Lutte contre les maladies tropicales négligées : une nécessaire adaptation depuis la recherche jusqu’aux soins

29/02/2024 Par Muriel Pulicani
Infectiologie
Plus d’un milliard de personnes sont exposées à une ou plusieurs maladies tropicales négligées. Cependant, dans certaines pathologies telles que la maladie du sommeil, des progrès sont enregistrés dans la découverte de traitements et leur mise à disposition des populations les plus pauvres.

  "On a des résultats avec treize nouveaux traitements en vingt ans", a salué le Dr Luis Pizarro, directeur général de l’initiative DNDi (Drugs for neglected diseases), à l’occasion d’un colloque-anniversaire mis en place par l’organisation de recherche indépendante et l’Institut Pasteur, le 31 janvier. Les 21 maladies tropicales négligées – parmi lesquelles la dengue, le chikungunya, la lèpre, la rage ou la gale – touchent les populations les plus pauvres vivant "dans les zones rurales, dans les zones de conflit et dans les régions difficiles d’accès, là où l’eau potable et les moyens d’assainissement sont rares, où les changements climatiques ne font qu’aggraver cette situation", et "où des soins de santé de qualité ne sont pas disponibles", d'après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Face à cette situation, des modèles alternatifs de recherche ont été mis en place. "Ces mécanismes ne sont pas guidés par le profit, par la recherche du médicament le plus rentable. L’objectif est de soigner les patients partout où il y a des besoins", a plaidé le Dr Pizarro.   Vers l’éradication de la maladie du sommeil ? Cette approche a déjà permis de développer de nouveaux traitements contre la trypanosomiase humaine africaine (maladie du sommeil). Le mélarsoprol, traitement standard de la 2e étape de la maladie (phase neurologique), dérivé de l’arsenic, peut être à l’origine d’effets indésirables graves. L’éflornithine présente une bonne tolérance et une bonne efficacité, mais des rechutes surviennent dans 10% des cas et conduisent souvent au décès. Elle peut être combinée au nifurtimox (NECT), ce qui réduit le risque de récidive. Le fexinidazole constitue une alternative intéressante car il permet de traiter tous les stades de la pathologie et se présente sous forme orale, évitant les injections. Pour le tester, le DNDi a formé 200 personnes aux essais cliniques en République démocratique du Congo et en République centrafricaine, et conduit des études auprès de 750 patients en 2012 dans des lieux manquant d’infrastructures sanitaires et souffrant d’instabilité politique. En décembre dernier, le fexinidazole a reçu un avis favorable de l’Agence européenne des médicaments (EMA) comme premier traitement oral de la forme aiguë (rhodesiense) de la maladie du sommeil. "La feuille de route de l’OMS pour les maladies tropicales négligées [2021-2030] ambitionnait que la maladie du sommeil ne soit plus un problème de santé publique en 2020. Cet objectif est atteint : on est passé de 300 000 cas à moins de 1 000", s’est réjoui le Dr Philippe Solano, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur de l’unité Intertryp (Interactions hôtes-vecteurs-parasites dans les infections par des trypanosomatidae) à Montpellier. L’objectif OMS pour 2030 est l’interruption de la transmission (zéro cas). Des avancées importantes sont également observées dans la leishmaniose.   Environnement et culture locale Contre les maladies tropicales négligées, les enjeux restent de taille : surveillance épidémiologique, contrôle des vecteurs (insectes…) en respectant les écosystèmes, approvisionnement en eau potable, fourniture de moyens d’assainissement et d’hygiène, mise au point de nouveaux tests de dépistage, médicaments et vaccins, adaptés et accessibles aux populations… Les traitements peuvent être proposés sous forme orale plutôt qu’en intraveineuse, les tests de dépistage portent sur plusieurs pathologies, prioritairement le paludisme… Une grande adaptabilité est indispensable pour faire face au manque de moyens humains et financiers, aux difficultés d’accès géographique, voire à la défiance des populations gardant en mémoire le colonialisme… "La médecine post-coloniale est en partie autoritaire. Il faut donner le pouvoir à la communauté scientifique locale – qui n’a pas son mot à dire pour définir l’agenda et les programmes de recherche –, à la communauté des patients – 80% vont voir des tradipraticiens avant d’aller à l’hôpital – et à la communauté des leaders", a prôné le Pr Yap Boum II, directeur exécutif de l’Institut Pasteur de Bangui en République centrafricaine. "Les pays endémiques doivent avoir une place primordiale et être impliqués dans les programmes dès le départ", a abondé le Dr Wilfried Mutombo Kalonji, responsable des opérations cliniques RDC au DNDi. "Il faut passer d’une structure verticale à une structure horizontale." Une nécessité pour répondre au plus près aux besoins spécifiques des populations.

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