"Je repense souvent à elle et à ses yeux d'animal traqué" : le témoignage glaçant d'un sénateur-médecin pour défendre l'IVG

06/03/2024 Par Aveline Marques
Lundi 4 mars, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le Dr Claude Malhuret, sénateur de l'Allier (Les Indépendants), est monté sur l'estrade pour raconter une histoire qu'il n'avait encore "jamais racontée". Celle d'une jeune fille en larmes de 17-18 ans, soupçonnée d'infanticide, que deux gendarmes avait amené dans son bureau alors qu'il avait 25 ans et exerçait comme coopérant dans un pays du Sud. "On me demandait d'examiner la suspecte pour savoir si elle venait ou non d'accoucher. J'étais pétrifié." 

"Je vais vous raconter une histoire. Une histoire que je n'ai jamais racontée. J'avais 25 ans, j'étais coopérant. Médecin-chef d'un petit hôpital dans un coin perdu d'un pays du Sud." Par son récit, Claude Malhuret, sénateur de l'Allier, a ému bon nombre des députés et sénateurs réunis, lundi 4 mars, à Versailles pour voter l'inscription dans la Constitution de la "liberté garantie" aux femmes d'avoir recours à l'IVG.   

"Un jour, après avoir entendu du remue-ménage dans le couloir, j'ai vu surgir dans mon bureau une jeune femme, 17-18 ans peut être, dont je me rappellerai toujours le visage, a-t-il relaté. Les joues rondes d'une adolescente, toute rouges et inondées de larmes. Essoufflée. Une expression mêlée de terreur et d'incompréhension dans le regard. Les cheveux décoiffés, les vêtements de travers, comme si elle venait de se débattre. Les bras maintenus par deux gendarmes qui l'encadraient et la poussaient dans la pièce, sans ménagement." 

"Le matin-même, un voisin intrigué par le manège de chiens errants qui s'acharnaient à gratter la terre près de sa maison, s'était approché et avait découvert le cadavre d'un nouveau-né, à peine enfoui dans le sol. L'enquête n'avait pas été bien difficile. Et on me demandait désormais d'examiner la suspecte pour savoir si elle venait ou non d'accoucher", a témoigné Claude Malhuret. 

Le jeune médecin est alors "pétrifié".  "Il s'agissait d'un infanticide, bien sûr, et la loi me commandait de m'exécuter. Mais je savais aussi pourquoi cette jeune femme était là, dans un pays comme tant d'autres où fille-mère - c'était le mot de l'époque - signifiait bannissement social et déshonneur pour la famille, où l'avortement était interdit et sévèrement puni. Et d'ailleurs, comment cette quasi-enfant aurait-elle pu se confier à quiconque pour trouver une faiseuse d'ange." 

 

"Il a abaissé son soutien-gorge et pressé son mamelon d'où a giclé le lait qui confirmait le diagnostic et les soupçons" 

"J'imaginais sa vie au cours des derniers mois. Engrossée par un séducteur de barrière, peut être comme souvent par un parent, découvrant d'abord effrayée son retard de règles puis voyant son ventre s'arrondir et masquant sa grossesse avec de plus en plus de mal, accouchant seule en se cachant, enterrant maladroitement l'enfant sur place, folle de douleur et de culpabilité, puis rentrant chez elle, et lavant ses vêtements dans la terreur d'être découverte." 

"Je suis resté longtemps assis, le visage caché dans les mains, cherchant comment éviter l'inévitable", a-t-il confié. Jusqu'à ce que que l'infirmier-major entre dans la pièce, accompagné d'un gendarme. "Surpris par la scène, pressé par le brigadier et n'ayant manifestement pas la même vision du monde que moi ni les mêmes scrupules, avant que j'aie pu faire un geste, il s'est approché de la jeune femme, a abaissé son soutien-gorge et pressé son mamelon d'où a giclé le lait qui confirmait le diagnostic et les soupçons." 

"Je revois encore cette adolescente redoublant de pleurs, ressortir accablée entre ces deux gardes. Je repense souvent à elle et à ses yeux d'animal traqué et moi me demandant : combien d'années de prison pour un infanticide? Ou combien d'années de culpabilité - peut être toute une vie - pour avoir tué son enfant?" 

"Des histoires comme celle-là, je pourrais vous en raconter d'autres si nous en avions le temps. Des avortements clandestins qui se terminent mal. Des condamnations. Des stérilités définitives. Chez nous, aujourd'hui, ces histoires n'existent plus, depuis la loi Veil", a-t-il souligné, relevant toutefois que "40% au moins des femmes dans le monde vivent dans un pays où les drames tel que celui que je vous ai raconté continuent parce que rien n'a changé". "En étant le premier pays au monde à garantir cette liberté dans notre Constitution, nous allons susciter là où nous sommes encore sinon un exemple, du moins une référence, des débats, des prises de position, des avancées, j'espère, qui rapprocheront le jour où comme ici les femmes seront libérées de la peur, de la culpabilité et de l'impuissance à maitriser leur destin." 

26 commentaires
10 débatteurs en ligne10 en ligne
Photo de profil de Marc Florent
391 points
Autre spécialité médicale
il y a 9 mois
Notre Président s’inquiète de la baisse de la natalité. Les statistiques médicales font état de plus de 200000 avortements en 2022 ce qui fait 31 IVG pour 100 naissances. (Institut national des études démographiques) Au delà de la constitution et des lois c’est triste de constater qu’on est amené à tuer de nombreux futurs bien portants et que dans notre pays beaucoup de femmes ne trouvent pas les moyens psychologiques et financiers d’assumer une naissance. Il faut dire aussi que les politiques guerrières de nos représentants inquiètent les populations et qu’il y a des souvenirs douloureux dans la mémoire collective. Tout cela couter cher. Selon l'édition 2023 des « Statistiques des recettes publiques » que vient de publier l'OCDE, la France est redevenue en 2022 championne du monde des impôts, avec un taux de prélèvements obligatoires représentant 46,1 % du PIB. Ajoutons à cela les tracassins administratifs, les manifestations en tout genre, et une incertitude de l’avenir grandissante qui n’incite pas à mener au bout une grossesse. A force de tabasser les gens sur le plan psychologique on finit par faire une division par zéro.  
Photo de profil de Georges Fichet
5,1 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 9 mois
Témoignage extrêmement émouvant qui m'a mis les larmes aux yeux. Mais doit-on s'appuyer sur des réaction émotionnelles pour faire voter des lois et à fortiori modifier la constitution. La loi ne suffit-elle pas ? Ou faut-il prendre une certaine distance vis à vis de ses émotions pour garder la sérénité indispensable à la prise de décisions aussi importantes ? Je ne suis absolument pas pour remettre en cause la loi Veil. J'ai connu l’époque ou les copines allaient se faire avorter en Angleterre ou en Belgique, je crois. L’époque où pas mal de médecins réactionnaires refusaient le "pilule" aux femmes non mariées et où on se refilait les noms des confrères un peu plus éclairés. J'ai le sentiment que cette inscription du droit à l'avortement dans la constitution n'est qu'un gadget électoraliste permettant à Macron de se faire mousser car ça ne coûte rien à l’État, tout comme la loi sur le mariage homosexuel il y a quelques années, loi que je ne remet pas en cause. Mais je trouve parfois certains "pour" aussi ridicules que les "contre" ! L'inscription dans la constitution permettra-t-elle vraiment de protéger la loi Veil ? Si un jour un parti "contre" arrive au pouvoir, il trouvera toujours des juristes assez retords pour trouver des combines pour en venir à leur fins !
Photo de profil de Avocat  Du Diable
2,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 9 mois
À une époque où la contraception est efficace et connue , ce chiffre de 200 000 avortements par an pour environ 500 000 naissances interpelle et mérite une analyse précise . Avorter n'est sans doute pas un geste anodin avec des conséquences psychologiques sans doute sous estimées . Il est de notre devoir de médecin de proposer des solutions alternatives et cela ne va pas être simple dans un pays où le système de santé se délabre . Une inscription de L'IVG dans la constitution ne résout aucun problème . Encore un écran de fumée ou un arbre planté pour cacher la forêt .
 
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