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Avocate, elle a tout plaqué pour devenir médecin : "Au début, ça a été la douche froide"

A 36 ans, Tatiana vient d'entrer en troisième année de médecine à la fac de Rennes. Il y a encore deux ans, elle plaidait comme avocate spécialisée en droit pénal et en dommage corporel. Rongée par son "regret de ne pas avoir fait médecine", la Bretonne d'adoption a décidé de changer de vie et de candidater à une passerelle. "Je n'ai pas une seule fois regretté mon choix", assure-t-elle. 

02/09/2025 Par Chloé Subileau
Témoignage
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"J'ai fermé mon cabinet d'avocat le 31 décembre 2023, et le 1er janvier j'ai commencé à l'hôpital en tant qu'agent de service hospitalier [ASH] de nuit." Ces mots, ce sont ceux de Tatiana, 36 ans. Cette ancienne avocate, installée à Rennes, a tout quitté pour se lancer dans des études de médecine. "Ça a été un changement de vie total, mais je pense que je ne me suis jamais sentie aussi libre et à ma place de toute ma vie professionnelle", confie celle qui vient de faire sa rentrée en troisième année de médecine. 

Pendant "quatre ans et des poussières", Tatiana a exercé comme avocate spécialisée en droit pénal et en dommage corporel. En 2023, rongée par son "regret de ne pas avoir fait médecine", elle a décidé de changer de vie. Jusqu'ici pourtant, son parcours était plutôt linéaire. D'origine russe, Tatiana est arrivée en France lorsqu'elle avait douze ans. "J'ai appris le français à ce moment-là", glisse-t-elle. Les années défilent alors, et au lycée l'adolescente hésite déjà entre les filières scientifique et littéraire. "Ma professeure de physique a estimé que je n'avais pas le niveau ni les capacités d'affronter la filière S. On m'a bien fait comprendre que j'étais plus littéraire, se souvient la Bretonne d'adoption. J'ai adoré [cette filière], même si j'avais déjà l'envie de faire médecine."

Tatiana finit par obtenir son bac, mais peine à savoir ce qu'elle veut faire. "J'étais un petit peu perdue. Il n'y avait rien qui me parlait directement" dans le parcours littéraire, raconte aujourd'hui la trentenaire.

Elle est finalement admise à l'université Paris-Panthéon-Assas en droit. "Je me suis retrouvée un peu par hasard dans ce domaine, et je me suis sentie piégée durant les premières années. Je ne m'y plaisais pas." Mais, malgré ses demandes, sa famille refuse qu'elle se réoriente. Les années s'enchaînent alors et Tatiana décroche sa licence, puis ses deux années de master. Elle finit par passer l'examen d'accès au CRFPA (centre régional de formation professionnelle d'avocats) afin de devenir avocate. "C'est à ce moment-là que j'ai trouvé des matières qui me plaisaient plus, j'ai trouvé un peu de sens et peut-être aussi de maturité pour comprendre le droit", détaille l'ex-avocate, qui a débuté sa première collaboration en 2019.

A la fin, tu ne seras toujours pas médecin

Au fil des années, Tatiana oriente alors sa pratique vers la réparation du dommage corporel – une spécialité "très médicale" - et commence à accumuler les diplômes universitaires (DU) : "J'en ai fait un, deux, puis trois… Mon exercice devenait de plus en plus orienté vers le médical et ça me plaisait énormément." Jusqu'au jour où, en 2023, elle est admise dans un DU "traumatisme crânien de l'enfant et de l'adolescent" à la faculté de médecine de la Sorbonne. "J'étais extrêmement heureuse. J'ai appelé ma mère qui, avant de s'installer en France exerçait comme médecin en Russie, pour lui dire que j'étais admise et elle m'a dit : 'Il faut que tu arrêtes avec tous tes diplômes médicaux car, à la fin, tu ne seras toujours pas un médecin.'", se remémore Tatiana. "Ça m'a fait l'effet d'une douche froide, j'ai réalisé que c'était une véritable fuite en avant. J'étais dans une quête d'encore faire plus de médical [dans ma pratique], et j'arrivais finalement à une espèce de plafond de verre."

L'avocate se met alors à parler de plus en plus à son entourage de ses regrets de médecine. Elle poste aussi des publications sur Twitter, où elle est connue sous le pseudo "ExAvocatine". "Je n'arrêtais pas d'en parler pendant tout l'été 2023", indique-t-elle. C'est finalement en septembre que la trentenaire a le déclic, après avoir lu la réponse d'un homme à l'un de ses tweets. "Il a commenté : 'Il n'est jamais trop tard, ma femme, ancienne avocate, est actuellement interne en médecine.'", recite la Rennaise. "C'est comme si ce commentaire m'avait donné l'autorisation […] Ça a rendu mon rêve possible. Le fait aussi de ne pas être pionnière dans quelque chose et de suivre un chemin qui est difficile, mais qui a été accompli par d'autres avant soi, c'est quelque chose d'extrêmement rassurant."

En quelques semaines, l'avocate organise sa reconversion et prévoit la fermeture de son cabinet pour fin 2023. Rapidement, elle contacte "l'Urssaf, la caisse des retraites, l'Ordre" des avocats pour organiser son départ et épurer ses cotisations. Pour l'aider à solder son crédit d'installation, une cagnotte est également lancée et atteint les 4500 euros. "Je suis extrêmement reconnaissante envers ceux qui ont participé et je me suis engagée, au moment où mon salaire ne sera plus qu'alimentaire et que j'aurai terminé mes études, à reverser l'intégralité de cette somme à des œuvres caritatives", tient à préciser Tatiana. "Si je n'avais pas eu ce coup de pouce des internautes, je n'aurais pas pu franchir ce pas entre fin 2023 et début 2024."

Stages, travail d'ASH…

A cette période, la Rennaise multiplie aussi les demandes de stage auprès de médecins sur Twitter, de chefs de service trouvés sur Internet et de praticiens côtoyés durant son exercice d'avocate. "Entre septembre et fin décembre, cela m'a vraiment permis d'avoir le temps de faire ça et de chercher un emploi", explique Tatiana. Car, pour s'assurer "une stabilité financière" et maximiser ses chances d'être prise en passerelle, l'ancienne avocate voulait travailler dans la santé. "Je cherchais quelque chose de vraiment difficile en termes de conditions de travail, car je voulais montrer à la commission [de la passerelle, NDLR] que je n'avais pas peur de recommencer en bas de l'échelle, de travailler de nuit…", explique la Bretonne, qui a été embauchée comme ASH au CHU de Rennes dès janvier 2024.

Elle restera à ce poste pendant sept mois, avant d'être admise en passerelle. "Nous avons eu les résultats le lendemain des oraux [d'admission ; les candidats doivent d'abord déposer un dossier de candidature au printemps, NDLR], et ça a été un bonheur absolument incommensurable. Je pense que je n'ai jamais été aussi heureuse de ma vie", sourit Tatiana. "Il y avait une forme de satisfaction et d'accomplissement personnel qui dépasse tout."

En septembre 2024, l'ex-avocate a donc fait ses premiers pas à la fac de Rennes comme étudiante en deuxième année de médecine. Non sans difficulté : "Dès janvier, lorsque j'ai quitté mon cabinet, j'ai commencé à lire un peu des éléments du programme de deuxième année de médecine et à découvrir du vocabulaire, des notions… […] Le premier semestre a quand même été une douche froide. A chaque cours que j'ouvrais, je me disais : 'Là on atteint le plafond de verre, je ne comprends pas.'" Mais au fil des semaines, "on passe des heures dessus, on décortique et ça rentre". Le deuxième semestre était, lui, "beaucoup plus plaisant à apprendre", nuance l'étudiante. "Encore une fois", souligne-t-elle, "c'était une douce souffrance puisque c'est une expérience choisie. On pleure, mais on ne changerait sa vie pour rien au monde."

Je tire un peu sur la corde

Au final, Tatiana a dû se présenter aux rattrapages dans trois matières, qu'elle a validées. "C'étaient les premiers rattrapages de ma vie, glisse-t-elle. Si j'en avais eus en droit, j'aurais été extrêmement malheureuse. Là, ces rattrapages ont été une seconde chance, une occasion de me montrer que j'étais capable de le faire."

Réussir cette année de médecine a été "une fierté certaine", "un soulagement" et "un sentiment de légitimité d'être là", avoue Tatiana. Encore indécise sur la spécialité qu'elle souhaite faire plus tard, l'apprentie médecin aimerait tout de même que son "passé juridique soit au service de [s]on avenir médical". "Ce que je rêverais de faire, c'est de devenir médecin-conseil auprès de victimes et pouvoir les assister lors de réunions avec les médecins experts pour des dossiers judiciaires ou lors de réunions désignées par les assurances", espère-t-elle.

Pour financer ses études, la Bretonne a pu compter sur quelques mois d'allocations chômage avant de souscrire à un prêt étudiant, faute de réussir à décrocher un nouvel emploi. "J'en ai finalement trouvé un nouveau au CH de Rennes, encore une fois comme ASH." Et l'étudiante en médecine ne compte pas s'arrêter durant sa troisième année, puisqu'elle va continuer à travailler de nuit – en tant qu'aide-soignante cette fois - en parallèle de ses études. "Je tire un peu sur la corde", reconnaît-elle. "Mais il y a des personnes qui ont une famille, des enfants, qui travaillent à côté et qui réussissent leurs études de médecine. Je me dis que si eux ils y arrivent, avec bien plus de charge mentale que moi, c'est que normalement avec mes trois chats je devrais y arriver", lance l'ex-avocate, dans un sourire. Et elle l'assure, elle n'a "pas une seule fois regretté [son] choix."

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Claire FAUCHERY

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Oui

Oui et il nous faut un mouvement fort, restons unis pour l'avenir de la profession, le devenir des plus jeunes qui ne s'installero... Lire plus

Photo de profil de gaele b
387 points
Incontournable
Médecine d’urgence
il y a 3 mois
je suis cette personne sur un réseau social, son enthousiasme fait plaisir. Les changements de carrière font toujours des professionnels plus ouverts, avec un regard sur les pratiques et la profession qui ne peut qu'être bénéfique. (en revanche svp Egora arrêtez avec - les fautes d'orthographe - les titres volontairement negatifs qui surfent sur le goût du malheur alors que la vision globale de cette personne est très positive (il y a un autre terme grossier qui correspond à cette pratique)
Photo de profil de Georges FICHET
6,3 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 3 mois
Je lui souhaite bien du courage ! Mon épouse est avocat et lorsque que vient le joli mois de mai, à la saison des 2035, je constate à chaque fois, en, comparant nos chiffres d'affaire respectifs que j'ai été le dernier des imbéciles pour faire des études de médecine : ma consultation est à 50 € pour une heure alors que celle de mon épouse varie de 150 à 200 €. Je suis encore retraité actif par compassion pour mes patients mais aussi pour compléter ma retraite mais je suis tellement écoeuré par toutes les nouvelles tracasseries sécuritosocialistes que, devant partir en voyage de formation en octobre, je n'en reviendrai que pour fermer mon cabinet DEFINITIVEMENT malgré ma retraite CARMF de 2300 € qui ne me permettra sûrement pas de conserver le même niveau de vie qu'actuellement. Mais au moins, j'auri le temps de faire de la musique et de compoiser et d'écrire des chansons...
Photo de profil de Avocat  Du Diable
3,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 3 mois
Et il y en a d'autres comme cela qui après des études valorisantes rejoignent les professionnels de santé . On a au moins la certitude de leur vocation . J'en connais et j'aimerais être certain que la faculté leur donne toute l'attention qu' ils méritent .
 
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