"Le devoir d’assistance aux plus vulnérables est l'un des principaux piliers du serment d’Hippocrate", juge le collectif Médecins stop violences

À la suite de la publication de l'article "Le médecin ne doit pas devenir un justicier sauveur" : comment l'Ordre veut protéger ceux qui dénoncent des violences sur Egora le 10 mars dernier, le collectif a adressé un communiqué de presse* en réponse aux propos de la vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi. 
 

Communiqué de presse du collectif "Médecins Stop Violences. Le collectif Médecins Stop Violences réunit à ce jour plus de soixante médecins de nombreuses spécialités, notamment des pédopsychiatres, des médecins généralistes et des pédiatres qui oeuvrent contre les violences intrafamiliales, pour la protection des enfants et contre les violences institutionnelles. Le collectif se réjouit qu’Egora ait pu poser à l’ordre des médecins la question de savoir comment il compte protéger les médecins qui dénoncent des violences : nous soulignons en effet depuis plusieurs années une véritable maltraitance institutionnelle de la part de l’ordre à l’égard de médecins soucieux de protéger leurs patients mineurs. Cette maltraitance se manifeste par des poursuites durant des années et bien souvent des condamnations ordinales de ces médecins. Nous dénonçons également le fait que ces condamnations de médecins protecteurs nuisent avant tout aux enfants maltraités puisque 80% de des maltraitances faites aux enfants ont lieu dans leur famille et que justement, les motifs des condamnations des médecins sont très souvent une immixtion dans les affaires de famille (article 28 du code de déontologie). Les plaignants auxquels l’ordre donne raison sont les auteurs présumés ou avérés des violences sur les enfants. Que l’ordre des médecins déclare désormais, par la voix de sa Vice-Présidente, avoir le désir de lutter contre les maltraitances et de veiller à la bientraitance nous semble donc particulièrement intéressant. Nous sommes cependant rapidement déçus et même indignés lorsque nous lisons de la part du Dr Ceccaldi des arguments pour le moins outranciers comme le fait que « le médecin ne doit pas devenir un justicier sauveur » ou encore que l’ordre « ne peut pas mettre des services de protection devant chaque médecin. » Nous, médecins du collectif, demandons simplement de pouvoir, sans risque d’être poursuivis pendant des années puis souvent condamnés par l’ordre des médecins, exercer notre devoir de protection vis à vis des plus vulnérables. Ce devoir, que notre Consoeur semble ignorer, est pourtant clairement spécifié dans les articles 2 et 43 de notre code de déontologie qui stipulent que le médecin doit être le défenseur des plus vulnérables et de l’enfant. Par ailleurs, ce devoir d’assistance aux plus vulnérables est l’un des principaux piliers du serment d’Hippocrate, base de la déontologie médicale, il est tout de même paradoxal que l’ordre des médecins vienne le caricaturer voire y faire entrave. Nous demandons également, à l’instar de la députée Isabelle Santiago que l’ordre des médecins ne puisse se situer au-dessus des lois de la République et qu’il respecte une hiérarchie des normes. La députée, engagée de longue date contre les violences intrafamiliales et en faveur... de la protection des enfants maltraités, souligne notamment « la nécessité que la loi clarifie les pouvoirs de justice de l’ordre qui ne peuvent être supérieurs à ceux de la justice de la République ». Sur le plan juridique, la hiérarchie des normes consiste à tenir compte de la primauté du code pénal et du code civil sur le code de la santé publique, qui rappelons-le est celui appliqué par l’ordre des médecins et ne consiste qu’en des articles réglementaires et non des lois. Or, dans les jugements recueillis par le Collectif Médecins Stop Violences, il est régulièrement constaté une absence respect de lois qui sont supérieures aux articles du code de la santé publique concernant la protection des enfants et des professionnels. Ceci est particulièrement remarquable pour le code pénal qui stipule en son article 226-14 que : « Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi.» Et pourtant, dans aucun dossier des médecins du collectif n’est retenue la mauvaise foi du médecin. Cela n’empêche pas l’ordre de reprocher par exemple à des médecins, d’avoir transmis des signalements au Procureur qui comportaient « outre les informations préoccupantes concernant l’enfant des appréciations négatives sur Mr A. » (qui n’est autre que le père suspecté de gestes incestueux sur son fils !)… Et de condamner ce médecin à un mois d’interdiction d’exercice de la médecine pour un acte qui devrait clairement être couvert par l’article 226-14 du code pénal. Dans un autre exemple, il est reproché au médecin : « dans le courrier du … adressé aux autorités judiciaires et administratives le Dr X prend parti en faveur de l’un des parents ce qui constitue une immixtion dans les affaires de famille ». Notons qu’il s’agit, dans ce cas encore du parent auteur présumé de violences et que le « courrier » est en réalité un signalement adressé au responsable des informations préoccupantes (CRIP). Dans un troisième dossier il est reproché à un autre médecin encore d’avoir communiqué des « éléments dépréciatifs à l’encontre d’un des deux parents » dans son signalement au juge des Enfants. Ce médecin est donc lui aussi condamné pour immixtion dans les affaires de famille, alors même que le parent désigné a été reconnu comme auteur de violences par la justice de la République. Force est de constater que l’ordre ne respecte pas l’article 226-14 du code pénal et n’accepte pas que cette loi et son esprit de protection des médecins qui signalent aux autorités judiciaires et administratives soit au-dessus d’un simple règlement du code de la santé publique. De surcroit l’ordre ne respecte pas les orientations données clairement par le Conseil d’Etat en la matière... dans plusieurs jurisprudences datant de 2021 et 2022 autorisant les signalements au Juge des Enfants lorsqu’il est d’ores et déjà saisi. Le Conseil de l’Ordre a d’ailleurs déclaré dans la presse être défavorable à l’adresse de signalements au juge des Enfants, ne respectant ni les préconisations de la plus haute instance administrative ni le plus évident bon sens puisque le juge des enfants est le magistrat chargé en France des mesures de protection des mineurs. Enfin, l’ordre ne respecte pas la convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France qui stipule que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient publiques ou privées, de protection sociale, de tribunaux, des autorités administratives ou organes législatif l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute autre considération. » Comme le souligne le Président départemental Enfance et famille honoraire Claude Roméo, le Conseil de l’ordre « ignore ce principe fondamental lorsque l'enjeu de la plainte concerne l'activité de protection d'un médecin vis à vis d'un enfant en danger ou risquant de l’être ». Ce point est particulièrement évident lorsque Mme Ceccaldi explique que « d’après les chambres disciplinaires » les Dr Fericelli et Izard auraient commis des immixtions dans les affaires de famille « à côté » du signalement. Quelle est l’importance d’une immixtion du médecin « à côté » quand on sait que dans un des cas un enfant est mort ?? Cette position qui consiste à s’arc bouter sur l’immixtion dans les affaires de famille, est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et à la hiérarchie des normes, et dénote un mépris pour les enfants victimes, pour leur sécurité et pour les médecins qui tentent de les aider. Médecins, ne vous immiscez pas, laissez-donc les enfants se faire maltraiter, il s’agit d’affaires « de famille » : tel serait le message pour le moins paradoxal véhiculé par les décisions de l’ordre lorsqu’il condamne un médecin qui dénonce des violences intrafamiliales ? La vice-Présidente de l’ordre, visiblement très gênée par la médiatisation des médecins condamnés, voudrait ensuite laisser croire que leurs cas sont isolés. Elle reproche même aux médias, de « cristalliser le débat sur des affaires minoritaires ». Niant ainsi que chaque affaire, loin d’être anecdotique, constitue une jurisprudence qui fait loi pour limiter le rôle de protection des médecins. Le collectif Médecins Stop Violences s’insurge du mépris affiché ici par l’ordre pour ces affaires et de la tentative, non seulement d’en limiter la portée mais de nier le fait que ces poursuites ordinales sont suffisamment nombreuses pour terroriser... l’ensemble des médecins lorsqu’il s’agit de signaler. Les nombreux jugements et témoignages recueillis par le collectif démontrent l’intensité du phénomène et son impact sur les médecins. Ces affaires ne sont d’ailleurs pas nouvelles puisque dès les années 2000 le Dr Catherine Bonnet alertait déjà les médias des poursuites qu’elle subissait de la part de l’ordre des médecins dans des situations similaires de dénonciations de violences sexuelles sur des enfants. Le collectif affirme que la situation de poursuite et condamnation des médecins n’a rien de « minoritaire » et que ce ne sont pas les médias qui effrayent les médecins mais bien les condamnations et positionnements contradictoires de l’ordre des médecins. Ce qui est par contre malheureusement minoritaire, ce sont les médecins qui signalent. La Vice-Présidente de l’ordre se permet de remettre en cause les chiffres de la Haute Autorité de santé qui spécifie que moins de 5% des signalements proviennent des médecins, n’hésitant pas à dire qu’on ne saurait pas d’où viennent ces chiffres de la HAS ( !). Elle n’avance aucun autre chiffre, se contentant de disqualifier ceux existant. Il serait pourtant facile à l’ordre des médecins de mener une enquête vis-à-vis des médecins concernant leur pratique de signalement. Craindrait-il les résultats d’une telle étude ? Le Dr Ceccaldi voudrait également laisser croire que l’on règle la question des maltraitances par des « fiches », des « kits » et des commissions multiples. Le médecin, grâce à l’ordre n’aurait plus bientôt qu’à « cliquer et dégainer »… Quel mépris et quelle méconnaissance du lourd travail médical de terrain avec les enfants maltraités. Les maltraitances, notamment celles faites aux mineurs dans leur famille sont des problématiques extrêmement complexes qui nécessitent des compétences spécifiques et une formation autre que fiche, kit et clic. Comment expliquer d’ailleurs que les « fiches » ordinales concernant le recueil de la parole de l’enfant aient été effectuées sans la participation d’un seul psychologue ni d’un seul pédopsychiatre ni d’un seul professionnel formé au psychotraumatisme ? Comment s’étonner dès lors que ces fiches contiennent des contradictions, voire des contrevérités par rapport aux données actuelles des recherches et de la science ? L’ordre affirme se vouloir désormais « bientraitant » et en lutte contre les maltraitances, alors pourquoi s’est-il déclaré contre l’obligation de signalement par les médecins préconisée par la CIIVISE en mars 2022 ? Cette commission comporte pourtant des magistrats, des médecins, des psychologues, des membres du secteur... associatif dont la compétence et l’engagement ne sont plus à démontrer. En quelques jours à peine l’institution était vent debout contre cette préconisation qui a pourtant montré son efficacité dans de nombreux pays pour une meilleure protection des enfants dans plusieurs études à grande échelle. Le collectif relève également qu’aux questions d’Egora au sujet des violences dont les médecins sont auteurs, le Dr Ceccaldi surfe habilement sur la vague des consentements aux examens gynécologiques en général… Faisant l’impasse totale sur des sujets aussi graves que les nombreuses condamnations de médecins tels Le Scouarnec, Hazout, El Absi et tant d’autres, violeurs d’enfants ou d’adultes, laissés pratiquer la médecine et abuser de leurs patients vulnérables pendant des années par l’ordre des médecins malgré les nombreuses plaintes reçues par l’ordre à leur sujet. Il s’agirait maintenant pour l’ordre d’accepter de se remettre en question pour améliorer réellement le sort des médecins signalants et des enfants maltraités. Dire que « l’ordre avance » ne suffit pas à ce qu’il avance vraiment, ni à masquer les réalités de son fonctionnement. Dire que des commissions ont lieu, que des fiches and kits sont réalisés n’est pas suffisant. Mais il y a un point sur lequel le collectif Médecins Stop Violences est en accord total avec la vice Présidente de l’ordre : il y a, pour reprendre son terme, une « acculturation institutionnelle » de l’ordre des médecins sur la question des violences et particulièrement des violences intra familiales. En ce sens le Collectif Médecins Stop Violences, qui comprend en son sein des compétences de nombreux médecins dans le domaine des violences et des maltraitances, est à disposition du Conseil de l’ordre car nous voulons, au-delà des analyses critiques être également force de proposition. A l’heure où un enfant meurt tous les 5 jours sous les coups de ses parents et où 160 000 enfants par an sont victimes de violences sexuelles dont 80% dans leur famille, il serait temps que l’ordre des médecins ouvre véritablement les yeux sur les violences intrafamiliales et aux véritables enjeux de santé publique qu’elles constituent. Il serait temps que l’ordre cesse de mettre en avant l’interdiction pour le médecin d’immixtion dans les affaires de famille face au drame quotidien que constitue la maltraitance pour tant d’enfants dans leur famille. Il ne s’agirait aucunement pour l’institution ordinale d’encourager des pratiques, somme toute parfaitement illégales, de médecin « justicier » mais au contraire de promouvoir une médecine humaine et protectrice qui s’inscrive réellement dans la lignée du serment d’Hippocrate et dans les préoccupations sociétales de notre époque. Pour le COLLECTIF MEDECINS STOP VIOLENCES Le bureau *Nous le publions en intégralité tel qu'il nous a été envoyé. 

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