Urgences en plein vol : "On a plus de chances de survivre à un arrêt cardiaque dans un avion que dans sa cuisine"
A l'heure des grands départs en vacances, la question provoque chez les praticiens un mélange d'angoisse et d'excitation : "Y a-t-il un médecin dans l'avion ?" Médecin-conseil à Air France, le Dr Vincent Feuillie a la réponse. Gérer ces situations d'urgence, petites et grandes, qui peuvent survenir dans les aéronefs (et alimentent bien des fantasmes), fait partie de ses attributions.
A l'origine médecin généraliste, Vincent Feuillie s'est très vite "réorienté" vers les pathologies infectieuses et tropicales, exerçant durant une dizaine d'années au centre médical de l'Institut Pasteur. Des maladies infectieuses à la médecine des voyages, il n'y a qu'un pas, qu'il a franchi à l'occasion de vacations au centre de vaccination d'Air France. Vincent Feuillie entreprend alors de passer une capacité de médecine aéronautique(1), puis de se former à la médecine du travail.
Le médecin rejoint Air France à la fin des années 1990. D'abord à temps partiel, le praticien fait "un petit peu de tout : de la vaccination, de la médecine du travail…". "Puis j'ai rejoint le siège d'Air France pour m'occuper des problèmes de passagers en vol et j'ai pris la fonction de médecin-conseil en 2016", retrace-t-il.
1 urgence tous les 604 vols
Une fonction bien différente de celle de médecin du travail, s'empresse-t-il de préciser, bien qu'elle consiste notamment à s'assurer que les quelque 4000 pilotes et 12 000 hôtesses et stewards de la compagnie aérienne française passent les visites médicales d'aptitude prévues par la règlementation de l'aviation civile. "Les pilotes ont l'obligation de faire une visite médicale tous les ans jusqu'à 60 ans, et tous les 6 mois après 60 ans", précise-t-il. Une règlementation renforcée depuis le crash, en 2015, d'un avion de la Germanwings, provoqué par le suicide d'un pilote traité pour dépression. Désormais, les pilotes font l'objet d'une évaluation psychologique à l'embauche et les membres d'équipage peuvent être soumis à des dépistages aléatoires de substances psychoactives.
L'émergence du Covid, début 2020, a représenté un défi de taille pour le médecin-conseil : identifier les premiers cas contact, avant que les frontières ne ferment ; puis organiser le dépistage et la vaccination de l'équipage, quand les contrôles se sont imposés.
Mais la mission principale du Dr Feuillie reste la gestion des problèmes médicaux survenant en plein vol. "Je m'assure que les trousses médicales à bord des avions soient bien à jour et que les hôtesses et stewards 'recyclent' chaque année leur formation de secouriste."
Moins fréquentes qu'on ne l'imagine, les urgences à bord surviennent en moyenne dans un vol sur 604, d'après une étude parue en 2013 dans New England Journal of Medicine(2). Prendre l'avion est souvent un parcours du combattant, a fortiori pour une personne malade, explique Vincent Feuillie. A l'embarquement, l'équipage procède à un contrôle visuel, qui fait office de dernier filtre. "On se réserve le droit, en cas de doute sur l'état de santé d'un passager, de demander un avis médical", précise le médecin.
Bien que relativement peu fréquent, le problème médical le plus courant est en réalité… le malaise vagal. "Le stress de l'aéroport, des bagages, le fait d'être dans un espace confiné, la fatigue du vol, le décalage horaire, sont des facteurs favorisants", commente le médecin d'Air France. Pour le reste, dans les airs comme sur terre, surviennent des problèmes de tous ordres : digestifs, ORL, pulmonaires…
Quant aux accouchements à bord, ils sont "exceptionnels", survenant "tous les deux ou trois ans" seulement. "Après la 36e semaine de grossesse, on déconseille de prendre un vol, et même avant quand ce n'est pas le premier enfant, rappelle Vincent Feuillie. Le bon sens, dans tous les cas, c'est de consulter son médecin ou sa sage-femme avant de prendre un vol." Surtout si l'on voyage vers un pays dont les infrastructures sanitaires sont peu développées… Et le chargé de communication d'Air France de nous préciser que cet heureux événement, bien qu'extraordinaire, ne donne droit à...
aucun traitement de faveur de la part de la compagnie : le nouveau-né ne bénéficiera pas de billet gratuit à vie et le pilote ne sera pas son parrain… Un mythe s'effondre.
300 témoins
Les urgences les plus graves (cardio-vasculaires ou neurologiques), qui peuvent amener à dérouter un avion, sont, elles aussi, rarissimes : de l'ordre de "deux par mois" à bord des vols Air France… sachant que la compagnie transporte 120 000 passagers par jour, relativise le médecin-conseil. "Une étude menée il y a quelques années a montré que le taux de survie pour un arrêt cardio-respiratoire est supérieur à bord d'un avion", signale Vincent Feuillie. D'abord parce qu'il survient en présence de "300 témoins" et non dans la solitude d'une cuisine ou d'une salle de bain ; ensuite parce que l'équipage est formé à détecter l'ACR, à pratiquer immédiatement un massage cardiaque et à réaliser une ventilation ; enfin, car les avions sont équipés de défibrillateurs.
Bonus : il y a de fortes chances pour qu'un médecin se trouve parmi les passagers... "Une étude que l'on avait menée sur les vols long-courriers avait révélé qu'un médecin était présent à bord dans 85% des cas", indique Vincent Feuillie. "Les médecins voyagent beaucoup, que ce soit pour des raisons professionnelles, pour assister à des congrès, ou pour des raisons touristiques." Certains en ont même fait leur métier, comme les praticiens employés par les sociétés d'assistance, spécialisées dans le rapatriement sanitaire, relève-t-il.
Raison pour laquelle le groupe Air-France-KLM a lancé l'an dernier la communauté "Doctors on board", qui recense les médecins prêts à intervenir en cas d'urgence dans un avion. Les volontaires n'ont qu'à remplir un formulaire, indiquer leur spécialité et joindre leur carte professionnelle – la compagnie se chargeant de vérifier leur qualification auprès des instances de régulation nationales. "Il ne s'agit en aucun cas d'une procédure de recrutement ou de sélection", insiste le médecin. Généralistes, urgentistes, cardiologues, neurologues, pneumologues, ORL… "On ne se limite pas dans les spécialités, ça peut être intéressant d'identifier tel ou tel spécialiste", précise Vincent Feuillie. En cas d'urgence, l'équipage saura que tel spécialiste est assis à telle place et pourra le solliciter. S'il accepte d'intervenir, le médecin sera alors couvert par les assurances d'Air France. Mais il reste libre de refuser. "Si le médecin a envie de se reposer, ou qu'il a pris deux coupes de champagne etc., on va le respecter", assure Vincent Feuillie. Pourrait-il être poursuivi pour non-assistance à personne en danger ? "Je n'ai jamais eu connaissance d'un médecin qui soit poursuivi dans le cadre d'une intervention en vol, rassure le médecin-conseil. Qu'une compagnie aérienne soit poursuivie oui, mais pas le médecin."
Plus de 1700 médecins (dont 1100 via Air France), principalement des francophones, ont déjà rejoint la communauté. D'entrée de jeu, ces praticiens se sont vu accorder des miles, qui s'accumuleront à chaque intervention. Pour le médecin d'Air France, il ne s'agit nullement d'une rémunération, mais d'une indemnisation pour le dérangement causé durant le voyage. "Comme lorsqu'on perd sa valise."
Avec le vieillissement de la population et l'augmentation du poids des maladies chroniques, le nombre d'urgences en vol devrait augmenter dans les prochaines années, soulignent les auteurs d'une étude publiée en 2021 dans la revue Aerospace Medicine and Human Performance(3).
Une méta-analyse publiée dans Jama en 2018(4) a permis de calculer que sur 56 000 urgences médicales survenant en vol, l'avion avait dû être dérouté dans 4.4% des cas seulement. La décision est prise par le pilote, souvent après consultation d'un médecin (à bord ou au sol). Les critères à prendre en compte sont multiples : bénéfice potentiel d'un déroutement pour le passager malade, possibilité de le stabiliser avec l'équipement disponible en cabine, réduction du temps de vol, proximité et nature des infrastructures sanitaires à l'atterrissage, météo, niveau de carburant, règlementation locale, politique de la compagnie…
Une étude plus ancienne, portant sur des événements survenus en 1995-1996, avait montré que le déroutement était plus fréquent si un médecin était présent à bord (16% contre 11%). La même étude relève que 19% des déroutements opérés n'étaient pas en réalité pas justifiés (syncopes, déshydratation, gastro-entérite, faux travail, douleur thoracique non cardiaque…).
La méta-analyse citée précédemment estime à 33 471 dollars le coût d'un déroutement pour raison médicale, incluant les coûts directs pour la compagnie et le coût estimé du temps perdu par les passagers.
(4) Lewis, Bridget A et al. “Data-Driven Estimation of the Impact of Diversions Due to In-Flight Medical Emergencies on Flight Delay and Aircraft Operating Costs.” Aerospace medicine and human performance vol. 92,2 (2021): 99-105. doi:10.3357/AMHP.5720.2021
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