Santé de la femme : "Il faut de l’équité, pas de l’égalité"

08/03/2023 Par L. C.
Santé publique
Biais genrés, charge mentale, tabous, banalisation de manifestations cliniques… les freins à la bonne prise en charge des femmes sont encore trop nombreux en France, pointent les Femmes de santé. Fort de 2600 membres qui travaillent dans le secteur (médecins, patientes expertes, avocates, start-uppeuses…), le collectif a imaginé à quoi pourrait ressembler une stratégie nationale dédiée à la santé de la femme, qu’il appelle de ses vœux. Pour porter cette ambition, l’organisation est en train de monter un institut consacré à la santé de la femme. Sa fondatrice, Alice de Maximy, explique à Egora les raisons d’un tel projet et ses objectifs.  
 

Egora.fr : Vous plaidez pour une stratégie nationale dédiée à la santé de la femme. Pourquoi formuler cette demande aujourd’hui ? Est- ce qu’il y a urgence ? 

Alice de Maximy : Les Femmes de santé ont émis le souhait de travailler sur la santé des femmes parce qu’elles avaient identifié des sujets, des problèmes. Nous avons donc démarré les travaux en ce sens il y a plus d’un an. Le sujet n’était pas encore sorti. C’est nous qui l’avons mis sur la table. Pour commencer, nous avons réalisé une synthèse bibliographique de la littérature grise, celle que l’on trouve en ligne, sur la santé des femmes en France, et ce durant plusieurs mois. Le constat a été saisissant : jamais je n’avais imaginé qu’il y avait de tels enjeux. 

Outre l’enjeu financier d’accès aux soins, qui est le premier frein à la prise en charge des femmes et est globalement un sujet d’égalité entre les femmes et les hommes, le deuxième frein identifié a été la charge mentale. On parle même de charge mentale médicale. Quand on est noyé dans sa vie quotidienne, la dernière chose que l’on fait, c’est prendre soin de soi. Or ce dont on s’est rendu compte, c’est que tous les dispositifs de prévention qui existent demandent une charge mentale supplémentaire. Il faut trouver des systèmes de prévention au sein desquels ce côté libération du temps/organisation de l’agenda doit sauter. 

Nous avons par ailleurs constaté que les tabous étaient gigantesques, aussi bien chez les soignants que chez les femmes. Ce qui n’aide pas à une bonne prise en charge. Les femmes ayant un cancer du sein hormonodépendant sont mises sous ménopause artificielle et ont des traitements qui peuvent provoquer une odeur désagréable dans la région vaginale, et cela atteint également la libido. Qui en parle ? C’est un exemple d’énorme tabou… Un autre élément qui nous a paru extrêmement important, c’est la banalisation des symptômes. Certaines jeunes filles pensent par exemple qu’il est normal d’avoir des douleurs lors des rapports sexuels. 

Cela dépasse la sphère gynécologique bien sûr, cela peut toucher à la cardiologie également, dans le cas notamment de crises cardiaques. 

Enfin, le dernier élément soulevé par nos travaux est la méconnaissance des maladies et des traitements dans certains secteurs, comme le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK). Cela est dû à plusieurs facteurs : aux tabous – on en revient – mais aussi à la culture. Quand on fait de la recherche dans ces domaines peu étudiés, il y a moins d’articles. C’est donc difficile pour proposer des solutions (dispositifs, traitements…). Outre les maladies dites « féminines », il y a aussi les maladies mixtes avec des symptômes différents selon qu’on est un homme ou une femme. Cela n’a, là encore, pas été bien étudié. Il n’y a par ailleurs pas eu de notion genrée dans les effets secondaires de certains traitements. En tout cas, ce n’est pas dans les notices. C’est un problème. 

Dans la santé (aussi bien dans les traitements que dans l’accompagnement), ce que l’on sait aujourd’hui pour le genre, c’est qu’il faut de l’équité, pas de l’égalité. Il y a une différence, il ne faut pas la nier. En découvrant tout cela, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de programme santé de la femme. C’est une approche complètement novatrice : puisqu’il y avait de l’égalité, on ne faisait pas de différences entre les hommes et les femmes au nom de ce principe. Ce n’est pas un scandale qu’il y ait eu ça. Mais on estime aujourd’hui qu’il faudrait sans doute un programme national santé de la femme. Nous avons donc proposé 10 piliers constructeurs de cette stratégie dans une lettre ouverte au Gouvernement. Elle a été signée par plus de 700 personnes. Nous l’avons remise aux trois cabinets concernés : la Santé, la Fonction publique, et l’Egalité. 

 

Le Gouvernement a-t-il été attentif à vos propositions ? 

Agnès Firmin Le Bodo [ministre déléguée chargée des Professions de santé et de l’Organisation territoriale, NDLR] a entendu nos propositions, nous lui avons d’ailleurs remis la lettre lors des Etats généraux en décembre dernier. Nous savons qu’il y a eu des réunions interministérielles par la suite, dans lesquelles certaines de nos recommandations ont été présentées. On ne sait toutefois pas où en est le Gouvernement. Il faut rappeler qu’en tant que collectif, nous ne faisons pas de politique, même si on pousse une politique de santé. 

 

Parmi vos recommandations, il y a notamment la mise en place d’examens aux âges clés de la vie d’une femme (péri-ménopause par exemple)… 

Une gynécologue membre des Femmes de santé a constaté que le parcours de santé de la femme n’était pas si clair. Ce qu’il ressort, c’est qu’en dehors de la prévention de type dépistage (cancer du sein, du col de l’utérus…), de la prise en charge du cancer lorsqu’il a été dépisté, ou de la maternité, il n’y a pas de parcours spécifique. Désormais [cela a été voté dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023], il y aura les trois rendez-vous de prévention dans lesquels la loi a nommé la santé de la femme. C’est énorme. 

De notre côté, nous ne demandons pas forcément que ces examens soient inscrits dans la loi, mais qu’ils soient établis, proposés, affinés chaque année. Qu’il y ait un parcours coordonné clair. Plus ça va aller, et plus on va se rendre compte que la santé telle qu’on la voyait il y a vingt ans ne sera plus la même.    

 

Les Femmes de santé préconisent aussi une meilleure formation des soignants à la prise en charge de la santé de la femme. Qu’est-ce qui pêche ? 

Je me fais l’écho du collectif, au sein duquel des soignantes ont estimé qu’elles n’étaient pas suffisamment formées aux facteurs humains de la personne en face d’elles ou d’eux. La notion de genre est importante. Il faut que l’on prenne conscience de ses propres biais genrés, car ils sont inconscients des deux côtés – le sexisme intégré existe aussi chez nous, les femmes. Et ça, ça s’apprend. Dans nos ateliers, beaucoup de femmes ont jugé qu’il fallait le faire dès le début des études médicales, dès l’oral de la première année, car le facteur humain doit être important quand on soigne. Dans les réflexions, il a été suggéré d’aborder à chaque cours sur les maladies les différences entre les hommes et les femmes. Pour ce qui touche au genre de la personne en face du soignant, il a été évoqué la création de modules, voire de mises en situation. Une pédagogie moins descendante, plus active.     

 

Face à ces constats, le collectif a engagé la création d’un institut dédié à la santé de la femme. Quelle forme prendrait-il ? Et quels seraient les objectifs ?  

Pour porter cette stratégie nationale, il faut quelque chose qui la coordonne. Nous avons pensé à un institut français de la santé de la femme, qui ne serait pas un institut de soins. Les Femmes de santé ont défini ce qu’il devait être : public, privé à but lucratif et privé à but non lucratif. C’est difficile de trouver une structure juridique qui permet cela... 

L’objectif de cet institut est clair : favoriser la santé de la femme. Avec trois axes d’actions : coordonner, accompagner et promouvoir la santé de la femme. Coordonner les acteurs, d’abord, et les fédérer (acteurs publics, structures de développement et d’innovation, associations de patientes, de professionnels de santé…). Accompagner ensuite les projets à but non lucratif et des projets innovants à but lucratif. Je ne veux pas entendre parler de cloisonnement public/privé. La promotion enfin, c’est-à-dire le référencement de tout ce qui existe (des maladies « typiquement féminines » par exemple, mais aussi des recommandations valables sur le plan scientifique). Cela n’a jamais été fait. Il y aurait également un volet formation. 

On a évidemment l’ambition d’être l’institut référent sur la santé de la femme. C’est un projet très lourd, mais je pense que cela peut être un projet éthique. Le 8 mars sera en quelque sorte la fin de nos Etats généraux, on sera allé au bout de ce que l’on veut faire. Après cette date, on travaillera le fond. 

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