"Je suis scandalisé par ces affirmations" : la réponse du président de l'Ordre des médecins à la charge de la Cour des comptes

09/12/2019 Par L. C.
Déontologie
Un rapport publié lundi par la Cour des comptes critique sévèrement le fonctionnement de l'Ordre des médecins. Manque de rigueur budgétaire, grosses indemnités, népotisme… Le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l'Ordre (Cnom), réagit à ces accusations sur Egora.fr.  

 

Egora.fr : Vous avez contesté lundi 9 décembre "le fond et la forme" du rapport de la Cour des comptes, pourquoi ?  

Patrick Bouet : D'abord parce que la Cour se sert d'un certain nombre d'exemples pour en faire une généralité, et donc pour conclure à des dysfonctionnements d'ordre général alors qu'elle n'a mis en évidence que des dysfonctionnements ponctuels. Ensuite, la Cour oublie opportunément d'écrire tout ce qui fonctionne bien, c'est-à-dire toutes les missions que l'Ordre remplit au quotidien au service du système de santé, des médecins et des usagers. Et elle passe sous silence ce qui constitue une très grande partie de l'action menée par l'Ordre au quotidien. Le troisième point que je souhaiterais soulever, c'est ce que la Cour est dans une vision très restrictive des fonctions de l'Ordre, n'en faisant finalement qu'un acteur de l'inscription, de la qualification et du disciplinaire, alors que la loi et l'ensemble des missions qui nous sont conclues font de nous un acteur à panel d'actions beaucoup plus large. 

Enfin, en matière de gestion, la Cour veut nous juger comme une agence d'État, oubliant là aussi que l'Ordre des médecins est une institution de droit privé qui utilise le plan comptable général, et qu'une partie des accusations portées par la Cour des comptes n'ont pas de sens dans la mesure où nous respectons ce plan comptable général. La Cour aurait pu nous interroger de façon beaucoup plus approfondie. Je n'ai d'ailleurs rencontré les rapporteurs de la Cour des comptes que le premier jour du rapport [avril 2018, NDLR] et le dernier jour du rapport.  

 

En 2017, au Cnom, les 16 membres du bureau ont perçu au total plus de 1 million d'euros d'indemnités. Comment peut-on expliquer l'écart avec les autres membres de l'Ordre ? 

Dans une structure quelle qu'elle soit, il y a une assemblée générale, un conseil d'administration et une équipe exécutive. Au conseil de l'Ordre, le bureau est une équipe exécutive qui est là quotidiennement. Les 16 membres sont donc ceux qui totalisent le plus de responsabilités et de présence au quotidien. Comme la loi le prévoit, ils ont des indemnités de fonction ou de présence qui sont proportionnées à leurs responsabilités et à leur engagement. 

Les autres conseillers de l'Ordre qui ont des présences d'une autre nature, soit qu'ils assistent aux sessions ou aux commissions, ne sont pas...

dans une responsabilité quotidienne, semaine après semaine. Donc il n'y a pas pour moi d'anomalie dans le fait que les 16 membres du bureau soient ceux qui aient eu les indemnités les plus proportionnées à leur engagement.  

 

Le rapport note toutefois que la rémunération du président a baissé depuis 2014, comptez-vous poursuivre cette réduction des indemnités des membres ?  

Lorsque j'ai été élu en 2013, j'ai estimé qu'il fallait ramener l'indemnité du président à la réalité de son engagement. Nous nous sommes, par ailleurs, engagés à ce que l'ensemble des missions des membres du bureau soient indemnisées à la fonction, pour que ce soit réellement la responsabilité qu'ils occupent qui leur permettent de bénéficier de l'indemnité que la loi prévoit. Comme je veux que ce soit à enveloppe constante, de façon à ce que ça ne représente pas d'augmentation dans la part budgétaire, cela passera par une harmonisation des indemnités. Donc oui, il y aura des diminutions d'indemnités à prévoir. Le Conseil national en décidera dans sa session budgétaire qui se déroulera cette semaine. 

La Cour a notamment épinglé l'Ordre pour des "promotions éclair" grâce à des liens familiaux, confirmez-vous ces révélations ?  

Très sincèrement, je suis scandalisé par ces affirmations. La Cour parle de cinq collaborateurs qui seraient liés familialement à un certain nombre d'élus. Les embauches qui ont eu lieu à l'Ordre national des médecins ont d'abord été des embauches par compétences, soit parce que les juristes ou les collaborateurs que nous avons embauchés faisaient acte de candidature à l'Ordre, soit parce qu'ils étaient déjà embauchés dans d'autres structures de l'instance. Alors que la Cour en fasse une généralisation sur les liens familiaux, alors qu'il y a plus de 500 collaborateurs à l'Ordre, ça me paraît à tout le moins abusif. 

 

Les Sages notent aussi un certain laxisme envers les médecins poursuivis pénalement pour abus sexuels. Êtes-vous d'accord avec le fait que la prise de sanctions de la part de l'Ordre est trop lente ? 

Ce n'est jamais assez rapide pour les victimes. C'est le problème de l'ensemble des juridictions de ce pays qui sont liées par des délais, qui, quelques fois effectivement, peuvent apparaître trop longs pour les victimes. Ce n'est pas moi, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, qui fait le rôle de la chambre disciplinaire, qu'elle soit de première instance ou d'appel, mais le président de la chambre et ses greffiers. Ils ont à traiter chaque année des centaines de plaintes et, comme toutes les juridictions, sont dans une problématique d'organisation. Bien sûr, on peut regretter que les délais paraissent longs, mais ils ne sont pas imputables à l'Ordre au niveau administratif. 

Nous, nous essayons de raccourcir le délai d'instruction et le délai...

pendant lequel l'Ordre administratif est amené à étudier les plaintes, mettre en route les conciliations, et ensuite décider, transmettre ou porter plainte contre les professionnels. Je compte bien continuer à m'engager pour que nous portions plus rapidement les dossiers auprès des juridictions disciplinaires. 

 

Comment peut-on expliquer que la Cour ne dénombre que 9% de femmes au sein du Cnom ? Comment comptez-vous améliorer la parité à tous les échelons ? 

Là encore, la Cour des comptes, en s'arrêtant en 2017, s'est privée du moyen de répondre elle-même. J'ai fait, avec mon équipe, inscrire dans la loi deux choses essentielles : le rajeunissement, c’est-à-dire la limite d'âge des conseillers dans leur candidature (71 ans), et, d'autre part, la parité absolue qui sera définitivement mise en place en juin 2022. Nous avons déjà lors des précédentes élections, en 2018, amené un nombre de femmes beaucoup plus important au Conseil de l'Ordre en général. Et, à la mi-juin 2022, nous serons strictement paritaires : 50% d'hommes et 50% de femmes. C'est ce que nous avons organisé avec le Gouvernement, le ministère de la Santé, ainsi que le Conseil d'État dans la mise en œuvre du dispositif prévu par la loi dite de modernisation du système de santé. Donc je n'ai pas à m'engager, puisque c'est déjà fait et déjà mis en route. 

 

Que pensez-vous de la proposition de la Cour des comptes d'ouvrir la gouvernance de l'Ordre aux membres de la société civile ?  

Pour l'instant, l'Ordre des médecins, comme les autres ordres – puisque c'est une discussion qu'il y a déjà eu au niveau des 16 professions réglementées, et que je rappelle qu'on ne pourrait pas imposer à l'Ordre quelque chose qui ne serait pas partagé par les autres instances ordinales -, nous estimons qu'il s'agit d'une justice professionnelle qui doit être garantie dans son indépendance par un magistrat, désigné par le Conseil d'État, avec des assesseurs issus de la profession. 

 

Que comptez-vous faire suite à ce rapport ? Allez-vous prendre en considération les recommandations ? 

D'abord, je suis assez frappé finalement par le fait que, par rapport à la charge menée dans le cadre de ce rapport, les recommandations ne soient pas très nombreuses. Je rappelle que mon objectif est que lorsque mon mandat se terminera en juin 2022, nous ayons accompli totalement le cycle de transformation de l'institution ordinale. Donc toutes les recommandations qui vont dans le sens d'une amélioration de notre gestion et de nos procédures, nous allons poursuivre leur mise en œuvre et leur mise en place. 

Par exemple, dès l'année prochaine, nous allons faire participer à la commission de contrôle des comptes deux personnalités qualifiées extérieures. Aussi, un certain nombre de recommandations qui nous sont faites sont d'ores et déjà mises en œuvre. Mais évidemment, elles l'ont été en 2018 et 2019, c’est-à-dire après la période d'observation.  

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