"Ta gueule salope, un rendez-vous !" : généraliste, il se met en grève pour défendre sa secrétaire

21/11/2018 Par F. Na.

C'est pour soutenir sa secrétaire face aux patients de plus en plus agressifs et exigeants que le Dr Thierry Venier a fermé son cabinet du jour au lendemain. Une semaine de grève sans préavis. Pour ce généraliste, il est urgent que les patients changent d'attitude, au risque de faire renoncer remplaçants et jeunes médecins.

  "Je suis médecin généraliste, en milieu semi-rural, dans une ville de 4 400 habitants. C'est la sixième ville de l'Indre. Ça fait 33 ans que je suis installé ici. Je vais avoir 65 ans, j'ai une clientèle qui est en rapport. Plus la moitié a plus de 60 ans, et 45% sont en ALD. Ce sont des gens polypathologiques, long à traiter…   Les plus exigeants, ce ne sont pas les jeunes   J'ai une employée qui répond au téléphone et qui régulièrement se fait proprement engueuler par des patients exigeants, impertinents, parfois grossiers même violemment. Elle ne m'en parle pas tout le temps. Mais elle a des "Ta gueule salope, tu me files un rendez-vous". Vous voyez le genre de truc ? C'est vrai que nous sommes dans un contexte de pénurie, les délais commencent à être un peu plus longs. Ça peut aller jusqu'à trois jours… Les plus exigeants, ce ne sont pas les jeunes. C'est plutôt les vieux. Bien souvent, ce sont les plus de 60 ans qui râlent. J'en ai eu marre. Avec cette agressivité ambiante, vous perdez de l'empathie face aux gens. Et quand vous êtes comme ça, il faut vous arrêter. Vous n'avez plus la disponibilité. Ça influence votre comportement. J'avais des rendez-vous, j'ai dit à mon employée : "Vous décommandez tout le monde. Je ferme le cabinet. Je fais grève. On arrête. Et surtout, ne dites pas quand je reprends." C'est vrai que ça s'est fait un peu brutalement. Tout de suite, le bruit a couru que j'étais malade, que j'avais fait un burn-out, que j'étais à l'hôpital…   Je perds 2 500 euros   Je précise que mon employée a continué de travailler. J'ai fermé mon téléphone, mais elle avait de quoi s'occuper avec les dossiers, rattraper le retard… Sur le plan libéral, je ne travaillais plus, mais je suis aussi médecin coordonnateur en SSR à l'hôpital. J'ai continué à y faire mon boulot. Mes camarades ont eu la gentillesse d'absorber le flux de patients urgents. Ils n'étaient pas prévenus, mais ils ont eu cette amabilité. Ils sont concernés aussi. Au niveau financier, je m'en fous. Je paierai moins d'impôts. C'est tout. Je perds 2 500 euros dans la semaine. Mais bon, ce n'est pas la question.  Pendant ma semaine de grève, j'ai demandé à Monsieur le Maire l'autorisation de parler à la fin du Conseil municipal, pour expliquer la chose aux conseillers. J'ai dit que c'était la première fois qu'on voyait un patron faire grève pour son employée. J'ai expliqué que ma grève, c'est une manifestation pour dire "attention" aux patients. J'ai déjà eu des réflexions de remplaçants disant que si les gens étaient agressifs, ils ne venaient pas. Ça pose aussi le problème de l'arrivée de jeunes sur le territoire. J'ai dit aux conseillers : "Si je pars en retraite, et qu'il n'y a personne derrière, vous risquez de vous retrouver sans médecins d'ici un an ou un an et demi". Ce sont des élus, c'est à eux de faire passer le message. Le problème, c'est que ce qui m'arrive n'est pas spécifique à mon cabinet. Dans tous les cabinets, c'est comme ça. Enfin, dans tous ceux qui n'ont pas opté pour des plateformes. Les gens n'ont jamais été agressifs directement avec moi. Ils engueulent mon employée. En face de vous, c'est silence radio. Ils sont corrects. Mais face à un employé, ils deviennent désagréables et méprisants. Les gens hiérarchisent leurs interlocuteurs et méprisent nos employés.  

Ca devient invivable

  C'est une question de société, certainement. Mais les gens partent du principe que s'ils ne gueulent pas, ils n'ont rien. L'Indre, c'est un département de vieux. Ce sont des gens qui sont nés pendant la deuxième guerre. Ce sont des gens qui n'ont jamais connu de problèmes. Ils ont bénéficié des Trente Glorieuses, ils n'ont pas connu le chômage. Oui, peut-être que dans les années 45, 46 ils ont eu des problèmes mais ils étaient trop petits pour s'en souvenir… Ils ont bénéficié de la Sécurité sociale, de la retraite relativement tôt… Ils ont un confort. Et ils veulent continuer à vivre comme ça. Alors que les choses ont changé. Il ne faut pas en faire une généralité, il s'agit de quelques patients sur toute la clientèle. Mais ça devient invivable et le personnel est à cran. Quelles sont les solutions ? Soit on fait des blacklists. On dit "celui-là, c'est un emmerdeur, on ne le prend pas". Mais ça ne se fait pas. Sinon, on passe par des plateformes. Ce qui va arriver. Mais là, vous perdez le contact direct avec votre clientèle. L'autre solution, c'est de faire des enregistrements. Comme fait le Samu, comme font les CPAM. Si vous avez quelqu'un de particulièrement insolent ou impertinent, vous avez un élément concret. Je vais d'abord poser la question à l'Ordre. Il faut savoir quelles sont nos limites légales. Mais ça peut avoir un effet dissuasif. Si les gens ont une annonce disant qu'ils peuvent être enregistrés, ça freine les élans d'impertinence.   Ceux qui sont odieux sont les plus critiques   Je n'ai pas l'intention de m'arrêter à ce coup de gueule. De façon générale, c'est assez bien perçu. Sauf par les emmerdeurs classiques. C'est triste. J'ai appris les réactions de mes patients par les infirmiers qui m'ont raconté. Les patients normaux approuvent ma démarche, ils disent que j'ai raison. Par contre, ceux qui sont odieux sont les plus critiques. Ils disent : "Ah, comment on fait sans médecin ?" Comme quoi, ils n'ont rien compris. Ils pensent que le message n'est pas pour eux. Mon employée a été très soulagée par ma démarche. Depuis qu'on a repris le téléphone, les gens sont plus tranquilles. Je ne sais pas combien de temps ça va durer."

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