Séquestré par un patient, ce médecin installe une caméra dans son cabinet : "On a monté les gens contre nous"

C’est une décision qu’il avait toujours refusé de prendre : installer une caméra de surveillance dans son cabinet. Pour le Dr Julien Cottet, allergologue installé à Chartres depuis sept ans, le cabinet devait rester un "lieu de bien-être, pour que ses patients – surtout des enfants et des jeunes adultes – ne soient pas anxieux lorsqu’ils arrivent". Le sien est installé dans un appartement décoré, avec plusieurs salles accueillantes. Une pièce est dédiée aux enfants : on y trouve une décoration Star Wars, des jouets, des figurines. "Je ne voulais pas que mon cabinet soit un centre de rétention, ce n’était pas ma vision de la médecine", confie-t-il à Egora.
Mais en décembre dernier, une agression a fait changer d’avis le praticien de 37 ans, également président du Conseil départemental de l’Ordre d’Eure-et-Loir. Un homme s’est introduit dans son cabinet, "pas content". "Il voulait que je vois ses deux enfants. Il avait triché sur Doctolib, n’avait pas de courrier de médecin, pas de carnet de santé, pas de rendez-vous pour les deux. Il a fermé la porte de mon bureau, m’a gardé enfermé à l’intérieur, et m’a tordu le bras", raconte le Dr Cottet. S’il a aussitôt fait une déclaration à l’Ordre, ce dernier n’a pas porté plainte : "Je n’ai pas que ça à faire, je vois 40 patients dans la journée, plus le reste de mes activités, je ne peux pas me permettre d’aller à la gendarmerie."
Une chose est sûre : l’agresseur ne remettra pas les pieds dans son cabinet, assure-t-il. Le Dr Julien Cottet a également transmis son nom à son unique consœur allergologue en Eure-et-Loir. "Il est grillé dans le département. C’est comme cela qu’on fait. On est que deux, donc on s’entraide, on s’échange les noms. Quand un patient est un peu agressif ou ne vient pas à un rendez-vous, on les blackliste. Ils n’ont qu’à aller voir ailleurs !", nous explique-t-il.
"Contraint et forcé", le médecin a donc installé une caméra. Malgré les vols successifs qu’il a subis –de papier toilette, tableaux et autres objets déco – il ne voulait pas en mettre parce qu’il avait "confiance en [ses] patients". Aujourd’hui, il se dit déçu et assure comprendre les médecins qui partent avant l’âge de la retraite ou se détourne du libéral. Dans sa salle d’attente, désormais, une affiche prévient les patients : "souriez, vous êtes filmé", suivi de : "S’il vous plaît, respectez ce lieu, le médecin et son assistante qui font de leur mieux pour vous." Les premiers retours sont plutôt positifs, note-t-il. "Les patients comprennent, se disent outrés, ne se rendaient pas compte de ce que l’on vit."
"Mes confrères m’ont dit que je n’avais qu’à les écouter", explique le praticien. Nombre de médecins euréliens ont en effet déjà opté pour cette "solution" pour se protéger des agressions et des vols. Pour les mêmes raisons, toutes les pharmacies d’Eure-et-Loir ont, elles aussi, des caméras : "Avec les queues interminables pour les tests, il y a eu des bagarres entre patients. Les policiers sont intervenus trois fois en une semaine dans une ville près de Chartres. C’est n’importe quoi. Les gens font la queue, s’énervent, ne peuvent pas remettre leurs enfants à l’école."
"Qu’ils aillent hurler sur le médecin qui se dore la pilule à Marseille"
Du haut de ses 37 ans, l’allergologue déplore un climat de tension qui s’intensifie de jour en jour, rendant l’exercice de la médecine plus compliqué encore. "Quand j’étais interne et que je remplaçais dans les années 2013-2014, je voyais déjà les secrétaires et les assistantes se faire enguirlander à longueur de journée. Quand j’ai commencé mon activité, elles étaient tous les jours agressées verbalement au téléphone, se souvient le praticien. Et puis cette agressivité s’est petit à petit transposée des secrétaires et assistantes aux médecins."
Le plus jeune président d’un CDOM, élu en janvier 2021, identifie deux raisons à cette montée fulgurante de la violence. D’abord, la démographie médicale : "Pourquoi vous ne me recevez pas, Docteur ?" "Pourquoi vous ne prenez pas de nouveaux patients ?" Cette agressivité "vient de l’incompréhension", analyse le Dr Cottet. "Les patients ne comprennent pas que le médecin n’y est pour rien dans le fait que le Gouvernement n’a rien fait depuis trente ans. Et que ce n’est pas sur les médecins qui travaillent dans un désert qu’il faut crier. Qu’ils aillent hurler sur le médecin qui se dore la pilule à Marseille ou à Aix-en-Provence, où ils sont trop nombreux, je veux bien. Mais sur les jeunes qui ont fait le choix d’être dans des déserts…"
Et puis il y a toutes les autres agressions...
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