Maladie de Lyme : des nouvelles recommandations controversées

20/06/2018 Par Chantal Guéniot
Infectiologie
En l’absence de validation officielle de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), la HAS a décidé de publier, non un protocole de soins, mais des recommandations concernant la maladie de Lyme et autres pathologies transmissibles par les tiques. Le texte crée la notion de "symptomatologie ou syndrome persistant(e) après une possible piqûre de tique (SPPT)", considérée par certains comme la reconnaissance d’un syndrome de Lyme chronique, ce qui continue d’attiser les polémiques. 

  Comme on pouvait s’y attendre, les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la maladie de Lyme ont été présentées dans une ambiance tumultueuse, tant ce sujet suscite de polémiques. Ce travail, co-organisé par la HAS et la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), devait donner lieu à un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS). La SPILF ayant différé son accord, la HAS a décidé de le publier sans attendre, sous la forme de recommandations, dont l’argumentaire porte encore la trace des corrections en rouge sur le site de la HAS. Les réactions les plus vives sont liées aux tests biologiques et à la création de l’entité "symptomatologie ou syndrome persistant(e) après une possible piqûre de tique (SPPT)", qui recouvre pour l’essentiel le syndrome post-Lyme ou Lyme chronique, dont la réalité est débattue. La HAS définit le SPPT par la triade clinique syndrome polyalgique, fatigue, plaintes cognitives, plusieurs fois par semaine depuis plus de 6 mois, avec une notion de "piqûre de tique possible".  Devant un tel tableau, elle recommande un premier bilan infectieux (sérologies VIH, VHC, VHB, EBV, CMV, syphilis) et un bilan biologique de base (NFS, bilan hépatique, CRP, ionogramme sanguin, créatinine, glycémie à jeun, CPK, ferritine, TSH, bandelettes urinaires), qui permettra de rechercher, notamment, un syndrome inflammatoire.

Aucun test biologique ne permet aujourd’hui de distinguer une cicatrice sérologique d’une infection active. La présence d’une fièvre ou d’un syndrome inflammatoire biologique est peu évocatrice et doit orienter vers un autre diagnostic. Un bilan infectieux plus poussé pourra être réalisé en deuxième recours, en centre spécialisé. Une liste d’examens est proposée pour la recherche de diagnostics différentiels non infectieux, en fonction des données de l’interrogatoire et de l’examen clinique. Si ce bilan est négatif, la HAS précise qu’un test thérapeutique "pourra" être proposé : doxycycline 200mg/j pendant 28 jours, ou, en cas de contre-indication, azithromycine, 1 000 mg en dose de charge, puis 500mg/j pendant 15 jours. Si ce traitement est inefficace on ne tente par d’autres traitements anti-infectieux, sinon dans le cadre de protocoles de recherche. Selon un travail cité par le Dr Cédric Grouchka (HAS), dans 90 % des cas un diagnostic est finalement porté. Il s’agit d’une maladie de Lyme dans 10 % des cas et d’une autre affection dans 90 % des cas : psychiatrique (30%), rhumatologique (20%) neurologique (14%)… Des centres spécialisés régionaux devraient être créés pour un traitement multidisciplinaire des patients atteints de formes complexes de borreliose, mais "surtout" de SPPT. Une prise en charge de la souffrance psychique et de la douleur doit être bien sûr associée pour ces patients. Pour le Dr Grouchka, formaliser ce groupe de patients par une dénomination commune de leurs troubles et par des critères diagnostiques clairs était indispensable pour établir une conduite à tenir, qui les protège de trois risques : l’errance diagnostique, le charlatanisme (tests coûteux, traitements miracles) et les antibiothérapies au très long cours, "totalement inutiles et extrêmement dangereuses". "Il nous fallait un cadre pour prendre en charge ces patients et arrêter des pratiques ineptes, a renchéri le Pr Dominique Le Guludec, présidente du Collège de la HAS. Néanmoins, dans une lettre à la HAS cosignée par 11 sociétés savantes et par le Centre national de référence des Borrelia, la Spilf demande que soit revu le chapitre concernant le SPPT, qui "ne correspond pas à une entité connue et décrite dans la littérature". "Ce chapitre nous semble contenir des imprécisions qui pourraient créer de la confusion et complexifier la prise en charge des patients." 

Témoin des polémiques qui entourent ce sujet, dans une interview au Nouvel Observateur, le Pr Christian Perronne (hôpital Raymond Poincaré, Garches) conteste certains aspects du rapport mais se félicite, au contraire, qu’il "signe enfin la reconnaissance de la forme chronique de la maladie, à travers le SPPT".   Phase précoce : un diagnostic uniquement clinique Concernant la stratégie diagnostique de la maladie de Lyme, la Spilf regrette les imprécisions concernant les tests sérologiques. L’ANSM évalue actuellement les performances de ces tests. La sérologie n’est pas pertinente dans les formes cutanées précoces de l’infection (érythème migrant unique ou à localisation multiple), car les anticorps n’apparaissent qu’après plusieurs semaines. Le diagnostic à ce stade est purement clinique et doit conduire à un traitement antibiotique : doxycycline,200 mg/j ou amoxicilline, 1g 3 fois par jour pendant 14 jours (21 j en cas érythème migrant à localisation multiple) en première intention, ou azithromycine, 1000 mg le premier jour, puis 500 mg/j pendant 7 jours (10 j en cas d’érythème migrant à localisation multiple). "Ces traitements sont très efficaces, les borrelias restant extrêmement sensibles à ces antibiotiques", a rassuré le Pr Elisabeth Bouvet (membre du Collège de la HAS). Reste qu’il n’existe aujourd’hui aucun test diagnostique d’une infection en cours. "C’est l’axe de recherche le plus important", a estimé le Dr Grouchka. Pour les formes disséminées précoces ou tardives, un test Elisa doit être demandé en première intention. Celui-ci entraînant beaucoup de faux-positifs, il doit être suivi d’un western blot, plus spécifique, en cas de résultat positif. Les traitements dans ces cas peuvent aller jusqu’à 4 semaines. "Les études montrent que seuls un tiers des malades diagnostiqués reçoivent un traitement correct, a observé le Dr Grouchka. Un tiers sont surtraités et un tiers ne le sont pas ou peu."   Pas de traitement antibiotique sans érythème migrant La prévention repose sur le port de vêtements couvrant en cas de jardinage, de randonnée ou de promenade en forêt, complétée éventuellement par des répulsifs et par l’examen de la peau au retour de ces activités. Ce sont souvent les nymphes, dont la taille ne dépasse pas 1 à 3 mm, qui sont infectées. La tique doit être retirée en utilisant un tire-tique et la peau surveillée pendant plusieurs semaines, l’érythème migrant apparaissant en 3 à 30 jours. Le traitement antibiotique est d’autant plus efficace qu’il est précoce. Le traitement n’est pas recommandé en l’absence d’érythème migrant, c’est-à-dire dans une très grande majorité des cas.  Ces recommandations pourront devenir un protocole national de diagnostic et de soins lorsqu’elles seront avalisées par la Spilf. "Nous nous réjouissons des avancées significatives du groupe de travail", déclarait cette société savante dans sa lettre à la HAS, avant de préciser les points de discorde. Pour le Pr Le Guludec, ces réserves concernent la forme des recommandations et non leur fond. "Nous avons travaillé en consensus avec la Spilf jusqu’à la fin, a-t-elle souligné. Nous allons réunir le groupe de travail tous les six mois, pour lever au maximum les incertitudes persistantes, qui pèsent lourd pour certains patients."  

Environ 50 000 cas par an

Entre 2009, date à laquelle a été mise en place une surveillance par un réseau sentinelle de généralistes, et 2015, l’incidence annuelle de la maladie de Lyme en médecine générale est restée stable, variant entre 41 cas et 55 cas pour 100 000 habitants, selon les données publiées dans un numéro thématique du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH n°19-20 du 19 juin). Son incidence a grimpé à 84 pour 100 000 en 2016, différence significative dont il convient de suivre l’évolution, mais qui pour les Pr François Bourdillon et Jean-Claude Desenclos, auteurs de l’éditorial de ce numéro, "reflète probablement la médiatisation croissante de la maladie auprès du grand public et des professionnels de santé". A l’appui de cette hypothèse, dans 95 % des cas la maladie de Lyme a été diagnostiquée au stade d’érythème migrant, dans 5 % des cas au stade de dissémination. Par ailleurs, les données du PMSI ne montrent pas de variations particulières de l’incidence des hospitalisations pour maladie de Lyme, dont la moyenne s’établit à 799 cas par an (1,1 à 1,5 cas pour 100 000 habitants). L’hospitalisation était liée à des manifestations neurologiques dans 51 % des cas, articulaires dans 13 % et cardiaques dans 7%.

Le premier Baromètre santé sur les perceptions vis à vis de la maladie de Lyme indique qu’un quart de la population a déjà été piquée et que 22 % se sentent exposés. Entre 3 et 15 % des tiques sont infectées, selon les régions; l’Alsace, le Limousin et la région Rhône-Alpes étant les plus touchées. 56 % des contaminations se font lors d’une promenade en forêt, 26 % dans les jardins et 17 % dans les prairies. "En cas de piqûres par l’un de ces tiques infectées, le risque de maladie n’est pas supérieur à 10 %, a estimé le Dr Cédric Grouchka, membre du collège de la HAS. Donc le risque de maladie après une morsure de tiques ne dépasse pas 1 %. Il faut être vigilant, mais sans créer d’anxiété."
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