Crédit : Le Point - Clara Cluzel
"On est trop gentils avec les soignants sur la manière dont ils s'organisent" : l'ordonnance de Nicolas Revel pour redresser les comptes de la Sécu
Estimé à 16 milliards d'euros aujourd'hui, le déficit de la Sécurité sociale pourrait atteindre 40 milliards d'ici à 2030 "si rien n'est fait", a alerté la numéro 2 de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), Marguerite Cazeneuve, lors de la Soirée des hôpitaux organisée par Le Point, mardi 30 septembre, en partenariat avec Egora. "Sans recettes supplémentaires", il sera "très compliqué" d'éviter qu'il ne se creuse, a soutenu Nicolas Revel, directeur de l'AP-HP.
Crédit : Le Point - Clara Cluzel
Alors que le nouveau Gouvernement – dont on attend encore la composition – doit présenter dans les prochaines semaines son budget de la Sécurité sociale pour 2026, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée de la Cnam, et Nicolas Revel, directeur général de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), étaient invités mardi soir à répondre à la question fatidique : "Peut-on encore sauver la Sécu et (surtout) comment".
"La situation nous inquiète vraiment beaucoup", a affirmé la numéro 2 de la Cnam. "Si on ne fait rien", le déficit de la Sécurité sociale, qui s'élève déjà à 16 milliards d'euros, atteindra 40 milliards d'euros en 2030. "On n'a jamais connu ça en 'temps de paix', en dehors des crises économiques très ponctuelles", a abondé Nicolas Revel, qui a dirigé la Cnam de 2014 à 2020 avant de devenir directeur de cabinet de Jean Castex à Matignon, puis de prendre la tête des hôpitaux parisiens.
Pourtant, "on n'a pas explosé les dépenses de santé en France par rapport aux autres pays" de l'OCDE, a souligné l'énarque, pour qui l'"énorme problème" aujourd'hui, "c'est que le tendanciel des dépenses de santé augmente deux fois plus vite que ce que l'on peut se payer avec un niveau de l'Ondam* raisonnable". "Chaque année, si vous ne faites rien et que vous laissez les choses aller, les dépenses de santé vont augmenter de 4 %."
Pour maintenir le déficit à 16 milliards d'euros, "il va falloir qu'on réalise 25 milliards d'euros d'économies sur les cinq prochaines années, c'est énorme", a développé Marguerite Cazeneuve, qui a livré les pistes du rapport Charges et produits pour 2026, approuvé par le Conseil de la Cnam. "On a essayé d'avoir un objet plus facile à utiliser pour le politique dans cette période d'instabilité. Le fait d'avoir créé du consensus social autour de ce rapport a de la valeur."
"Il faudra rentrer dans l'organisation des soins, dans les pratiques médicales"
Pour le directeur de l'AP-HP, si le déficit de l'Assurance maladie s'est "dégradé" pendant le Covid du fait de "dépenses conjoncturelles", celui-ci a continué de se creuser dans les années qui ont suivi, de 2022 à 2025, du fait des "revalorisations salariales" à l'hôpital (le Ségur) et des revalorisations conventionnelles en ville, "de moindre ampleur". Cela a "considérablement dégradé la branche", a estimé Nicolas Revel. "Quand vous mettez 15 milliards d'euros de dépenses supplémentaires sur ces sujets de revalorisations salariales et zéro recette en face, vous vous retrouvez avec un déficit structurel qu'il sera très compliqué de combler sans recettes supplémentaires."
Si jusqu'ici, "on est parvenus à" limiter la casse "en essayant de mettre la pression sur les prix et les remboursements", "ces deux leviers sont aujourd'hui dans une impasse", a estimé Nicolas Revel. En cause : le vieillissement de la population et l'explosion des maladies chroniques. "Plus vous avez de patients en affection de longue durée remboursés à 100 %, plus le part du gâteau de l'Assurance maladie augmente", a illustré Marguerite Cazeneuve, appelant à mettre les complémentaires à contribution. D'ici 2035 en effet, 25 % de la population sera en ALD, a-t-elle précisé, ce qui représentera "trois quarts de la dépense d'assurance maladie". "Il faut faire attention que l'Assurance maladie ne se retire pas des soins courants, du 'petit risque'."
Dans ce contexte, "on ne pourra pas assurer durablement en rognant les dépenses et les remboursements chaque année", a martelé le DG de l'AP-HP. Et d'ajouter : "on ne pourra pas non plus faire peser l'effort sur les professionnels de santé", alertant sur un risque de "fuite" des soignants de l'hôpital.
Pour Nicolas Revel, il faut "inventer d'autres moyens pour essayer de maîtriser la progression des dépenses de santé", en modérant le volume des soins. "Ces moyens passeront par des trucs un peu compliqués à dire à la radio, à la télé. Il faudra rentrer dans l'organisation des soins, dans les pratiques médicales, dans les sujets de prévention, de qualité, du 'qui fait quoi' entre la ville et l'hôpital. Des sujets sur lesquels la France n'est pas très bonne", a-t-il expliqué, plaidant pour "une vraie politique publique un peu forte et un peu prescriptive".
"On est trop gentils avec les professionnels de santé, les établissements, sur la manière dont ils s'organisent, dont ils pratiquent la médecine, a jugé le patron de l'AP-HP. On a besoin de les faire bouger. Ça va être un vrai levier de maîtrise des dépenses. Si on n'y arrive pas, le système ne tiendra pas."
* Objectif national de dépenses d'assurance maladie.
** Produit intérieur brut.
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