Soins non programmés : 3 généralistes sur 4 ne parviennent pas répondre à toutes les demandes

23/01/2020 Par L. C.
Une étude menée par la Drees, publiée mercredi 22 janvier, montre que 8 médecins sur 10 s'organisent au quotidien pour prendre en charge les soins non programmés, en proposant par exemple des plages de consultations sans rendez-vous. Mais seuls 3 généralistes sur 10 parviennent à répondre à l'intégralité des demandes et 45% à la moitié d'entre elles. Pierre Verger, médecin épidémiologiste et directeur de l'ORS Paca, est l'un des auteurs de cette étude. Pour Egora.fr, il expose les différents freins à cette prise en charge et soumet des solutions pour garantir la continuité des soins.

  Egora.fr : Le 4e Panel d'observation des pratiques et conditions d'exercice en médecine générale* montre que les généralistes sont débordés par les demandes de soins non programmés. Comment serait-il possible de dégager du temps aux médecins ? Pierre Verger : Dégager du temps médical est effectivement une des pistes de réflexion qui occupe les esprits des pouvoirs publics et des médecins. Mais il y a probablement plusieurs pistes. Si on écoute les médecins eux-mêmes, ils considèrent qu'une partie de ce temps médical serait mieux utilisé s'ils avaient moins de charges administratives. Il est vrai qu'exercer dans un cabinet qui a les moyens d'utiliser des assistants médicaux peut être une façon de laisser aux médecins plus de temps clinique avec ses patients. Une autre piste qui va faire et fait déjà l'objet d'expérimentations localisées, c'est la délégation ou le transfert de tâches à d'autres professionnels de santé. Je pense notamment aux infirmières de pratique avancée. Pour autant que j'en sache, les pratiques des infirmières avancées sont pour l'instant dans un cadre assez restreint. Mais il est vraisemblable que, peu à peu, ce cadre soit être élargi à d'autres types de tâches. Par exemple, on peut imaginer qu'elles participent à des tâches d'éducation des patients ou qu'elles prennent en compte la prévention. Et le ministère de la Santé a dans ses cartons également le projet de permettre à des infirmières de s'occuper en partie de la vaccination. Elles le font déjà, mais l'idée serait d'élargir à d'autres types de vaccins, voire peut-être les vaccins infantiles. C'est déjà le cas dans d'autres pays comme au Québec.  

  Qu'en est-il des structures collectives ? Répartir la demande de soins non programmés avec d'autres médecins est aussi une possibilité. Le fait d'appartenir à un cabinet dans lequel il y a plusieurs médecins offre plus de flexibilité dans la réponse à ces demandes et permet probablement d'en prendre en charge plus. Il y a sûrement une marge de meilleure organisation. Mais il ne s'agit pas non plus d'imposer des modes d'organisation aux professionnels de santé. On peut aussi avoir l'espoir qu'il y aura des solutions mises en œuvre à l'échelle territoriale au fur et à mesure que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) vont se mettre en place. Dans de nombreuses régions, comme en région Paca, ces communautés suscitent un intérêt des médecins. D'ailleurs, il ne s'agit pas toujours des initiatives prises par les médecins mais aussi par d'autres professionnels comme les infirmiers. Il y a d'ailleurs un véritable engouement de la nouvelle génération pour ces structures. 80% des jeunes médecins s'installent en groupe quelques soient les modalités de cette installation. Cela s'explique par le fait qu'ils aspirent à une meilleure qualité de vie alors que la charge de travail et le nombre d'heures hebdomadaires d'un médecin restent quand même extrêmement élevés. En moyenne, les médecins travaillent 54 heures par semaine, d'après les chiffres du Panel. Mais c'est une moyenne : une partie des médecins travaille moins, mais une autre partie travaille beaucoup plus. Des semaines de 70 heures sont loin d'être rares. On est face à une évolution sociétale et donc le fait de se retrouver dans des structures plus collectives rassure les médecins parce qu'exercer seul, c'est parfois exercer sans filet. Derrière cela, il y a une acceptation progressive de nouvelles formes de rémunération des médecins plus par des forfaits. Et, pour une part des médecins, le fait de se retrouver salarié n'est plus du tout un tabou.  

Un quart des généralistes réorientent ces patients vers les urgences

D'après le panel d'observation des pratiques et conditions d'exercice en médecine générale, en 2019, les demandes de soins non programmés représentent plus de 30% de l'activité d'une semaine ordinaire pour 4 généralistes sur 10.  Pour répondre à ces demandes en augmentation, les professionnels de santé se sont donc organisés. Ils sont 8 médecins sur 10 à avoir modifié leur quotidien pour s'adapter, en proposant par exemple des plages de consultations sans rendez-vous. 45% des généralistes en proposent d'ailleurs au moins une fois par semaine.
Pourtant, seul 1 généraliste sur 4 peut répondre à la totalité des demandes. Ce qui les oblige à faire des choix en priorisant les patients vulnérables : les enfants et les personnes âgées, ou ceux dont ils sont le médecin traitant.
La moitié des médecins réorientent donc souvent les patients dont la prise en charge est impossible vers le secteur libéral (53%). 37% les orientent vers une structure d'exercice coordonné ou une structure libérale spécialisée dans le SNP (16%). Et plus d'un quart des généralistes renvoient les patients vers les urgences ou le Samu. Une solution particulièrement privilégiée par les médecins de plus de 60 ans.

  Mais est-ce que tout cela va suffire à couvrir ces demandes de soins non programmés ? Rien n'est moins sûr, d'autant que ces demandes sont en nette augmentation. D'une part, parce qu'il y a de plus en plus de gens porteurs d'une maladie chronique et porteurs de multimorbidité. Dans ces cas-là, la probabilité que ces personnes ressentent des urgences est vraisemblablement plus importante puisqu'il y a plus de complexité dans la gestion de ces maladies. Et l'éducation thérapeutique ne semble pas toujours suffisante pour que les patients prennent par eux-mêmes des dispositions en toute responsabilité. Ils continueront d'avoir besoin de leurs médecins. D'autre part, parce qu'il y a une évolution de la société. De plus en plus de personnes souhaitent être pris en charge le plus vite possible lorsqu'ils ressentent une situation d'urgence. Les médecins sont confrontés à cela et au fait que les services des urgences sont tout à fait débordés. De l'autre côté, il y a aussi des médecins qui, lorsqu'ils sont dans des zones avec une démographie médicale défavorable et déclinante, se trouvent eux-mêmes dans des situations de débordement. Donc, c'est clair qu'il y a un certain nombre de demandes qui ne peuvent être satisfaites. C'est donc un point de vigilance qu'il va falloir suivre comme le lait sur le feu dans les années qui viennent. Et un dispositif comme le panel va pouvoir nous permettre de suivre ces indicateurs de perception et ces indicateurs objectifs, mais aussi de voir si toutes les réformes qui sont mises en place, et qui vont prendre du temps avant de pouvoir être appréhendées, appropriées et implémentées par les médecins, permettent une "meilleure optimisation de la prise en charge des SNP".   Vous avez montré dans l'étude que la moitié des médecins, qui ne peuvent pas répondre aux demandes de SNP, réorientent les patients vers d'autres structures, un quart vers les urgences. Comment peut-on empêcher la ruée vers ces services ? De nouveaux établissements se développent depuis quelques années et viennent occuper un maillon intermédiaire entre le service d'urgence hospitalier et l'offre de médecine de ville. Ils répondent à un objectif de fluidification du parcours de soin en essayant de faire en sorte que les patients qui n'en ont pas besoin n'aillent pas dans les services d'urgence. Et en même temps, ils permettent d'accueillir des patients que les médecins généralistes ne sont plus à même d'accueillir. Aujourd'hui, on ne dispose pas d'un recensement précis de ce nouveau type de structures. Mais on sait qu'elles peuvent prendre des modes d'organisation différents. Cela peut être des établissements existants qui développent une activité de soins non programmés. Certains services d'urgence l'ont par exemple déjà fait. Ceux-ci prenaient déjà en charge des SNP, mais ils se sont organisés pour mieux les accueillir. Il y a aussi des lieux dédiés à ces soins qui se sont développées dans des polycliniques. Cette solution permet d'avoir un plateau technique qui offre un certain nombre d'examens de base qui suffisent pour gérer ces demandes de SNP, comme des examens biologiques, de la radiologie, de l'échographie. Certaines ARS proposent notamment des cahiers des charges pour encadrer ces types de structures.  

  Ce créneau semble donner satisfaction à un certain nombre de patients qui pensent ne pas pouvoir attendre et qui peuvent être pris sans rendez-vous assez rapidement dans ces structures.   Est-ce que la réponse à ces demandes se fait au détriment d'autres types de soins ? Les données de l'enquête montrent que les personnes qui sont prises en charge dans le cadre de consultations non programmées ont des durées moyennes de consultations qui sont en fait un peu plus courtes que les patients qui sont pris en charge dans un cadre plus classique. [16 minutes contre 18 minutes, NDLR] C'est évident que les choix de prendre en charge ou pas ces SNP vont dépendre d'un médecin à l'autre en fonction du travail quotidien qu'il doit réaliser avec ses autres patients. Chaque médecin fait ses arbitrages et c'est pour cela d'ailleurs que nos résultats montrent que trois quart des médecins ne sont pas en mesure de répondre à la totalité des demandes. Cela veut dire qu'il y a des médecins qui savent qu'ils n'ont pas la capacité de le faire et limitent les réponses en priorisant certains types de patients qu'ils estiment les plus fragiles ou vis-à-vis desquels ils ont un engagement. Par exemple, les médecins avec lesquels les patients ont signé un contrat dit de "médecin traitant".   Pensez-vous que la mise en place d'un numéro unique permettrait de gérer et de prioriser ces demandes ? C'est vrai qu'essayer de mettre en place une régulation pour mieux orienter les patients dans le système de soin lorsqu'ils sont un peu perdus pourrait être une solution intéressante. Encore faut-il que les gens l'utilisent et la connaissent. Mais ce n'est pas à moi de dire comment cela devra être organisé.   La télémédecine est-elle davantage utilisée, notamment dans les déserts médicaux, pour répondre à certaines demandes ? En région Paca, je ne dirai pas que c'est fortement utilisé, mais les interlocuteurs avec lesquels on discute sont de plus en plus sensibilisés à l'utilité potentielle de ce type d'outils, essentiellement pour apporter des solutions dans les territoires où l'on manque cruellement de spécialistes. La prise de conscience commence à être de plus en plus prégnante. Toutefois, le développement est quand même relativement nouveau. Et les nouvelles modalités techniques de prise en charge ou les nouvelles dispositions pour organiser les consultations prennent du temps avant d'être appropriées. Il y a également un cadrage réglementaire à prévoir. Donc ce n'est pas si simple que cela en a l'air. Ce n'est pas parce qu'on a dit sur le papier "la télémédecine, c'est la solution" que cela va se mettre en place en six mois. Il faut du temps pour que les professionnels s'habituent, se familiarisent et peut-être abandonnent certains stéréotypes qui peuvent faire frein à l'emploi de ces outils.   *Le Panel d'observation des pratiques et conditions d'exercice en médecine générale est une enquête multipartenariale dont la 4e édition s'est déroulée entre octobre 2018 et avril 2019, par Internet et par téléphone, auprès de plus de 3.000 médecins représentatifs de l'ensemble des médecins généralistes libéraux.      

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