Le scorbut, une maladie de cause inconnue

Les observations suivantes, cotées LXXXI, intitulée « Sur l’ouverture du corps d’un enfant mort du scorbut », sont tirées du Nouveau recueil d’observations chirurgicales, de M. Saviard, ancien maître chirurgien, publié en 1702 à Paris.
Les ulcères de sa bouche étoient dans un assez bon état, et il avoit assez d’appétit pour ne rien refuser de ce qu’on lui ordonnoit pour nourriture, lorsque l’automne arrivant, il fut surpris de douleurs très aigues, avec une enflure aux cuisses très considérable, & en touchant ces parties tuméfiées, l’on sentoit une inondation profonde, qui ne permettoit pas de distinguer la nature de la liqueur qui y étoit contenuë ce qui fit que l’on en differa l’ouverture, joint à ce que Monsieur Jean-Louis Petit, Maître Chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu ne fut pas d’avis qu’on la fît. Les ulcères de la bouche n’augmentoient pas, mais quand ils sembloient se guérir dans un endroit, il en paraissoit en d’autres endroits.
Cela continua de cette manière pendant cinq mois, jusqu’à ce que cet enfant fort exténué, mourût au mois de Février suivant. L’on remarqua dans la même année beaucoup de scorbutiques à l’Hopital Saint-Louis, qui avoient les mêmes accidens, & généralement que cette maladie fut dans tout le cours de cette année extraordinairement rebelle à tous les remèdes. »
Maître chirurgien à l’Hôtel-Dieu durant dix-sept années, M. Saviard y avait reçu d’innombrables scorbutiques. Les symptômes du scorbut étaient bien connus mais la mort inexorable en l’absence de traitement. La cause de la maladie restait mystérieuse. Pourtant, l’observation recèle des éléments de réponse. L’enfant était en nourrice ; il était d’usage, dans les milieux urbains aisés, de confier un nourrisson à une femme de la campagne, choisie souvent jeune mère, afin qu’elle l’élève durant ses premières années, moyennant rétribution. Ce n’était pas sans risques, car il pouvait arriver que le « salaire » servît à faire vivre sa famille, aux dépens du petit pensionnaire. Ce n’était probablement pas le cas ici. L’enfant avait été « ramené de nourrice » et « se portant bien en apparence ». « Ramené » veut dire que l’on est allé le chercher, peut-être à la demande de la nourrice, attentive au fait que le père était apothicaire. S’inquiétait-elle de ne plus pouvoir continuer à s’en occuper correctement ? Ou d’avoir vu apparaître le scorbut (réputé « épidémique ») chez des enfants du voisinage ? Ces points semblent être confirmés par un deuxième indice apporté par la dernière phrase, qui indique qu’en cette année 1698, il y avait eu « beaucoup de scorbutiques » et une forme de scorbut « rebelle à tous les remèdes ».
Or les archives climatiques révèlent que la dernière décennie du XVIIe siècle a été marquée par un refroidissement des températures et une forte pluviosité, causes directes de mauvaises récoltes répétées chaque année. De plus, la France sortait à peine de la grande famine de 1693-94, et était affaiblie par les suites de la guerre qui avait coalisé les nations d’Europe contre la France de 1686 à 1697. En somme, par déduction, il apparaît comme très probable que...
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