Confiné 40 jours dans une grotte : un médecin raconte l'expérience

04/05/2021 Par P.M.
Insolite
40 jours dans une grotte, sans lumière naturelle, sans aucun repère temporel… C’est ce qu’a vécu le Dr Jérôme Normand, médecin anesthésiste-réanimateur, l’un des 15 volontaires de l’expédition scientifique Deep Time. L’idée de cette mission, qui s’est achevée le 24 avril : étudier l’adaptation des individus et du groupe à ces conditions extrêmes. Le praticien-aventurier nous a livré son vécu.

Samedi 24 avril, 10 h 30. Lunettes de soleil vissées sur le nez pour protéger les yeux, teint un peu pâle, sourire au lèvres, les 15 participants de l’expérience Deep Time - huit hommes et sept femmes -, émergent de la pénombre. Ils s’extraient de 40 jours passés sous terre dans la grotte de Lombrives, à Tarascon-sur-Ariège. Parmi eux, Jérôme Normand, 43 ans, médecin anesthésiste-réanimateur de profession. “Quand on est sortis de la grotte, ça a été l’agression !, raconte-t-il. Une agression sensorielle d’abord : la nature, les odeurs, la lumière du soleil… On est remontés à la surface pendant le printemps : les couleurs étaient hallucinantes. Et puis, d’un coup, il y a eu toute cette effervescence sociale autour de nous”.

Le retour chez les “surfacistes”, comme il les appelle, est “un choc” pour le quadragénaire, qui a vécu un mois et demi coupé de ce monde, sans montre, sans téléphone, sans lumière naturelle. Le tout dans un milieu isolé, frisquet (10°C) et extrêmement humide (le taux d’humidité flirtant avec les 100%).   “J’étais content de faire une pause du Covid” L’idée de cette expérience dans une grotte a germé dans l’esprit de l’explorateur franco-suisse Christian Clot, suite à la réalisation d’une étude par le Human Adaptation Institute, dont il est le fondateur. Celle-ci montre que, du fait des confinements successifs et des restrictions imposées depuis un an par la crise sanitaire, 40% des personnes ont perdu la notion du temps ou la capacité de se projeter sur le long terme. Christian Clot a donc voulu aller plus loin, et étudier, sur un groupe mixte, les effets d’un confinement extrême sans repères temporels sur le cerveau.

Pour “caster” les élus, il n’a pas procédé au hasard. Il s'est adressé aux personnes déjà sélectionnées pour une autre de ses expéditions : “Adaptation 4 x 30 jours”, programmée l’an dernier et reportée en raison du Covid. Parmi elles : Jérôme Normand. Pour plusieurs raisons, le médecin s’est montré intéressé : “Une très grande curiosité, déjà !, fait-il savoir. Je trouvais intéressante l’idée de se retrouver coupés du temps et de tout système de communication. Notre dépendance à Internet, aux messageries, aux réseaux sociaux, m’interpellait beaucoup.” L’attrait pour la spéléologie, ensuite. Il en fait “régulièrement et participe au secours spéléologique”. Pour glaner de l’expérience, enfin, car il collabore “souvent à des médicalisations d’événements sportifs en milieu isolé”, comme l’Ultra-Trail Atlas Toubkal ou le Ladakh Zanskar Adventure Trail. Il est donc partant. Mais est-ce vraiment le moment, en pleine pandémie, de priver les hôpitaux d’un anesthésiste-réanimateur ? Jérôme Normand se défend “Je suis vacataire dans les hôpitaux. De fait, je suis amené à travailler lorsqu’il y a de la demande. Or quand on m’a proposé de participer à Deep Time [en décembre 2020], ça allait mieux dans les hôpitaux. Les réas n’étaient plus surchargées”. Il poursuit : “Mais j’étais content de faire une pause du Covid, après avoir beaucoup aidé, en fonction des besoins, dans différents endroits. Je suis basé à Grenoble, mais je suis allé travailler à Vienne, à Paris, à Thonon, en Guyane, en Guadeloupe, puis en Mauritanie avec l’OMS. Toujours dans le cadre de missions Covid, ou en raison de pénuries de médecins anesthésistes du fait du Covid”.
  “On avait constitué un petit Samu” Le 14 mars 2021, le praticien s’engouffre donc dans la grotte de Lombrives, à l’instar du reste de l’équipe, menée par Christian Clot. La zone est épargnée par le Covid : “Nous avions fait des tests avant de rentrer dans la grotte et les avions répétés au bout de quelques jours. Les résultats étant négatifs, nous avons pu nous passer de masques, nous approcher les uns des autres à moins d’un mètre…”, explique Jérôme Normand. Rapidement, il prend ses marques dans ce milieu isolé, ne s’y sentant ni “enfermé, car la grotte était spacieuse”, ni “en danger, car il n’y avait pas de trous, de roches instables”.  Si le manque de lumière est adouci par un soleil artificiel installé dans le camp de vie, l’humidité constante est un “challenge”. Un challenge logistique. Mais aussi physique : “J’ai perdu 3 kilos à lutter contre le froid en permanence.”  

Dans la grotte, les jours et les nuits ont été remplacés par des cycles veille/sommeil. Pour l’anesthésiste, cette perte de repères temporels a finalement été une liberté. Celle de “vraiment pouvoir s’écouter”. Chacun suivait son propre rythme. “On se couchait lorsqu’on était vraiment fatigué. On se levait quand on jugeait qu’on avait assez dormi, qu’on avait assez repris d’énergie”, développe-t-il, la règle étant de ne surtout pas réveiller ses camarades, pour ne pas pénaliser les études sur la désynchronisation de chaque participant. Même chose pour les repas, le travail…

©Bruno MAZODIER

L’anesthésiste a traversé cette expérience sans encombres. Et c’est notamment grâce au groupe, assure-t-il : “Sur le papier, les conditions étaient extrêmes. Au final, bien sûr qu’elles étaient intenses, mais on les a très bien vécues, car on en faisait l’expérience ensemble. Moi je ne me lancerais pas dans une telle aventure seul, ce serait trop risqué sur le plan psychologique”. Il a néanmoins conscience d’être bien tombé : “Quand on est enfermés, le groupe peut être un talon d’Achille en cas d’incompatibilité, de désaccord profond. Mais là, en l'occurrence, ça n’a pas été le cas”.

Si le temps est passé vite, c’est aussi parce qu’il n’est pas resté oisif durant ses veilles. Bien sûr, il y avait des temps de loisirs - il en a d’ailleurs profité pour apprendre à jouer de la guitare. Mais il y avait aussi des plages de travail : avec les protocoles scientifiques visant à étudier les réactions du cerveau, de l’organisme, les comportements, l’état psychologique ; les missions propres à la grotte : nettoyage, documentation des glyphes etc. ; et celles dévolues à chacun : “Moi j’étais responsable de la sécurité médicale sous terre, en coordination avec l’infirmière. On avait constitué un petit Samu, prévu les différentes pathologies auxquelles on pouvait être confrontés, formé le reste de l’équipe aux secours. J’étais en outre chargé de réaliser les prises de sang pour les études scientifiques. On avait un but, c’est pour cette raison que le temps ne nous a pas paru si long.”
  “On avait encore plein de choses à vivre dans cette grotte Le temps est même passé tellement vite que, lorsque les “Deep Timers” ont été avertis de la fin de leur quarantaine volontaire le jeudi 22 avril au soir par les équipes du Human Adaptation Institute, Jérôme Normand est, comme ses partenaires, tombé des nues. Il se souvient que, sur le moment, “je n’avais pas du tout envie de sortir de la grotte. En 40 jours, je n’avais fait que 27 cycles. Je me doutais bien que mes cycles étaient plus longs que d’habitude, mais pas à ce point. Je pensais que la sortie serait vers mon cycle 32-33. Donc pour moi, on m’enlevait cinq cycles, je n’étais pas content. On avait encore plein de choses à faire dans cette grotte !” Il a bien fallu sortir. Le matin du 24, comme prévu. Après un dernier jour servant de sas vers la vie normale, consacré au rangement et aux protocoles scientifiques de fin de mission.

A peine sortis, les volontaires se sont envolés pour l’Institut du cerveau, à Paris, afin de passer des examens IRM qui seront comparés à ceux pré-mission. Désormais, il va falloir traiter toutes les données récoltées avant, pendant ce confinement, et qui continueront de l’être après. “J’espère que ces informations vont pouvoir être utilisées au service de personnes qui vivent des situations un peu similaires, comme ceux qui travaillent dans des milieux privés de lumière du jour, ceux qui travaillent de nuit, pour les personnes victimes de désorientation…, souhaite Jérôme Normand. Des chercheurs ont beaucoup d’espoir de pouvoir créer des tests pour évaluer les troubles mnésiques, les altérations de la cognition, avant qu’ils ne soient trop importants, que la maladie soit installée. Si ce qu’on a fait pouvait contribuer à mettre au point des systèmes diagnostiques avancés pour détecter les très faibles perturbations de l’orientation, de la cognition, on en serait tous très satisfaits. Maintenant, c’est aux scientifiques de bosser !”

©Bruno MAZODIER

Au moment de notre entretien, le 28 avril, Jérôme Normand prévoyait lui aussi de s’y remettre sous peu. Après un temps de réadaptation aux conditions de vie classiques : “Le retour à la surface a été violent, témoigne-t-il. Les premières nuits, je n’ai pas beaucoup dormi, comme si j’étais en jetlag. J’étais déphasé sur des cycles plus longs que 24 heures, et pas du tout en synchronisme avec l’heure normale. J’ai repris d’un coup en pleine tête les horaires, les impératifs de se lever, de couper son sommeil. Mais là, ça fait deux jours que je suis rephasé, que je fais à nouveau des nuits normales… Alors je me mets à regarder les besoins pour recommencer à travailler dans les jours qui viennent. Je vais aussi appeler mes amis pour prendre la température actuelle en réanimation. J’ai envie de prêter main forte à nouveau”.

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