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"Maintenant qu'on a des compétences supplémentaires, il va falloir les rémunérer" : les IPA réclament leur propre convention

Après avoir obtenu l'accès direct et la primo-prescription, l'Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa) réclame l'ouverture d'un espace d'échange conventionnel dédié à cet exercice. "On a un mode de rémunération propre, un titre propre et des compétences propres, c'est logique que nous ayons notre propre convention", justifie son président, Emmanuel Hardy, alors que les ministres de tutelle viennent de transmettre leur lettre de cadrage au directeur général de l'Uncam*, étape clé pour l'ouverture de négociations infirmières. 

29/05/2025 Par Louise Claereboudt
Interview IPA Infirmières
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Egora : L'arrêté fixant la liste des produits de santé et prestations que les IPA peuvent désormais primo-prescrire a été publié fin avril. Il s'agissait d'une étape très attendue par la profession, après la parution quelques mois plus tôt du décret actant l'accès direct. C'est une victoire pour l'Unipa ? 

Emmanuel Hardy : C'est surtout une chance pour la population d'accéder plus rapidement à des soins. Avant on envoyait le patient vers le médecin pour qu'il ait son ordonnance et qu'il revienne vers nous. Maintenant, on peut lui faire l'ordonnance et appeler le médecin ensuite. Cela va forcément fluidifier le parcours des usagers. Tant mieux dans un système en tension ! 

 

Le contenu de cette liste vous convient-il ? 

Une annexe concerne tous les IPA et une annexe détaille les prescriptions autorisées par mention. Sans diagnostic médical préalable, les IPA mention "pathologies chroniques stabilisées" (PCS) peuvent par exemple prescrire un traitement antihypertenseur de première ligne mais aussi un traitement du diabète de première ligne. Pour le reste des prescriptions, par exemple pour la mention PCS, il doit forcément y avoir un diagnostic médical préalable. 

Globalement, la liste nous convient. Il y a quelques ajustements à faire. On a déjà demandé une deuxième version. Car si les recommandations bougent, il faudra adapter la liste. C'est logique.  

 

Le décret et l'arrêté sur l'accès direct ont tardé à paraître. Plusieurs instances médicales, dont l'Ordre des médecins, s'y sont notamment opposées…  

Il y a eu une opposition médicale, oui. Mais les textes se sont aussi heurtés à une instabilité politique, avec des changements de ministres successifs qui ont forcément retardé la parution des textes puisqu'il fallait un arbitrage ministériel.  

 

Vous aviez alors dénoncé le corporatisme médical…

Oui. On nous a aussi accusés d'être des officiers de santé sans aucun fondement. Médecins et IPA, nous travaillons ensemble tous les jours, donc le message que je veux porter c'est : "respectons-nous". Pour travailler ensemble, il faut se respecter, ça fait partie de la confiance. 

 

Sur le terrain, l'accès direct est-il déjà utilisé ?

Oui, on l'utilise. Moi je le fais quotidiennement. C'est une réelle avancée sur le terrain : pour la profession par effet rebond, mais surtout pour les patients.  

 

On souhaite qu'il y ait enveloppe dédiée aux IPA dans les négociations de la convention nationale infirmière

 

Pour l'heure, les IPA peuvent prendre en charge directement les patients uniquement "dans le cadre des structures d'exercice coordonné". Souhaitez-vous aller plus loin ? 

L'IPA peut exercer en dehors des structures d'exercice coordonné, par exemple avoir un cabinet et être coordonné avec un médecin via un logiciel métier. Dans ce cas-là, il ne bénéficie pas de l'accès direct ni de la primo-prescription. S'il est dans une structure coordonnée (établissement de santé, ESP, MSP, centre de santé…), là il a l'accès direct et la primo-prescription, parce que le médecin est plus proche. Et puis surtout dans le projet de santé, il y a déjà une organisation des soins. 

Ce qui est étonnant, c'est qu'on limite les capacités de prescription non pas aux diplômes mais au lieu d'exercice. Après je ne suis pas sûr que l'exercice isolé soit la panacée non plus. Qu'est-ce qu'on fait des collègues qui sont en exercice isolé ? On a des besoins sur le terrain, on ne peut pas les abandonner non plus. C'est difficile de se prononcer sur cette question… 

 

Dans l'attente de négociations conventionnelles, les consultations en accès direct des IPA ne sont toutefois pas prises en charge par l'Assurance maladie. Vous avez dénoncé un "affront" fait à la profession…

En effet, il faut que ce soit inscrit dans la convention nationale infirmière. Il va y avoir des négociations qui vont s'ouvrir. On souhaite qu'il y ait enveloppe dédiée aux IPA dans les négociations de la convention nationale infirmière.  

 

Pour quelle(s) raison(s) souhaitez-vous avoir votre propre convention ? 

Il y a plusieurs arguments selon moi. D'abord l'argument législatif. Nous sommes une profession distincte du titre I du code de la santé publique dans lequel on retrouve les infirmiers diplômés d'Etat et les IDE spécialisés. Nous sommes des auxiliaires médicaux en pratique avancée. Le fait d'avoir un titre spécifique signifie que nous sommes une profession définie, donc normalement nous devons avoir une représentation propre. C'est du droit pur. 

Deuxièmement, nous avons un champ de compétences élargi. Ce serait logique là aussi qu'on puisse avoir notre convention propre du fait de ces compétences supplémentaires. Enfin, nous avons un mode de rémunération unique. Nous sommes payés au forfait, pas à l'acte. Comment négocier sur un modèle au forfait si des collègues ne l'utilisent pas car ils sont à l'acte ? Ce n'est pas la même chose. On ne peut pas réfléchir de la même façon. On a un mode de rémunération propre, un titre propre et des compétences propres.  

 

Avoir une convention spécifique aux IPA semble néanmoins compromis. Dans leur lettre de cadrage, qu'ils ont adressée au directeur général de la Cnam, Yannick Neuder et Catherine Vautrin n'en font pas mention. Ils appellent seulement à faire évoluer le modèle économique des IPA compte tenu de l'ouverture de l'accès direct… 

On attendait d'avoir un fléchage dédié de l'enveloppe pour la pratique avancée. [Dans la lettre de cadre], nous n'avons pas vraiment de détails. L'unique ligne qui concerne les IPA est assez floue. En même temps on est mentionnés dans cette lettre, ce qui est déjà bien, cela veut dire que notre demande a quand même été prise en compte, ça aurait pu ne pas être le cas. Mais on attendait mieux, et surtout quelque chose de plus dirigé pour savoir comment allaient s'organiser les négociations. On reste inquiets pour l'avenir du fait du manque de précision dans la lettre de cadrage. 

Aujourd'hui, 90% des IPA sont à l'hôpital. On est très peu en ville – 10% à peu près, et encore cela comprend les salariés et les libéraux. Au premier semestre 2024, il y avait 254 IPA en libéral qui avaient facturé au moins une fois dans le mois et tous les mois. C'est très peu. Et les honoraires sans dépassement mensuels moyens pour un IPA libéral étaient de 3035 euros. Ce qui fait moins de 1500 net [quand on enlève toutes les charges sociales ou fiscales]. Au regard de ces chiffres, je trouve la lettre de cadrage un peu déceptive. On attendait à un fléchage pour pouvoir relancer une dynamique en ville, parce qu'on constate qu'en soins primaires [la pratique avancée] a du mal à se développer notamment à cause des rémunérations. 

 

Vous avez dénoncé le fait qu'une IPA libérale gagne en moyenne "30 000 euros de moins qu'une IDE libérale à temps plein". Comment stabiliser le modèle économique ? 

Nous sommes en train d'y réfléchir. Il y a plusieurs pistes. Aujourd'hui, nous avons défini un forfait, mais si nous ne voyons pas le patient nous ne pouvons pas coter ce forfait. En médiane, on est à 2,23 forfaits cotés par an, au lieu de 4 dans le modèle. On divise par 2 le montant total. Il faudrait qu'on arrive à avoir un montant de forfait "bloqué" à l'année, et dès l'instant où on voit le patient une fois, ça débloque le forfait. Sinon c'est une consultation déguisée et pas un forfait. Après on pourrait majorer les forfaits pour certaines pathologies, pour du soin palliatif ou la psychiatrie, par exemple, qui sont très chronophages. Actuellement, le modèle n'est pas adapté à la psychiatrie, pour laquelle les consultations sont bien plus régulières.

 

Et intégrer du paiement à l'acte ? 

Peut-être aussi, ou peut-être faire du mixte. Par exemple du ponctuel à l'acte et du suivi au forfait. Ça pourrait être une piste. C'est d'ailleurs inscrit dans la proposition de loi Mouiller.  

 

La proposition de loi Mouiller adoptée au Sénat prévoit également le "maintien partiel des revenus" pendant la formation. Alors que la plupart des IPA en formation sont des infirmières déjà expérimentées, cette mesure est-elle une nécessité ? 

Oui, il y avait des pertes de revenu énormes durant la formation. On le savait en libéral, parce que les aides ne compensent pas les charges et le coût de la formation, mais on s'est rendu compte qu'il y avait aussi d'importantes pertes de revenu à l'hôpital, parce que les infirmiers perdent leur prime durant la formation. Ils ne gardent que 80% de leur rémunération. Il y a donc aussi une paupérisation des collègues à l'hôpital. 

La PPL Mouiller va dans le bon sens. Il y a des choses qui ont été posées – nous avons été interrogés et nos propositions ont été retenues – donc bien entendu nous sommes favorables.  

 

La proposition de loi infirmière, votée à l'unanimité au Sénat début mai, prévoit l'évolution des infirmières spécialisées vers la pratique avancée. Soutenez-vous cette mesure ? 

Tout dépend de comment c'est architecturé. Il faudra regarder les décrets. On peut se poser la question de quelle lisibilité pour la population ? Est-ce qu'on va aller au bout des critères qui définissent la pratique avancée ? Aujourd'hui la pratique avancée, c'est le premier recours, donc le diagnostic, la primo-prescription, la stratégie thérapeutique. C'est ça la définition. La loi est en dérogation de nos articles à nous. Les [infirmiers spécialisés] vont avoir un nouveau statut, mais lequel ? Surtout, est-ce que ça correspond à un besoin de la population ? Et quelle lisibilité pour les usagers ? Après que consœurs et confrères veulent évoluer pourquoi pas.  

 

Quels vont être vos prochains chevaux de bataille ?

Surtout la convention. Maintenant qu'on a des compétences supplémentaires, il va falloir les rémunérer. Il faut que la profession puisse décider d'elle-même de ce qu'elle veut. Les enjeux sont là. Parce que ça va aussi améliorer notre lisibilité sur le terrain. Aujourd'hui, nous sommes souvent invisibles dans les textes. Dans le bilan de prévention, il y avait les infirmiers, les IPA n'apparaissent pas. Il va falloir améliorer notre visibilité et avoir une convention propre. C'est l'étape d'après. C'est pour cela que nous avons demandé un fléchage spécifique IPA dans la convention nationale infirmière. Sinon on va être dilués dans les infirmiers… 

 

*Union nationale des caisses d'assurance maladie.  

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Photo de profil de Stephane Petitclerc
265 points
Médecine générale
il y a 18 jours
"Pour travailler ensemble, il faut se respecter, ça fait partie de la confiance." Comment leur dire que c'est bien là le problème... Qu'un train peut (souvent) en cacher un autre, et qu'on ne peut pa
Photo de profil de Michel Rivoal
8,9 k points
Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 18 jours
Je ne comprendrai jamais cette façon de procéder. On crée des formations, on définit des compétences, on aborde du bout des lèvres un statut. Ça, c'est le début d'une chronologie. On ne prévoit pas la
Photo de profil de Guy Andre Pelouze
503 points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 18 jours
C’est assez curieux non? « L'IPA peut exercer en dehors des structures d'exercice coordonné, par exemple avoir un cabinet et être coordonné avec un médecin via un logiciel métier. Dans ce cas-là
 
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