"Exception d'euthanasie", "secourisme à l'envers"… L'avant-projet de loi sur l'aide à mourir consterne 18 organisations de soignants

15/12/2023 Par Aveline Marques
Politique de santé
Le projet de loi légalisant l'aide active à mourir sera présenté en conseil des ministres en février, a annoncé la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo. Mais l'avant-projet de loi, dont les dispositions ont été révélées par Le Figaro, créé déjà l'émoi. "Sur la base de ce texte, le Gouvernement doit être conscient qu'il n'y aura aucun accord avec les soignants", préviennent 18 organisations.
 

Emmanuel Macron doit encore rendre les derniers arbitrages, mais le projet légalisant l'aide active à mourir en France prend forme. Il sera présenté en février au conseil des ministres, dans la foulée de la publication de la nouvelle stratégie décennale de soins palliatifs, attendue en janvier, a précisé sur Franceinfo Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux Professions de santé et à l'Organisation des soins, en charge du dossier. S'ensuivront alors au moins "18 mois" de débats parlementaires, estime la ministre. Le projet de loi comportera trois parties, a-t-elle précisé : une première partie consacrée aux soins palliatifs, une deuxième aux droits des patients et une dernière à l'aide à mourir.  L'avant-projet de loi, consulté par Le Figaro dans une version provisoire datée de fin octobre, comporte 21 articles. Il ouvre la voie au suicide assisté, en permettant à la personne de s'administrer elle-même la substance létale, mais également à une "exception d'euthanasie" afin qu'un "médecin" ou un "infirmier" puissent intervenir quand la personne "n'est pas en mesure physique d'y procéder". Un proche pourrait également être amené à jouer un rôle actif en amenant le verre pour "faire boire à la personne la substance létale".  Une clause de conscience est introduite pour les professionnels de santé qui ne souhaitent pas être impliqués, tandis que les volontaires sont incités à s'enregistrer auprès d'une commission dédiée.  L'aide à mourir sera réservée aux personnes majeures, atteintes d'une "affection grave et incurable qui engage [son] pronostic vital à court ou moyen terme" – 6 à 12 mois – ou présentant "une souffrance physique réfractaire ou insurmontable".  Les souffrances psychiques sont exclues. Un médecin devra réaliser l'évaluation médicale de la demande, et vérifier que le patient correspond aux critères. Comme en Belgique, il devra en premier lieu proposer une prise en charge en soins palliatifs si tel n'est pas encore le cas. Il devra ensuite solliciter l'avis d'un médecin qui ne connaît pas le patient et d'un spécialiste de la pathologie. Mais leurs avis ne s'imposeront pas, la décision ne sera donc pas collégiale. Le médecin aura 15 jours pour la rendre et en cas de réponse positive, le patient aura un délai de réflexion de minimum 48 heures, suite auquel il devra réitérer sa demande avant d'obtenir une prescription.   "Médecin seul et tout puissant" Un médecin ou un infirmier devra nécessairement être présent pour "vérifier la volonté de la personne", préparer le produit létal ou installer la perfusion si besoin… et intervenir "en cas d'incident", pour "hâter le décès en limitant les souffrances". Ce que le document consulté par Le Figaro nomme "secourisme à l'envers". Un concept dénoncé dans un communiqué du 14 décembre par 18 organisations de soignants, dont la Société française de soins palliatifs, la Société française de gériatrie ou encore le syndicat infirmier SNPI, qui refusent de devenir "les professionnels du secourisme à l'envers". "Dans ce texte, l'euthanasie et le suicide assisté intègrent directement le continuum des soins", déplorent-elles. Elles dénoncent également l'absence de contrôle a priori (comme en Belgique, la commission examinera le respect des critères a posteriori) et de "décision collective". "Le médecin se retrouve seul et tout-puissant, ce qui constitue un grave retour en arrière par rapport à la loi de 2005" [la loi Leonetti, NDLR]. "Sur la base de ce texte, le gouvernement doit être conscient qu'il n'y aura aucun accord avec les soignants", préviennent-ils.

5 débatteurs en ligne5 en ligne
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Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 2 ans
Je voudrais ajouter un second commentaire pour faire part de l'expérience vécue en réanimation, et l'apport de mes collègues médecins, psychologues et soignants des soins palliatifs dans l'hôpital où j'ai exercé. Pour les en remercier. Justement en réanimation, nous avons une longue expérience avec les LATA et la notion d’obstination déraisonnable. Si la loi Claeys Léonetti est venue conforter la prise de décision, c’est quand même la bascule entre les traitements entrepris sans réserve et le questionnement de savoir s’il est raisonnable de les poursuivre qui est comparable. L’empathie et l’éthique dominent (nos collègues des soins palliatifs nous ont tellement aidés) et notre questionnement peut se comparer au leur dans cette bascule entre soins palliatifs et aide à mourir. Il ne s’agit pas seulement d’arrêter des soins techniques (et basta!) en se rassurant sur le fait que notre malade est sédaté. C’est aussi la remise en cause de notre engagement initial, éventuellement prolongé pendant des jours et/ou des semaines, engagement expliqué aux proches et partagé avec eux, soins prodigués sans fléchir par les infirmières et aides soignants, kinésithérapeutes, diététiciens et collègues d’imagerie, de biologie, de chirurgie… qu’on sollicite pour nous aider à prendre la ou les bonnes solutions. Et à un moment le doute s’installe, la pertinence de poursuivre se pose, la discussion et les avis divergents arrivent, le consensus peut tarder à se faire mais la décision se prend. Pour les soins palliatifs aussi l’accompagnement, la vigilance envers la douleur et les moments de dépression, la valorisation des périodes de rémissions peuvent conduire sereinement à l’issue fatale dans de bonnes conditions. Mais parfois la sédation est indispensable et plus rarement l’aide à mourir peut devenir la seule solution raisonnable si le patient la demande. Et à qui peut il la demander si ce n’est à l’équipe qui l’a aidé à vivre et en qui il a pleine confiance. Non, ce n’est pas du secourisme à l’envers, c’est l’accompagnement ultime dans la confiance absolue. Pour eux comme pour nous. C’est justement parce que l’engagement a été total, sans réserve, que cette décision se prend non pas comme un découragement ou un renoncement mais comme une volonté de ne pas faire souffrir inutilement les patients et l’on dit l’inverse de ce qui est dit familièrement: tant qu’il y a un espoir, on joue la vie et pas le contraire. Mais la vie artificiellement maintenue sans espoir à un retour à un minimum d’autonomie ne vaut la souffrance ni du malade, ni de ses proches et probablement pas plus celle de ses soignants. Le syndrome psychologique post traumatique existe là aussi dans ces situations inextricables pour l’ensemble des intervenants, accompagnants et soignants. C’est l’intérêt de la démarche collégiale, pluridisciplinaire et pluri-professionnelle. C’est aussi le fait de savoir entreprendre et arrêter des traitements, chez nous, extrêmement agressifs mais chez tous, attentifs qui apporte la confiance des patients et de leurs proches et fait la valeur des soins.
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Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 2 ans
Le projet de loi sur la fin de vie semble être sur le point d’être présenté. Déjà on aperçoit quelques dérives qui vont rendre encore plus polémiques les discussions. La division en trois chapitres (soins palliatifs, droits des patients, aide à mourir) est plutôt une bonne chose. Mais pourquoi vouloir renommer les soins palliatifs en soins d’accompagnements ? Fichue manie de changer les noms des choses pour faire croire qu’on a bien travaillé ? Façon de s’approprier le débat pour déstabiliser les personnes qui travaillent sur le sujet (dans le sujet) depuis des dizaines d’années ? Pourquoi les droits des patients ne seront abordés que chez l’adulte et donc vont introduire un biais de réflexion sur la différence d’accompagnement des situations palliatives ou terminales chez les adultes, les enfants, les adolescents, les majeurs assistés… Oui, c’est complexe mais il vaut mieux prendre le temps d’aborder cette complexité que d’être sans solution dans les cas limites et revivre des interprétations marginales, illégales… Pourquoi exclure la souffrance psychique d’emblée alors que c’est elle qui peut être déterminante dans la décision du malade non pas dans les derniers instants mais dans le projet de vie restante pour ne pas avoir la hantise de la dépendance, de la déchéance quand le moment sera venu et que la perception en sera altérée et la décision lui échappera ? Pourquoi aussi, revenir sur un point fort de la loi Léonetti: la collégialité de la prise en charge ? Ce n’est pas diluer la responsabilité que de se prémunir des dérives liées à l’affect d’une seule personne. Enfin (pour ce que j’en sais) prévoir des lieux spécifiques dont on sait qu’ils seront rapidement rebaptisés mouroirs et facilement stigmatisés et stigmatisants me semble aussi une mauvaise idée. Et ce d’autant que la fréquence de recours à l’euthanasie et/ou au suicide assisté ne peut être que rare si les soins palliatifs sont suffisamment développés sur le territoire, les équipes mobiles suffisamment déployées pour mailler les soins de proximité. Le risque est alors d’avoir une activité rare et peu experte ou ramenée dans des centres dispersés et donc sans proximité avec des malades possiblement difficilement mobilisables et/ou loin de leurs proches
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Médecine d’urgence
il y a 2 ans
Allô Aurélien ? allô Agnès ? Nos vieillards, nos cancéreux, meurent sur des brancards aux Urgences... L’anticipation de tous ces fins de vie au domicile ou en EHPAD est proche de zéro. Trop peu de généralistes disponibles, les equipes de soins palliatifs se replient sur les cas les plus « techniques », disponibilité des lits en gériatrie et oncologie proche de zéro aussi. Et avec ça vous croyez qu’on aura les moyens de laver le monde de la souffrance. Redescendez sur Terre SVP
 
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