Les risques du tabac négligés par les diabétologues

22/04/2023 Par R.L.
Diabétologie
Facteur de risque de diabète, le tabagisme constitue aussi la première cause de mortalité chez les diabétiques. Pourtant, rares sont les médecins à inciter leurs patients au sevrage. 

Le lien entre tabagisme et diabète est désormais bien établi : les fumeurs sont globalement 40% plus susceptibles de développer un diabète, avec un risque dépendant du niveau de consommation(1). Les raisons en sont aussi complexes que multiples : la nicotine favorise l’insulinorésistance par divers mécanismes (stimulation de la glande hypophyse, effets anti-estrogéniques, etc.) et pourrait diminuer l’insulinosécrétion, tandis que l’inflammation de bas grade liée au tabagisme et certaines des 4 000 substances retrouvées dans la fumée (dont les métaux lourds) joueraient aussi un rôle. 

Au-delà de son effet diabétogène, le tabac a un effet délétère sur la progression du diabète, une fois celui-ci installé. Le phénomène est loin d’être anecdotique : selon l’étude Entred 3, 13,4% des diabétiques de type 2, et 25,3% de ceux de type 1, sont fumeurs, de manière régulière ou occasionnelle. "Plus de 400 000 patients diabétiques sont actuellement fumeurs en France", estime le Dr Philippe Thuillier, endocrinologue au CHRU de Brest. 

 

Un impact négatif sur l’équilibre glycémique 

Outre les risques connus de tous (cancers, maladies cardiovasculaires, infections respiratoires, etc.), le tabac est lié à un moindre équilibre glycémique : les diabétiques de type 2 ont, en moyenne, un taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) de 0,61% supérieur lorsqu’ils sont fumeurs(2). D’autres travaux ont montré, en particulier chez les diabétiques de type 1, une plus grande variabilité glycémique, avec plus de temps passé en hyper- ou en hypoglycémie. 

Le risque d’hypoglycémie sévère est ainsi multiplié par 1,47 chez les fumeurs diabétiques de type 1(3). Des résultats à prendre "avec précaution", tempère Philippe Thuillier : "Les patients tabagiques ont un niveau socioéconomique et un niveau d’études plus faibles, avec plus de précarité, et seront potentiellement moins adhérents à l’éducation thérapeutique." Par ailleurs, le tabac favoriserait la survenue de complications microvasculaires (rétinopathie, néphropathie, neuropathie), en particulier dans le diabète de type 1. 

Toutes causes confondues, le tabagisme est lié à un risque de mortalité accru de 58% chez les diabétiques (+64% chez ceux de type 1, +39 chez ceux de type 2)(4). Selon des données suédoises(5), "le tabagisme est le premier facteur de risque de mortalité chez les diabétiques, devant l’activité physique, devant l’hémoglobine glyquée, devant les anomalies du bilan lipidique. Ce qui en fait un facteur important à prendre en cause chez nos patients", estime Philippe Thuillier. 

 

Les effets du tabac méconnus des diabétologues 

Pourtant, le tabac est largement négligé dans la prise en charge du diabète. Selon une enquête menée auprès de 225 diabétologues (et 97 tabacologues), présentée par le Dr Ivan Berlin, addictologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, rares sont ceux à connaître les impacts délétères du tabac sur le diabète. Seuls 29% des diabétologues...

savent que le tabac est diabétogène, et 33% l’associent à une détérioration de l’équilibre glycémique. Corollaire, ils s’impliquent peu dans le sevrage tabagique : seuls 13% se sentent compétents en la matière, et 87% d’entre eux n’ont jamais prescrit ou conseillé de méthodes de sevrage. 

Pourtant, "il n’est pas si compliqué de prendre en charge les fumeurs, beaucoup moins que de rétablir un contrôle glycémique !", observe Ivan Berlin. Comment expliquer ce manque d’attention des diabétologues au tabac ? Interrogé à ce sujet, le Pr Vincent Durlach, diabétologue et tabacologue au CHU de Reims, estime qu’ils "ont déjà beaucoup de choses à faire, que ce soit en matière de glycémie ou de bilan lipidique. Et ils n’ont pas encore intégré cette dimension dans leur prise en charge."

 

Le sevrage, une "absolue priorité"

Consciente de cet enjeu, la SFD a publié en novembre 2022, via son groupe de travail commun avec la Société francophone de tabacologie (SFT), des recommandations à ce sujet(6). En première ligne, la nécessaire information des patients vis-à-vis des risques que le tabac leur fait courir, et la proposition d’un sevrage tabagique, que Vincent Durlach estime une "absolue priorité". 

Pour cela, il s’agit aussi de lever les craintes des patients quant aux éventuels effets collatéraux du sevrage. Notamment la prise de poids, qui peut survenir au cours des premiers mois, mais s’atténue par la suite. "La prise de poids n’est pas systématique. De plus, il y a toujours un bénéfice sur le risque cardiovasculaire, même chez les personnes qui prennent du poids au sevrage", explique la Dre Alexia Rouland, diabétologue au CHU Dijon Bourgogne. Idem pour l’équilibre glycémique : au sevrage, une légère hausse du taux de HbA1c peut survenir (+0,21%, selon une étude britannique), mais disparaît au bout de trois ans(7)

 

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