"C'est la double peine, on doit rembourser ce que l'on gagne" : les biologistes "très en colère" lancent une grève massive
Les biologistes sont en colère, très en colère. Ils seront près de 100% à être en grève entre le vendredi 20 et lundi 23 septembre. Toutes les urgences seront renvoyées vers l'hôpital. Ils dénoncent la signature d'un accord avec l'Assurance maladie sur la base de mauvais chiffres qui aboutit à une nouvelle baisse de leurs tarifs. Ils sont ainsi sommés de rembourser 120 millions d'euros sur la fin de l'année 2024. Si aucun accord n'est trouvé avec l'Assurance maladie, de nouvelles actions seront lancées.
"C'est la première fois que 100% des groupes votent la grève. Avec l'ensemble de nos syndicats, nous couvrons la majorité du territoire. Nous sommes tous alignés sur ce mouvement", a annoncé à Egora le Dr François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes (SDBIO). "Depuis deux ans nous n'avons que des baisses de tarifs. A un moment donné, il faut dire stop. Ce mouvement durera le temps qu'il faudra, mais il faut mettre un coup d'arrêt. Le mot d'ordre est de ne prendre aucun patient pendant ces quatre jours. Cela représente un million deux cent cinquante mille personnes. En cas d'urgence, les patients appelleront le 15, qui les orientera vers l'hôpital", prévient le biologiste.
Les sept syndicats de biologistes* dénoncent la signature d'un protocole d'accord triennal en juillet 2023 élaboré sur la base de données erronées pour les dépenses 2023 et les prévisions de croissance 2024. Car les tarifs des actes de biologies sont fixés à partir des volumes de prescriptions. "Nous ne faisons qu'exécuter des prescriptions pour des besoins de santé publique. Et ça va trop vite, nous sommes pris dans ce goulot d'étranglement", explique le Dr Jean-Claude Azoulay, président du Syndicat national des médecins biologistes (SNMB).
"Nous avons signé sur la base de 2022. La Caisse nous avait fourni des documents de prévision d'augmentation de volume de l'ordre de 2,5 à 2,8% pour l'année 2024", rembobine le président du SNMB. "Finalement, la Caisse nous a annoncé 'On s'est trompé', le volume est situé entre 5,5 et 6,5%", dénonce le médecin biologiste. Le directeur général de l'Assurance maladie réclame donc aux laboratoires 120 millions d'euros pour la fin de l'année 2024. "Cela veut dire 360 millions d'euros en année pleine. Cela représente près de 9,5% du budget de la biologie qui va encore baisser. C'est intolérable", s'emporte le Dr Azoulay.
"Nous avons signé sur la base de mauvais chiffres. Si nous avions su que la hausse des volumes était d'environ 6%, nous n'aurions jamais signé. On peut d'ailleurs se poser la question de savoir si la Cnam était au courant ou non", abonde le Dr Lionel Barrand, président du syndicat Les biologistes médicaux (Les BIOMED).
Un recours en référé
"Nous avons l'impression que lorsque nous avons signé l'accord en toute bonne foi en juillet 2023, nous ne connaissions pas les conditions. Par ce mouvement, nous demandons simplement à revenir à la table des négociations pour rediscuter des modalités de l'accord signé pour trois ans. Car l'année 2024 va être très dure, mais il y aussi 2025 et 2026. Le directeur de l'Assurance maladie refuse cette discussion. Il nous rétorque que nous avons signé et que c'est trop tard", s'insurge le Dr Blanchecotte. "En gros, Thomas Fatôme nous dit : 'Vous avez joué, vous avez perdu'", résume le président du SDBIO.
Les représentants de la profession reprochent également au directeur de l'Assurance maladie la tenue d'une commission le 9 aout dernier, sans leur présence, lors de laquelle la baisse des prix a été actée. "Il a noté sur le PV que nous nous étions abstenus alors que nous n'étions pas présents à la réunion", regrette le Dr Blanchecotte. Finalement, Thomas Fatôme convoque les syndicalistes début septembre… le lendemain de la publication de l'arrêté de baisse des tarifs. "C'est vraiment nous traiter d'une manière insupportable pour nous montrer que nous ne comptons pour rien", se désole le Dr Azoulay. "Nous avons attaqué le protocole et l'arrêté en référé", se défend François Blanchecotte.
En pratique, cet arrêté conduit donc à une baisse de tarifs de nombreux examens de biologie, parmi lesquels l'hémogramme, l'ECBU, le dosage de la ferritine, du PSA ou encore le dépistage de l'hépatite B ou du VIH. Ainsi, le dépistage pré natal de la trisomie 21 passe de 325 à 250 euros, ou encore l’examen de taux d’hémoglobine glyquée passe de 4,75 à 2,25 euros.
"Quand il n'y aura plus d'argent dans l'enveloppe, les laboratoires ne pourront plus être payés pour les analyses qu'ils réalisent, il y aura un shut down et les laboratoires arrêteront leur activité. Selon nos calculs, cela sera vers la mi-décembre", prévient Lionel Barrand. "Nous arrêterons tout en attendant janvier pour passer sur l'enveloppe 2025", appuie le Dr Azoulay. "Nous ne réaliserons pas les examens pour ne pas avoir à les rembourser. L'aberration du système fait que nous avons une double peine. On paye pour faire les examens et on doit rembourser l'intégralité des sommes perçues", explique-t-il.
Un mouvement suivi par les biologistes hospitaliers
Si aucun accord n'est trouvé à l'issue de cette grève, les biologistes craignent pour la survie économique des laboratoires. "Beaucoup de laboratoires vont être dans le rouge. Nous sommes très inquiets", confie le Dr Barrand, qui rappelle que 70% des diagnostics reposent sur les examens biologiques. "Nous n'aurons pas d'autre choix que de fermer certains laboratoires de proximité et de réduire les horaires d'ouverture. En cas d'urgence, la seule possibilité sera donc de se diriger vers les urgences", craint Lionel Barrand.
C'est d'ailleurs pour cette raison que, pour la première fois, le mouvement est également suivi par les biologistes hospitaliers. "C'est historique d'avoir leur soutien", se félicite le président des BIOMED. Les confrères hospitaliers craignent d'être engorgés par une réduction de l'offre, explicite-t-il. Les laboratoires de ville risquent de fermer les après-midis et les samedis.
"Nous représentons moins de 2% des dépenses de l'Assurance maladie et avec ces économies, on nous précipite loin des patients vers une biologie industrielle", s'alarme le Dr Jean-Claude Azoulay qui rappelle ne pas demander de financement supplémentaire, mais simplement "un partage juste et équitable de l’accroissement des volumes avec l’Assurance maladie".
* Syndicat national des médecins biologistes (SNMB), syndicat Les biologistes médicaux (Les Biomed), Fédération nationale des syndicats de praticiens biologistes hospitaliers et hospitalo-universitaires (FNSPBHU), Syndicat national des biologistes des hôpitaux (SNBH), Syndicat des biologistes (SDBIO), Syndicat des laboratoires de biologie clinique (SLBC) et Syndicat national des médecins biologistes des CHU (SNMB-CHU)
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