Alors que le tabagisme masculin a nettement reculé depuis les années 1970, son pendant féminin s’est envolé au cours de la même période : 18,8% des femmes étaient fumeuses en 1980, 27,7% en 2012. Il s’agit là d’une spécificité bien française : au Royaume-Uni, la prévalence de tabagisme chez les femmes a diminué de moitié dans le même temps. Or, depuis quelques années, la tendance semble enfin à la baisse en France. Entre 2016 et 2019, la proportion de fumeuses quotidiennes est passée de 26% à 20,7%, selon des chiffres de Santé publique France (SPF)(1).
Rien n’est pourtant gagné : lors de la crise de Covid-19, la courbe est repartie à la hausse, remontant en 2021 à 23% des femmes fumant de manière quotidienne, avant de reprendre sa baisse en 2022 (21,7%)(2). De même, le déclin amorcé en 2016 n’est constaté que chez les femmes jeunes. Chez les 18-24 ans, la proportion de fumeuses est passée d’environ 40% en 2000 à 27,9% en 2021. Chez les 55-64 ans, elle a au contraire doublé dans le même temps, atteignant 21,6% en 2021.
Chez les moins de 65 ans, un décès sur cinq est lié au tabac
Bilan de décennies de tabagisme galopant, son impact sanitaire devient de plus en plus évident. En 2000, seuls 3,1% des décès féminins étaient liés au tabac. En 2015, cette proportion atteignait 6,9%, voire 17,3% chez les femmes de moins de 65 ans. Troisième cancer le plus fréquent chez les femmes (derrière les cancers du sein et colorectal), mais deuxième le plus mortel, le cancer du poumon connaît une progression fulgurante. Depuis 1990, le nombre de cas a augmenté de 4,3% par an, celui de décès de 3% par an, alors que ces deux chiffres sont en baisse chez les hommes. Toujours au niveau pulmonaire, le nombre d’hospitalisations pour exacerbation de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) a doublé entre 2002 et 2015 chez les femmes, tandis qu’il n’a augmenté "que" de 30% chez les hommes.
Idem pour les maladies cardiovasculaires : "Théoriquement, en raison de leur statut hormonal, les femmes bénéficient d’une protection cardiovasculaire spécifique. Cela explique le caractère inhabituel des accidents avant la ménopause et un décalage d’environ dix ans par rapport aux hommes dans la survenue des premiers événements. Or, ce bénéfice est perdu pour les femmes fumeuses, qui vont finalement faire les accidents cardiovasculaires au même âge que les hommes", expliquaient l’Alliance contre le tabac (ACT) et la Fédération française de cardiologie (FFC) dans un rapport publié en juin 2021. Entre 2005 et 2014, les hospitalisations pour infarctus du myocarde ont crû de 5% par an chez les femmes de 45-54 ans. Au-delà des maladies pulmonaires et cardiovasculaires, le tabac est lié à de nombreux risques de santé spécifiques aux femmes, tels que les cancers du sein et du col de l’utérus, des perturbations des cycles menstruels, la baisse de fertilité, une ménopause précoce, de l’ostéoporose, etc.
Si l’impact sanitaire croissant du tabac s’explique avant tout par la hausse du tabagisme féminin au cours des cinq dernières décennies, elle n’est pas la seule raison. Plusieurs travaux suggèrent une plus grande vulnérabilité des femmes aux effets du tabac, avec un risque accru par rapport aux hommes. Tel est le cas pour les maladies cardiovasculaires : à tabagisme égal, les femmes présentent un risque de maladie coronarienne accru de 25% par rapport aux hommes(3), un risque d’AVC accru de 10%. Encore mal expliqué, ce surrisque féminin pourrait être lié à divers facteurs, parmi lesquels "des interactions entre hormones féminines, une moindre surface corporelle, une taille réduite des artères, un métabolisme différent de la nicotine et des produits de combustion, une double exposition tabagisme actif et passif plus fréquente que chez les hommes", voire un cumul différent de facteurs de risque cardiovasculaire, expliquent l’ACT et la FFC.
Cette vulnérabilité accrue aux effets du tabac est également observée au niveau pulmonaire. Selon la Pre Chantal Raherison, cheffe du service de pneumologie du CHU de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), "les études semblent montrer une vulnérabilité plus importante chez la femme, notamment vis-à-vis de la BPCO, avec des formes plus souvent sévères. Ce phénomène a aussi été montré chez les adolescents, chez qui l’impact du tabac sur la fonction respiratoire est plus fort chez les filles que chez les garçons".
Tabagisme et grossesse : inciter toujours plus au sevrage
Au-delà des effets sur la santé de la fumeuse elle-même, le tabagisme, lorsqu’il est pratiqué par la femme enceinte, met en péril la santé de l’enfant à naître, durant la jeune enfance mais aussi lors de sa vie adulte. Or, si les méfaits du tabagisme de la femme enceinte sont bien connus, la France continue à en présenter une très forte prévalence, estimée en 2016 à 16,2% au troisième trimestre de grossesse - jusqu’à 28,1% en Bretagne et 24,7% en Normandie -, contre 5% à 10% au Royaume-Uni et dans les pays d’Europe du Nord(4).
Pour la directrice du Comité national contre le tabagisme (CNCT), Emmanuelle Béguinot, "ce n’est pas parce que les femmes enceintes sont informées qu’elles vont forcément changer de comportement. Dans d’autres pays, le tabagisme de grossesse fait l’objet d’une prise en charge complète, ce qui n’est pas forcément le cas en France. De manière générale, il persiste une minimisation très singulière des effets du tabagisme, comme si le fait de fumer quatre ou cinq cigarettes par jour ne posait pas problème. Alors qu’il n’y a pas de ‘petit consommateur heureux’."
En matière de sevrage, plusieurs études ont suggéré que les échecs étaient plus fréquents chez les femmes. Si le phénomène demeure débattu, plusieurs hypothèses ont été avancées, dont des mécanismes neurobiologiques différents en matière de dépendance à la cigarette. Egalement en cause, le fait que les femmes, dont la situation socioéconomique demeure en moyenne plus précaire, fumeraient plus souvent pour réguler leur stress.
Autre frein à l’arrêt, la crainte d’une prise de poids. Ce que l’industrie du tabac a bien compris, érigeant souvent l’effet coupe-faim du tabac en argument marketing. Selon Chantal Raherison, "il existe souvent chez les femmes une anxiété de la prise de poids à l’arrêt du tabac. Il ne faut pas éluder le problème : le sevrage, c’est une prise de poids de 3 à 4 kg. Mais il n’y a pas de fatalité, car il est possible de limiter cela par des conseils nutritionnels et de l’activité physique. Les médecins traitants doivent jouer leur rôle dans cet accompagnement".
Depuis 2018, le Programme national de lutte contre le tabac (PNLT) vise une première ‘génération sans tabac’ à l’horizon 2032 (prévalence inférieure à 5% chez les 18 ans). Chez les femmes comme chez les hommes, "on sait ce qui est efficace : les mesures fiscales, la réglementation des produits, la promotion de l’arrêt, pas de marketing attractif, le respect de l’interdiction de vente aux mineurs", rappelle Emmanuelle Béguinot. "Quand on applique l’ensemble de ces mesures, avec des contrôles et des sanctions en cas de violation, on obtient de très bons résultats. Comme le montre l’exemple de plusieurs pays étrangers [dont l’Australie, le Canada, etc., très avancés en matière de lutte anti-tabac, NDLR], l’objectif d’une ‘génération sans tabac’ n’est pas du tout impossible à atteindre ."
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