
Ex-ingénieure, elle a intégré médecine à 40 ans passés : "J'espère exercer un grand nombre d'années"
Ingénieure pendant plus de 20 ans, Elisabeth a tout plaqué pour se lancer dans des études de médecine. A plus de 50 ans, celle qui voulait "retrouver du sens" dans son travail est désormais interne en deuxième semestre de médecine générale et souhaite s'installer dans un désert. "J'espère que je pourrai exercer pendant un grand nombre d'années", confie cette mère de famille qui, pour financer ses études, a enseigné en parallèle dans des prépas. Elle raconte son parcours à Egora.

C'est en 2016 qu'Elisabeth, la quarantaine passée, a décidé de "sauter le pas" et de tenter médecine. Un choix loin d'être évident pour cette ingénieure, employée dans la même entreprise depuis 25 ans. "J'ai quitté quelque chose que connaissais et dans lequel j'avais une certaine sécurité pour quelque chose d'inconnu", raconte-t-elle aujourd'hui. "Mais j'avais vraiment envie de retrouver du sens. A un moment donné, d'autant plus dans des grosses entreprises, on perd un peu l'humain, le sens de ce que l'on fait…"
A plus de cinquante ans, Elisabeth – pour qui "l'âge importe peu" - est désormais interne en deuxième semestre de médecine générale, et espère exercer "un grand nombre d'années". "J'avais [déjà] hésité entre ingénieure et médecin lors du choix de mes [premières] études, se souvient la mère de famille, installée en région parisienne. J'ai fini par choisir ingénieure car j'ai eu, à un moment donné, la possibilité de faire ces études, et j'aimais les matières" de ce cursus. "Je suis donc partie là-dedans, sachant qu'il était plus compliqué à cette époque d'étudier la médecine en parallèle des études d'ingénieur ou de faire des passerelles, comme il peut en exister aujourd'hui", poursuit-t-elle.
Après plusieurs dizaines d'années dans le secteur automobile, Elisabeth a eu envie de changements au milieu des années 2010. "Il y avait pas mal de plans de départs volontaires dans l'entreprise [où j'exerçais]. Au fur et à mesure, j'ai vu des collaborateurs, des collègues qui changeaient d'orientation. Et l'entreprise me correspondait peut-être de moins en moins aussi", rembobine l'ex-ingénieure.
Je voulais vraiment reprendre de zéro
Elle démissionne alors, sans réussir à s'inscrire en Paces. "J'ai essayé de m'inscrire directement en écrivant aux facs, mais ça n'a pas marché. Pourquoi ? Je ne sais pas, je me suis dit [sur le moment] que c'était peut-être à cause de mon âge", explique Elisabeth, qui décide en attendant de reprendre des études en mathématiques. "Je me suis inscrite en master 2 d'agrégation, car j'ai toujours aimé les maths et j'avais envie de transmettre." "Cela m'a permis d'enseigner en classe préparatoire à la fois aux grandes écoles puis, une fois que j'ai eu ma Paces, en prépa médecine", détaille celle qui continuera à exercer comme professeure durant tout son externat.
C'est finalement en 2018 qu'Elisabeth intègre la Paces de l'université Paris-Cité. Pour elle, pas question de passer par une passerelle. "Je voulais vraiment reprendre à zéro, y compris avec la difficulté" de la première année, explique l'apprentie médecin. "Je me souvenais de relativement peu de choses de mes études sur la SVT, les sciences naturelles… et je ne connaissais rien en anatomie. Ça me paraissait vraiment difficile de démarrer sans connaissance sur ces sujets."
Son quotidien change alors du tout au tout. "Quand on est en entreprise, on est sans arrêt sollicité sur des choses variées, je n'avais plus l'habitude d'apprendre et de me concentrer. Le fait d'avoir fait le M2 agrégation avant m'a aidée puisque j'ai appris à étudier, à me reconcentrer. Si j'avais repris directement en Paces, ça aurait peut-être été [plus] compliqué", reconnait Elisabeth, qui a intégré médecine en une année.
Un emploi du temps millimétré
Le retour sur les bancs de la fac, la mère de famille le décrit comme presque "rafraichissant". "On se sent presque rajeunir", rit-elle. "J'ai été très bien accueillie par les jeunes. Bon au début, ils me vouvoyaient, mais au fur et à mesure ils m'ont tutoyée, glisse la future praticienne, d'une voix légère. Je ne peux pas dire que je ne ressens [jamais] de différence, mais assez peu finalement. Ce sont des jeunes qui ont quand même un sens humain assez développé."
Mais son profil interroge tout de même, notamment durant ses stages. "Les gens sont curieux au début quand j'arrive, souvent le personnel souhaite savoir quel âge j'ai", relate Elisabeth. "Ça les intéresse comme parcours et peut-être qu'il y en a parmi eux qui souhaiteraient faire un peu le même genre d'évolution", analyse-t-elle.
Entre ses cours à la fac, les révisions, les QCM et son activité de prof de maths – nécessaire pour s'assurer un revenu durant ses études -, l'ex-ingénieure ne s'est "pas ennuyée" ces sept dernières années. "Il fallait que je sois très organisée […] Je donnais mes cours de maths les après-midis sur des créneaux qui allaient parfois de 13h à 20h, et puis aussi les samedis. Par moment, je me dis que je ne sais pas comment j'ai fait. S'il fallait le refaire, je ne sais pas si j'y arriverais", avance l'apprentie médecin qui, depuis quelque temps, a dû délaisser sa casquette de prof : "C'est devenu incompatible avec la préparation [du concours de] l'internat."
Pour Elisabeth, dont les deux enfants ont débuté leurs études supérieures en même temps qu'elle s'est réorientée en médecine, le soutien de sa famille a été déterminant. "Ils m'ont aidée tout du long, notamment pour faire des tâches que je n'arrivais plus à faire moi-même. Je pense que c'est un des points clefs" pour y arriver, confie-t-elle.
Je souhaite de toute manière m'installer en zone sous-dotée, ça m'ennuierait de pas pouvoir choisir ma zone
En novembre dernier, la quinqua a débuté son internat de médecine générale. Une évidence pour celle qui souhaite s'installer dans le Vaucluse – sa "région de cœur" - à la fin de ses études : "J'ai eu, dans ma jeunesse, des médecins de famille qui m'ont un peu inspirée, et c'est cette activité là que je souhaite avoir. Les stages que j'ai faits m'ont confortée [dans cette idée], être très pointue sur un sujet ce n'est pas ce qui m'intéresse, ni voir une personne une seule fois. J'aime bien les contacts humains."
Mais pour pouvoir s'installer, Elisabeth devra encore attendre un peu. Concernée par la réforme de la quatrième année de l'internat de médecine générale, elle avoue "ne pas franchement voir ce" que cette année supplémentaire "va [lui] apporter si ce n'est qu['elle] va moins gagner pendant un an" de plus et ne pourra pas s'installer quand elle l'avait "initialement prévu". "C'est vrai que je suis opposée à cette quatrième année, mais je n'ai pas beaucoup de pouvoir pour changer la donne", déplore-t-elle.
La future généraliste a aussi en tête la possible instauration d'une régulation de l'installation des praticiens, remise sur le devant de la scène ces dernières semaines via deux propositions de loi distinctes déposées à l'Assemblée nationale et au Sénat. Ayant souscrit à un CESP, "je souhaite de toute manière m'installer en zone sous-dotée", rappelle Elisabeth, "donc ce qui m'ennuierait, c'est de ne pas pouvoir choisir ma zone". "Là oui, ça serait très embêtant." Mais de "toute façon, les réformes je les ai vécues un peu sans arrêt pendant mes années de médecine (interdiction de redoubler la première année, EDN passées en fin de cinquième année, Ecos en sixième année)", temporise l'interne qui préfère, pour l'instant, rester concentrée sur "tout ce qu'[elle] a à faire" entre ses stages et la préparation de sa thèse : "Il y a quand même énormément de travail."
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