"Les médecins ont des droits mais aussi des devoirs" : les idées du nouveau président de la CSMF

22/03/2022 Par S. B.
Syndicalisme
Le Dr Franck Devulder, 57 ans, a été élu président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) le 12 mars dernier. L'ancien président des Spécialistes-CSMF était le seul candidat en lice pour succéder au Dr Jean-Paul Ortiz. Hépato-gastro-entérologue spécialisé en proctologie et maladies inflammatoires de l’intestin, le nouveau président de la CSMF exerce à Reims. Il dévoile pour Egora sa vision du syndicalisme et ses ambitions pour les prochaines négociations conventionnelles.  

 

Egora.fr : Après avoir été président des Spécialistes-CSMF, vous venez de prendre la tête de la CSMF, qu'est-ce qui motive votre engagement syndical ? 

Dr Franck Devulder : Ce qui motive mon engagement est assez simple. Nous avons un système de santé qui est à bout de souffle. La demande de nos concitoyens est forte en matière de qualité et d'offre de soins. La médecine libérale a été la grande oubliée des politiques publiques de santé depuis tant et tant d'années. Je suis convaincu que nous devons réagir et proposer un contrat différent aux Français, en lien avec tous les acteurs (publics, libéraux, mais aussi avec les patients). Je pense que cela doit se faire avec eux. 

 

Vous étiez le seul candidat en lice à la succession de Jean-Paul Ortiz, avez-vous la sensation que le syndicalisme médical intéresse encore ou s'essouffle-t-il ? 

C'est une bonne question que l'on pourrait également se poser pour beaucoup de corps intermédiaires. C'est vrai dans le syndicalisme médical. C'est devenu vrai dans un certain nombre d'autres actions et d'engagements au sein de la société. Quand on regarde les partis politiques, ils ont aussi à souffrir parfois de ce que l'on pourrait estimer comme étant une désaffection. 

Le nombre de médecins syndiqués a clairement baissé. Pour autant, je m'élève contre l'idée que les plus jeunes seraient moins intéressés. Je pense que s'ils le sont peut-être moins, c'est parce qu'ils n'y voient pas un intérêt à faire bouger leur environnement et le métier. Si on mène une politique énergique et qu'on leur donne un souffle et un espoir nouveau, je pense qu'ils auront à cœur de s'investir. Je fonde beaucoup d'espoir sur cela. 

 

Concrètement, comment redonner un souffle nouveau ? On a longtemps accusé les syndicalistes médicaux de défendre les corporatismes, aujourd'hui qu'est-ce que le syndicalisme médical ? 

Il y a deux façons d'être syndicaliste. Il y a le syndicalisme de défense, qui défend des corporatismes, et il y a un syndicalisme de propositions. Je pense que la vérité n'est jamais toute blanche ou toute noire. Le rôle d'un syndicat, c'est de défendre ses adhérents et sa corporation si ils se trouvent attaqués. Mais je pense que le rôle d'un syndicat, et c'est celui que doit jouer la CSMF, c'est aussi de se projeter en avant. Il faut mettre sur la table un certain nombre de propositions pour répondre aux difficultés qu'ont aujourd'hui les Français pour accéder aux soins et avoir recours à des soins de qualité. Sur ces points, nous avons des propositions à faire. 

Quand je vois que certains candidats à la présidence de la République n'ont de cesse de dire que c'est en mettant des contraintes rudes et en supprimant la liberté d'installation qu'on y arrivera, je pense que ça ne marchera et que ça va faire pschitt. Je pense que nous, médecins, avons des droits et des devoirs. Il nous faut assumer et respecter nos engagements et devoirs de soignants, mais à côté de cela nous avons des droits. 

Aujourd'hui, le profil type d'un étudiant en médecine est celui d'une jeune femme, souvent mère de famille et souvent issue de ville universitaire. Comment expliquer à cette jeune consœur qu'elle devra s'installer à 150 kilomètres de chez elle, dans un endroit où il n'y plus de Poste ni d'école. Ça n'est pas concevable, du moins à plein temps. En revanche, on pourrait dire à cette jeune femme qu'elle peut s'installer dans la grande ville du territoire de son choix parce que ses enfants y sont à l'école et que son conjoint y a un emploi.  

Mais en contrepartie, dans un contrat d'engagement qui pourrait être quinquennal, par exemple, on pourrait lui demander d'assurer une prise en charge une fois de temps en temps à plusieurs kilomètres de chez elle, disons à 60 km maximum. Cela pourrait être une fois par semaine ou toutes les deux semaines. Et cette consultation serait valorisée parce qu'il s'agit d'une mission de service public. Cela pourrait permettre d'accéder à un espace de liberté tarifaire qui serait solvabilisé par les assurances médicales obligatoires et complémentaires.  

Cela coûte moins cher de déplacer un médecin une fois de temps à temps à 60 kilomètres de chez lui que de déplacer 15 patients. On va me dire, si tu fais ça c'est déshabiller Pierre pour habiller Paul car le médecin quitte son cabinet principal dans lequel l'offre de soins diminue. Mais pas du tout. Dans ce cabinet principal, on y accueillerait des docteurs juniors ou des SASPAS. D'autant que je pense que balancer un interne en fin de cursus dans un territoire désertique où il n'y a personne, c'est le mettre potentiellement dans une situation difficile.  

Exercer deux demi-journées par mois dans les Ardennes, je le fais...

dans ma pratique. Je n'en n'ai pas besoin économiquement. Je le fais parce que je crois réellement à ce principe. J'ai des copains généralistes qui le font aussi. C'est pour cela que je parle de droits et de devoirs. Je m'oppose donc formellement à l'atteinte à la liberté d'installation. Je pense qu'il faut une politique qui soit incitative et facilitante. Aujourd'hui, le mille-feuille administratif est tellement complexe que les médecins n'utilisent pas les aides à l'installation.  

 

Quels seront vos autres principaux combats ? 

Au-delà de nos grandes lignes faites d'innovation, d'expertise, de formation et de coordination, il y a trois combats qui sont attendus de tous. Le premier est de donner de nouvelles perspectives à la médecine générale, tout en répondant aux enjeux de la Nation. La médecine libérale a une place qui doit être centrale dans cette réponse à l'offre de soins, dans une organisation territoriale. On doit passer d'un modèle actuel purement curatif à une médecine curative et préventive. J'appelle clairement à trois consultations à des âges clés de la vie. Il faut une consultation du jeune ado entre 11 et 13 ans, puis dix ans plus tard, une consultation du jeune adulte et enfin une consultation de la maturité vers la cinquantaine. Ces consultations concernent tous les professionnels de santé mais le pilote devra être le médecin généraliste. Ces consultations de prévention seraient cotées comme des consultations complexes. 

Le deuxième combat concerne les forfaits. Un acte médical se rémunère à l'acte. On est allé trop loin dans les forfaits. La CSMF revendique la nécessité qu'il y ait des forfaits pour l'organisation des soins, mais pas pour la pratique de la consultation.  

Enfin, le dernier combat qui m'importe beaucoup parce que je l'ai vu fonctionner dans les pays du nord de l'Europe ou au Québec, c'est la rémunération de la qualité. Il faut rémunérer l'effort de qualité. Cela participerait à l'amélioration de l'offre de soins.  

 

Les prochaines négociations conventionnelles promettent d'être tendues, quels seront vos chantiers prioritaires ?  

Je vais rentrer dans ces négociations avec un esprit volontariste et d'ouverture. Je ne dis pas : "Si vous ne me donnez pas la consultation de médecine générale à 50 euros, je m'arrête de respirer et je casse tout". Ça n'est pas mon état d'esprit. Toutefois, 25 euros c'est inadmissible. Je pense qu'il faut aller vers une hiérarchisation de la consultation.  

La médecine libérale a été largement oubliée dans le Ségur de la santé. J'attends de la convention qu'elle soit ambitieuse. Les dernières ont été un mille-feuille d'une complexité sans nom. La CSMF n'a d'ailleurs pas signé celle de 2016.  

Il faut une convention vraiment ambitieuse. On ne voudra pas de saupoudrage. Je pense qu'il faut repenser le système de santé et inventer un paradigme nouveau. Au-delà du montant, il faudra un état d'esprit et une ambition nouvelle.  

 

Comment faire peser les ambitions de la CSMF alors qu'Avenir Spé et MG France pourraient signer seuls la convention ? 

Je pense que la place de la CSMF est incontournable. Nous portons un projet, une ambition, une rénovation qui n'a pas son pareil. On a chevillé au corps cette nécessaire complémentarité entre chacun. J'aspire à ce que l'on partage vraiment. Je ne suis pas en train de dire qu'il n'y a que la CSMF. Si nous y allons divisés, nous aurons du mal à peser sur les nécessaires politiques publiques. D'ailleurs, quand on regarde les programmes des uns et des autres, il y a un certain nombre de valeurs qui nous rassemblent. Je pense même qu'il y a plus de choses qui nous rassemblent que de points de programme qui nous divisent, bien que je ne dise pas que nous sommes d'accord sur tout. Etablissons entre les six syndicats médicaux ce socle commun que l'on pourrait mettre sur la table en disant : "Voilà ce que nous voulons". Sinon, nous ne nous en sortirons pas. 

 

La plupart des candidats à la présidentielle souhaitent étendre les compétences des infirmiers, sage-femmes et pharmaciens. Y êtes-vous favorable ? 

Nous sommes l'un des membres fondateurs des Libéraux de santé* qui regroupe 11 syndicats médicaux et paramédicaux. Nous avons toujours tendance à vouloir nous opposer les uns aux autres. Mon discours est très clair là-dessus. Tout d'abord, une compétence ne se transfère pas, elle s'acquiert. Donc le transfert de compétences je n'y crois pas. Mais les métiers évoluent et il faut en tenir compte. On ne peut pas dire qu'un kiné ou une infirmière est cloisonné dans son périmètre parce qu'il y a la formation continue d'une part et la formation des plus jeunes d'autre part.  

On s'est tous émus des articles du PLFSS parce que cela transférait des compétences. Mais cela a été fait de manière brutale, sans concertation avec les professionnels concernés. D'autant que les professionnels à qui on a transféré des compétences sont eux-mêmes débordés. Je pense au contraire qu'il y a une nécessité, territoire par territoire, d'avoir des parcours de soins. Le pilote du parcours de soins ne peut être que le médecin, et notamment le généraliste.  

 

*Les Libéraux de Santé regroupent 11 syndicats représentatifs de professionnels de santé libéraux : la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), le syndicat des médecins libéraux (SML), Les Chirurgiens-dentistes de France (CDF), la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), la Fédération nationale des infirmiers (FNI), la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), la fédération nationale des pédicures-podologues (FNP), la fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), le syndicat des audioprothésistes (SDA), le syndicat des biologistes (SDB) et le syndicat national autonome des orthophonistes (SNAO). 

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