Cancers cutanés et virus oncogènes : " les liaisons dangereuses"

14/06/2023 Par A.V.
Cancérologie
Trois cancers de la peau sont directement associés à des virus. La recherche continue d’avancer dans ce domaine pour mettre en évidence le potentiel oncogène d'autres virus. Le point avec le Pr Antoine Gessain*, directeur de l’unité de recherche "Épidémiologie et physiopathologie des virus oncogènes" à l’Institut Pasteur et auteur du livre Microbes et cancers, les liaisons dangereuses.

 

Egora Le Panorama du Médecin : Quelle est la part des cancers résultant d’un agent infectieux ?  

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Pr Antoine Gessain : Sur les 18 millions de cancers diagnostiqués dans le monde chaque année, environ 15% sont liés directement à des agents infectieux. Cette part varie cependant selon les régions : de 5 à 7% dans les pays socio-économiquement développés, jusqu'à 30 % en Inde ou dans certains pays d’Afrique sub- saharienne. Près de 30% de ces cancers associés à des microbes surviennent chez des individus plutôt jeunes (< 50 ans). Dix agents infectieux en sont responsables. Il s’agit soit d'une bactérie, Helicobacter pylori, qui infecte la paroi de la muqueuse gastrique et est responsable du fréquent et grave cancer de l'estomac, soit de parasites, en particulier de deux espèces de douves présentes en Asie, responsables de cholangio-carcinomes assez rares mais sévères, et surtout de sept virus. Les plus importants sont les virus des hépatites B et C, qui provoquent les hépato-carcinomes, et les papillomavirus, agents étiologiques de cancers génitaux. Les virus oncogènes sont responsables de l'ordre de 70% des cancers associés à des microbes. 

 

Quels sont les cancers dermatologiques viro-induits et leur prévalence ?  

Trois cancers cutanés (mais ne touchant pas uniquement la peau) sont liés à des virus. Ils sont plutôt rares. Le sarcome de Kaposi (SK) est une tumeur avant tout cutanée mais les lésions tumorales peuvent diffuser dans les différentes muqueuses de l'organisme. Le facteur causal est le virus herpès HHV-8, transmis principalement par la salive. Plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde sont infectées par ce virus. En France, la prévalence de l'infection par l'HHV-8 varie chez les donneurs de sang de 2 à 6% selon la méthode de détection utilisée. L’infection est chronique et persiste pour la vie. Cependant, chez des personnes saines infectées, un SK ne se développe que très rarement, de l'ordre d'une personne sur 1 000, voire moins, et cela varie selon les régions. Ce cancer assez sévère existe donc soit dans les formes épidémiques liées au VIH (de loin la forme la plus fréquente), soit dans les formes classiques (beaucoup plus rares) décrites par Moritz Kaposi au 19ème siècle et touchant surtout des hommes âgés. Être immunodéprimé, être greffé ou être VIH positif sont des facteurs favorisants le développement de cette tumeur. Dans les années 80, le SK dans sa forme épidémique liée au VIH, était 1 000 fois plus fréquent chez les hommes homosexuels dans nos régions que dans les populations hétérosexuelles. Dans le monde, 45 000 nouveaux cas de SK sont recensés chaque année, principalement chez des personnes VIH infectées en Afrique, mais ce chiffre diminue progressivement avec une meilleure prise en charge du VIH et sa diminution globale dans le monde. 

Le carcinome de Merkel (CM) est un autre cancer dont l’étiologie est un polyomavirus cancérigène (MCPyV). Ce virus est très fréquent dans la population humaine quelle que soit l’origine géographique. La transmission du MCPyV se fait principalement de la mère à l’enfant ou entre enfants, probablement par contacts cutanés. Le CM se développe, dans nos sociétés, avant tout chez l'adulte âgé, avec des lésions cutanées touchant surtout les régions souvent exposées au soleil. Rare mais sévère, ce cancer rechute fréquemment avec des risques de métastases. En France, on en recense près de 500 nouveaux cas chaque année. 

Le troisième cancer viro-induit, qui se manifeste souvent par des lésions cutanées, est la leucémie T de l’adulte (ATL) causée par le rétrovirus HTLV-1. C'est un cancer redoutable : la moitié des patients décèdent dans l'année du diagnostic. Rare en France métropolitaine, ce cancer est un peu plus fréquent en Guyane et aux Antilles françaises. L’HTLV-1 se transmet principalement par les relations sexuelles, la transfusion sanguine et aussi un allaitement prolongé par une mère infectée. Cette transmission au jeune enfant est associée au risque que celui-ci développe une ATL entre 30 et 70 ans. Ce virus est surtout fréquent dans les populations d'origine africaine et dans d'autres régions comme le Japon, où on enregistre près de 1 000 nouveaux cas par an. On estime qu’ au moins 10 millions d’individus dans le monde sont infectés par l'HTLV-1, dont malheureusement 3 à 7% développeront un ATL durant leur vie.  

 

Quels sont les défis actuels ? 

Maintenant que les agents étiologiques viraux de ces cancers sont bien connus, l’idéal serait d'avoir des thérapeutiques plus ciblées, « viro-adaptées », ce qui n'existe pas vraiment pour l’instant. Le plus important à réaliser à ce jour, c'est donc la prévention. Par exemple, dans le cadre de l'HTLV-1, le dépistage des donneurs de sang et la diminution ou l'arrêt si possible de l'allaitement par une mère infectée, sont des mesures cruciales de santé publique pour faire diminuer la dissémination de ce virus et, à plus long terme, l'apparition d'une ATL. Cela est par exemple réalisé aux Antilles et en Guyane, parmi d'autres pays.  

Il n’existe malheureusement pas de vaccination contre ces trois virus (HHV-8, HTLV-1, MCPyV). Pourtant, la vaccination contre d'autres virus oncogènes comme les papillomavirus, responsables du cancer du col de l’utérus, et celle contre l’hépatite B, un des deux virus responsables d’hépato-carcinome, ont permis de réaliser ces dernières années des progrès considérables, avec des résultats et des actions majeurs en santé publique. Malheureusement, il est toujours assez difficile d’intéresser les industriels à des cancers relativement rares comme le sarcome de Kaposi, le carcinome de Merkel et l'ATL !  

 

Des travaux de recherche d’agents microbiens responsables d'autres cancers, dermatologiques notamment, sont-ils en cours ? 

De nombreux chercheurs considèrent que d'autres cancers, ayant ou non une symptomatologie cutanée, pourraient avoir comme agents étiologiques des microbes. Les récentes méthodes de séquençage à haut débit permettent d'analyser les innombrables molécules d’ADN et d’ARN présentes dans une tumeur et d'y détecter éventuellement un agent infectieux connu, voire même inconnu. De nombreux travaux sont en cours dans ce domaine. Mais attention, association ne signifie pas causalité ! Il est encore assez difficile de mettre en évidence un lien causal entre un agent microbien détecté et la tumeur étudiée. 

 

Vous venez d’écrire un nouveau livre** ? 

D'une part, j'ai voulu essayer d'informer un plus grand nombre de personnes sur la réalité de ce lien entre microbes et cancers, qui reste encore assez mal connu par nombre de nos concitoyens. D'autre part, j’ai voulu transmettre l'histoire passionnante de ces médecins, scientifiques ou biologistes qui ont eu des vies extraordinaires et qui ont fait des découvertes fondamentales sur ces microbes et /ou sur les liens étiologiques avec des cancers. Leurs travaux ont permis de faire grandement progresser les méthodes de diagnostic, de traitement et surtout de prévention. 

*Le Pr Gessain déclare n’avoir aucun lien d’intérêts 

**Épidémiologie et physiopathologie des virus oncogènes (éditions Odile Jacob). 

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