

 

"Un petit con" 

Pour le Cnom, "je ne suis qu’un petit con qui ne connaît rien, est ambitieux, parle trop sans réfléchir", lance l’allergologue, qui, plus jeune, était déjà habitué à être le "mauvais (bon) élève" malgré des notes excellentes. "J’ai toujours été le premier depuis le CP mais je n’avais pas les félicitations. Au lycée, on me disait que je ne ferai rien de ma vie, que je n’aurai pas médecine. Toutes les conneries qu’il fallait faire, je les ai faites." Des réprimandes qui n’ont pas altéré sa façon de voir les choses au fil des années. "J’ai voulu dépoussiérer l’Ordre. Vous ne pouvez pas réformer le Cnom donc il faut changer la base", explique-t-il conquérant. 

Son objectif : "faire tache d’huile" grâce à ses coups médiatiques et actions de terrain afin d’inciter les jeunes à s’emparer de la tête des instances dans les autres départements. "On laisse une génération [au sommet] qui ne représente pas la profession. Or nous sommes dans le parcours de soins." "Après on arrivera au CROM et au Cnom. Ça prendra peut-être dix ans mais au moins on arrivera à inverser la tendance. C’est pour le bien de l’institution, sans quoi, elle va mourir." 

Le praticien se dit "fait" pour ce rôle de "modernisateur". De perturbateur ou de rebelle, diraient certains. "C’est ce qu’on a fait à la Société française d’allergologie (SFA) avec Pascal Demoly : on a tout jeté, on a changé les statuts, le règlement intérieur, la composition du bureau, les partenaires, le site, le comité scientifique… Elle est en train de prendre une ampleur phénoménale, mais ça s’est fait dans le dur", explique le challenger, pour qui "il faut tout revoir à zéro" avec le Cnom. 

Le praticien, père de deux enfants, n’entend pourtant pas se représenter pour un second mandat – le premier prend fin au 31 décembre 2023. Il l’avait promis. "J’ai toujours dit que je ne ferai pas plus." Il compte honorer ses autres mandats dans les sociétés savantes, qui doivent prendre fin en 2025, avant de devenir professeur de judo en parallèle de ses consultations, intouchables. "J’entends dire que je fais tout ça pour être ministre. Ces gens-là n’ont rien compris. Je n’ai aucune ambition. Je viens, je modernise, je bouge et je m’en vais. Ça a toujours été comme ça depuis que je suis jeune..."

  *Maisons de santé pluriprofessionnelles  ** Association nationale des étudiants en médecine de France 

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