Solidarité territoriale des médecins : les dessous d'un plan de sauvetage
"Un médecin près de chez vous." C'est l'engagement pris par le ministre de la Santé, Yannick Neuder, en lançant officiellement, lundi 1er septembre, le dispositif de "solidarité territoriale" des médecins sur la base du volontariat. Mais derrière les effets d'annonce, de nombreux défis restent à relever. Illustration dans les Landes, où les acteurs territoriaux s'activent pour organiser la venue des premiers médecins volontaires.
La date est fixée : le 16 septembre, le Dr Raphaël Duquenoy assurera sa première vacation à la MSP de Pissos, dans le nord des Landes. Le jeune praticien, installé à 20 km de Bordeaux, est l'un des 202 généralistes de Nouvelle-Aquitaine qui se sont portés volontaires pour assurer un renfort dans les 29 intercommunalités de la région identifiées comme des "zones rouges" par le ministère.
Dans cette vaste région, les travaux de mise œuvre de la "solidarité territoriale" ont été lancés au début de l'été, retrace Atika Rida-Chafi, directrice adjointe à l'offre de soins à l'ARS Nouvelle-Aquitaine. "On a travaillé sur les lieux d'accueil, d'un côté, et sur le recensement des médecins volontaires, de l'autre." Car pour l'heure, en l'absence de cadre légal*, il n'est pas question d'obligation. Une enquête a été lancée fin juillet auprès de l'ensemble des généralistes en activité inscrits à l'Ordre dans la région. A travers ce questionnaire, les médecins disposés à assurer des consultations avancées étaient invités à préciser leur disponibilité (fréquence et jours de la semaine) et indiquer les territoires dans lesquels ils seraient prêts à se déplacer.
8 volontaires pour la Creuse, 7 pour la Corrèze
Avec 57 médecins volontaires, les Landes sont sorties du lot, sans doute "pour une question de proximité" avec la région bordelaise, mieux lotie, analyse le Dr Emmanuel Bataille, président de l'URPS-médecins libéraux de Nouvelle-Aquitaine. La moitié des généralistes volontaires pour assurer un renfort dans l'une ou l'autre des deux zones rouges situées au nord et au nord-est des Landes seraient en effet des Girondins. Hormis la Dordogne (32 volontaires), les autres départements n'ont pas suscité autant d'engouement : seuls 8 médecins se disent prêts à aller dans la Creuse, 7 en Corrèze et 3 dans la Vienne… "On voit bien que l'éloignement peut être un frein, les conditions d'accueil vont beaucoup jouer", relève le représentant de l'URPS.
Autre enseignement : sur les 57 volontaires partant pour les Landes, seuls 6 sont installés dans le département. "Ceux qui sont sur la côte n'ont pas envie de bouger et les autres, comme moi qui suis à Mont-de-Marsan, ont autre chose à faire que d'aller à Labrit ou à Sore", commente le Dr Didier Simon, président de l'URPS des Landes. "J'ai 2300 patients médecin traitant, je ne peux pas me permettre de partir deux jours par mois."
L'enquête étant encore ouverte – l'ARS se laisse jusqu'à mi-septembre – il est trop tôt pour identifier le profil des volontaires. "On table soit sur des jeunes médecins en début d'exercice qui ne sont pas encore noyés par leur patientèle, soit sur des retraités actifs qui veulent maintenir une activité complémentaire", expose le Dr Jean-François Dubroca, président du Conseil départemental de l'Ordre des Landes, dont le rôle sera de "sécuriser l'exercice" de ces libéraux. "Pour ne pas être taxé de médecine foraine, il faut déclarer le lieu d'exercice secondaire, informe le représentant ordinal. Sinon, en cas de pépin, la RCP du médecin va venir chercher la petite bête et se dégager de toute responsabilité. Ce sont des procédures qu'on va essayer de fluidifier, de simplifier." Pour l'heure, seuls 3 dossiers sont dans les tuyaux.
200 euros par jour pour indemniser les frais
Car il ne suffit pas de compter les volontaires, il faut dorénavant organiser leur venue. Si dans certaines zones, où des structures de soins sont déjà présentes, le médecin viendra renforcer l'équipe en place (à l'instar de la MSP de Pissos), "il y a des territoires où il n'y a déjà plus grand monde, et où il faut tout monter de A à Z", relève Emmanuel Bataille. L'ARS travaille main dans la main avec les CPTS et les collectivités pour mettre en place un planning et inscrire les vacataires dans une organisation territoriale, assure Akita Rida-Chafi.
Comment seront équipés les cabinets ? "Comme on a dit à l'ARS, il faut arriver avec son stéthoscope, son tensiomètre et sa trousse de visite et il faut que tout le reste fonctionne", insiste Didier Simon. Les collectivités sont-elles prêtes à financer du matériel (type ECG, spiromètre), un secrétariat voire une fonction de coordination ? Peuvent-elles proposer un hébergement gratuit ? "L'échéance municipale dans six mois peut être un bon levier pour dire aux collectivités de se mouiller", considère Emmanuel Bataille. Son confrère des Landes s'attend, lui, à "assister à une course à l'échalotte" entre les territoires. Pour indemniser leurs frais de transport, d'hébergement et de restauration, les médecins "solidaires" toucheront 200 euros par jour. "C'est le forfait acté pour l'ensemble des médecins volontaires de la France entière, mais les aides vont être complétées en fonction des territoires", confirme Atika Rida-Chafi. "Il ne faut pas que le médecin y soit de sa poche, mais c'est sûr qu'on ne va pas s'enrichir avec ça", commente le président du CDOM.
Sur la fréquence des vacations, "il faut laisser de la souplesse", insiste Emmanuel Bataille. "Est-ce que c'est forcément deux jours par mois ou est-ce qu'on peut rassembler les vacations sur une semaine par période de six mois si ça arrange ? Pour les zones éloignées, ça va jouer."
Ce n'est pas parce que 202 médecins ont répondu favorablement qu'ils vont y aller…
Mais c'est sans doute sur le plan médical que les plus gros défis sont à relever, soulignent les libéraux. "Nous, on n'est pas dans le politique, on veut contribuer mais il faut que ce soit qualitatif, insiste le président de l'URPS Nouvelle-Aquitaine. Il faut partir des besoins du territoire : le médecin viendra-t-il pour prendre en charge les patients sans médecin traitant ou en renfort sur les soins non programmés ? Le médecin en place doit-il ouvrir ses dossiers patients ? Si les médecins changent, comment va-t-il se coordonner avec eux ?"
Didier Simon, lui, s'interroge sur la qualité du suivi et des parcours de soins. "Ces médecins vont prescrire des examens complémentaires mais s'il y a des trous dans le planning, que le mercredi et le jeudi par exemple, il n'y a personne, qui va assurer le suivi ? Ce ne sont pas les médecins en place : par définition, ou il n'y en a pas, ou ils sont débordés !", lance le généraliste landais. "Il y a de fortes probabilités que ce soit des consultations complexes et face à des patients que vous ne connaissez pas, vous mettez plus de temps", soulève encore le praticien. Enfin, "ça ne règle pas le problème de l'accès au second recours... C'est un peu un 'sauve qui peut' de l'Etat. On l'accompagne parce qu'on est en responsabilité, mais je ne suis pas sûr qu'on arrive à créer une dynamique", doute Didier Simon, qui se dit "dans l'expectative" : "Ce n'est pas parce que 202 médecins ont répondu favorablement qu'ils vont y aller…"
"Peut-être que les conditions ne conviendront pas aux médecins qui viendront, reconnaît Emmanuel Bataille. On ne peut pas faire du sur mesure dans tous les sens." Pour le président de l'URPS-ML de Nouvelle-Aquitaine, "il faut valoriser cette mobilisation collective des acteurs locaux et valoriser ces médecins volontaires qui ont planté une petite graine dans la tête des autres, mais ne faisons pas d'angélisme, ne faisons pas croire à la population qu'avec un petit coup de baguette magique, le problème des déserts médicaux sera résolu, met-il en garde. Ce n'est qu'un des leviers."
*Adoptée au Sénat le 13 mai, la proposition de loi Mouiller n'a pas encore été discutée à l'Assemblée nationale.
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