Plateformes versus médecins libéraux : ce que révèle l'étude de l'Assurance maladie sur la téléconsultation

20/12/2023 Par Véronique Hunsinger
Alors que le recours à la téléconsultation est devenu massif depuis le Covid, ce marché est de plus en plus disputé aux généralistes libéraux par les plateformes dédiées. Une étude de l’Assurance maladie en Ile-de-France met leurs différences en évidence. 
 

Face au boom qui ne faiblit pas des téléconsultations, l’Assurance maladie n’a jamais caché son intention de vouloir remettre de l’ordre au « Far West ». Auparavant, elle a souhaité objectiver certaines de ses intuitions sur les supposées dérives de ces pratiques, surtout quand elles sortent des clous du parcours de soins.

Ainsi, une enquête réalisée en Ile-de-France, dont des résultats préliminaires ont été dévoilés début décembre, a pour objectif de comparer les caractéristiques des téléconsultations réalisées au cours du premier semestre de cette année, selon que le praticien soit un médecin généraliste libéral ou qu’il exerce via une plateforme commerciale dédiée à la télémédecine. Sur cette période, 1,433 million de téléconsultations ont été effectuées pour des assurés franciliens de plus de 16 ans relevant du régime général, dont un gros tiers (516 500) via une plateforme.  

 

Réflexe pour les patients sans médecin traitant 

Dans les deux cas, les femmes représentent les deux tiers des patients. Les habitants du Val-d’Oise et de la Seine-et-Marne recourent proportionnellement davantage à la téléconsultation que ceux qui vivent à Paris ou en Seine-Saint-Denis. Les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S) l’utilisent deux fois plus que les autres assurés (ils en représentent 20%), de même que les patients sans médecin, qui consultent en ligne 1,7 fois plus que les autres.   

Les omnipraticiens libéraux de la région se sont massivement approprié l’usage : 4.046 sur 7.995 installés ont facturé au moins une téléconsultation au premier semestre, en moyenne une par jour. Les champions sont ceux des Hauts-de-Seine (les trois quarts téléconsultent) et les moins adeptes sont ceux du Val-d’Oise (un tiers téléconsultent). 

La principale différence entre l’utilisation des plateformes et la consultation d’un généraliste à distance est générationnelle : les premières sont plébiscitées à 82% par les 16-39 ans, une tranche d’âge qui chute à 52% chez les libéraux. Des patients plus jeunes et aussi en meilleure santé : 90% n’ont aucune ALD sur les plateformes. Les généralistes de ville, eux, téléconsultent avec 27,8% de patients en ALD dont 21,3% pour la pathologie en question. Des écarts qui suggèrent aussi que les plateformes sont utilisées essentiellement pour des motifs aigus. Sans surprise, celles-ci sont aussi plus souvent un réflexe pour les patients sans médecin traitant (19% des téléconsultations vs 6,4%), mais aussi pour les bénéficiaires de la C2S (30% des téléconsultations vs 18,2%).

Ces caractéristiques peuvent d’ailleurs se cumuler : près des trois quarts des titulaires de la C2S n’ayant pas de médecin traitant passent par une plateforme. Enfin, presque un quart (23%) des téléconsultations des plateformes sont facturées avec une majoration nuit ou jour férié vs 9% pour les libéraux. « Cela peut laisser penser que les plateformes se substituent aux médecins généralistes libéraux quand ces derniers ne sont pas présents en cas de besoin », commente l’Assurance maladie, qui a néanmoins déjà sanctionné des abus massifs de majorations par les plateformes après un première vague de contrôles démarrée en Saint-Saint-Denis.  

Source : Assurance maladie

Moins d'arrêts de travail… mais plus d'antibiotiques 

Mais les résultats préliminaires de l’enquête tendent d’abord à démonter l’idée répandue que les plateformes soient devenues des guichets à délivrer des arrêts de travail, parfois abusées par le patient. Or, seulement 6,4% des téléconsultations sur plateforme donnent lieu à une prescription d’arrêt, soit même 4,3 points de moins que pour les généralistes libéraux. Il s’agit également d’arrêts plus courts : 2,7 jours en moyenne vs 6. Une différence que l’Assurance maladie...

explique par le fait que 95% des arrêts prescrits en plateforme sont des arrêts initiaux. Dans un communiqué, Medadom a indiqué avoir encadré la prescription des arrêts de travail, avant que la loi ne l’y oblige, en les limitant à trois jours non renouvelables. « Les médecins qui travaillent avec nous connaissent les limites de la téléconsultation, affirme la Dre Julie Salomon, directrice médicale de la plateforme Qare. Mais ils savent, par leur formation et leur culture, repérer les éventuelles discordances dans les discours des patients. »   

 

Source : Assurance maladie

S’agissant des prescriptions de médicaments, les médecins des plateformes ont de fait la main plus légère : 3,8 boîtes en moyenne, soit 2,3 de moins que les libéraux. Dans les deux cas, la classe la plus prescrite est celle des analgésiques - paracétamol en tête - les médecins des plateformes en prescrivant significativement davantage (+5 points sur l’ensemble de la classe, + 18,8 points sur le paracétamol). Ils prescrivent, en revanche, moins que les libéraux du paracétamol associé à d’autres molécules et également moins d’autres analgésiques, type tramadol ou nefopam. La différence la plus spectaculaire est qu’ils donnent 2,5 fois plus d’antibiotiques (14,7% des consultations vs 5,8%), essentiellement de l’amoxicilline. Pour les autres classes thérapeutiques, les libéraux prescrivent davantage de psychotropes et des médicaments pour les troubles de l’acidité, tandis que les plateformes donnent davantage de médicaments pour les désordres fonctionnels gastro-intestinaux ainsi que pour le rhume et la toux.  

Autant d’éléments qui dessinent, encore une fois, les motifs de recours aux plateformes, en grande partie des affections bénignes aiguës. « Je ne dis pas que les médecins qui travaillent pour les plateformes sont incompétents, mais ils exercent dans un cadre qui ne leur permet pas d’examiner les patients, rappelle cependant la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France. Or, on voit, par exemple, qu’ils prescrivent beaucoup d'antibiotiques, sans doute pour se protéger. Mais, pour une MST par exemple, ce n’est pas possible de prescrire sans examiner. » Enfin, il est à noter que les reconsultations sont plus fréquentes après le recours à une plateforme qu’à un libéral et c’est alors la consultation présentielle qui est privilégiée. 

 

Des recos HAS en préparation 

La grande limite de cette enquête demeure que les motifs de consultations, même si on les devine, ne sont pas spécifiés, ce qui rend les conclusions générales difficiles. « Les résultats ne nous ont pas beaucoup surpris car nous avons l’habitude d’analyser nos pratiques, commente la pédiatre Julie Salomon. Ils sont surtout assez cohérents avec les différences de structures de patientèle. Les médecins traitants suivent des patients de tous les âges, dont des personnes âgées et/ou polypathologiques qui peuvent alterner présentiel et téléconsultations. Pour les plateformes, c’est une population plus jeune souvent éloignée du soin, à laquelle nous pouvons faire d’ailleurs passer des messages de prévention. Chez Qare, nous sommes très attentifs à maintenir la notion de complémentarité avec la médecine de ville pour garder les patients dans le parcours de soins. Nous nous positionnons en recours pour les motifs qui s’y prêtent ».  

MG France a demandé que l’étude de l’Assurance maladie soit étendue et reproduite dans toutes les régions. En Ile-de-France, c’est l’URPS qui avait sonné l’alerte. « Nous nous sommes inquiétés des dérives des plateformes, par exemple, quand nous avons parfois vu arriver des demandes d’examens complémentaires, notamment d’imagerie, complètement hors sol », raconte le Dr Laurent de Bastard, élu CSMF et co-coordonnateur de la commission e-santé de l’union.  

Actuellement, la Haute Autorité de santé (HAS) est en train de mettre la dernière main, à la demande de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), à des recommandations de bonnes pratiques sur « le lieu de réalisation d’une téléconsultation ou d’un télésoin ». La publication est attendue au plus tôt fin janvier, à l’issue d’une consultation publique, et devrait permettre de proposer de nouvelles règles du jeu au législateur. « Nous avons participé à ces travaux, indique le Dr de Bastard, qui pratique lui-même la téléconsultation depuis son cabinet de Versailles. Nous aimerions qu’il y ait davantage de régulation, éventuellement par le biais d’évaluations et de certifications des plateformes, un peu comme les établissements de soins ».  

De son côté, l’Assurance maladie publiera les résultats complets de son enquête à la fin du premier trimestre 2024, sans autre commentaire pour l’instant. 

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Claire FAUCHERY

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1 débatteur en ligne1 en ligne
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Médecins (CNOM)
il y a 2 ans
Je ne fais pas de téléconsultation au sens propre du terme, bien que je m'y sois mis avant la covid, ayant pendant trois ans quitté le DOM où j'exerce pour la métropole et ne revenant exercer à mon cabinet que durant les vacances scolaires. Souvent des patients m'adressaient des résultats d'examens ou me demandaient conseils par téléphone ou internet et je leur adressais ordonnances ou certificats en fichier joint e-mail. Rarement, je demandais au patient de me régler une consultation à mon retour si le travail m'avait pris du temps. A présent, de plus en plus de patients me soumettent leurs résultats d'examens ou demandent conseil par e-mail. Un confrère a ainsi calculé qu'il passait un quart de son temps à travailler gratuitement sur son ordinateur. Ainsi, l'autre jour, j'ai passé deux à trois heures à faire la synthèse d'un dossier médical épais de plusieurs centimètres pour rédiger un courrier destiné à contester un pourcentage d'invalidité insuffisant octroyé par la MDPH. Je n'ai pas fait payer car il s'agit d'un membre de ma famille mais c'est pour donner un exemple du temps parfois nécessaire pour un dossier complexe. J'ai le don de les attirer car, faisant des consultations d'une heure rémunérées 50€ (DE systématique), par le bouche à oreille, les patients se donnent le mot. Je pense qu'il faudrait créer une cotation (une de plus me direz-vous !) pour demander un supplément lors du règlement de la consultation présentielle suivante. Je pense que je vais augmenter mon DE pour tout supplément de travail ainsi fourni. Par exemple 5 € pour réponse par e-mail et 10 € pour transmission d'une ordonnance ou d'un certificat.
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 2 ans
Le marché de la médecine en ligne, des logiciels de soins et de tout ce qui a trait à la santé 2 points zéro est une manne pour les investisseurs, les décideurs sont approchés par les groupes de pression de ces secteurs qui n'hésitent pas à peser sur les arbitrages, si bien que le conservatisme et l'inertie qui contaminent l'hyperadministration et l'Ubérisation de notre système de santé arrange les gestionnaires des fonds publics de la solidarité, au lieu de tenter d'améliorer la qualité des soins et son efficience, en faisant ainsi du volume à bas coût sans moyens humains supplémentaires , la santé deux points zéro évite de réformer en profondeur le système de santé ...Jusqu'à quand ? Plus dure sera la chute !...
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2,6 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 2 ans
Je suis étonné d'une chose. Le CDO et beaucoup de médecins demandent la suppression des plateformes de téléconsultations. Pensent ils vraiment avoir gain de cause? Ne serait il pas plus logique de proposer des mesures supplémentaires d'encadrement. En tout cas la plateforme sur laquelle je travaille, joue à fond la carte de la déontologie (FMC, limitation des AT et de certaines prescriptions). Perso, je suis un inconditionnel de la voiture à essence. Mais je sais que ses jours sont comptés. Rassurez vous la consultation présentielle ne va pas disparaitre...
 
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