Les paradoxes de l’épidémie de coronavirus en Outre-mer

28/04/2020 Par A. R.
Santé publique

Les départements d’outre-mer (DOM) sont aussi confinés que le reste du territoire français, et les soignants y font face aux mêmes baisses d’activité qu’ailleurs. À la différence que le coronavirus n’y circule pas encore de façon massive. Pourvu que ça dure, disent les blouses blanches !   96. Soit le nombre total de patients, au 22 avril dernier, souffrant du Covid-19 et hospitalisés en Guyane, à la Réunion, à Mayotte, en Martinique et en Guadeloupe d’après les dernières données du Gouvernement. En d’autres mots, 0,4 hospitalisation pour 10 000 personnes. La situation de l’épidémie dans les DOM n’a donc rien à voir avec la moyenne nationale (4,4 hospitalisations pour 10 000 habitants), sans parler des départements les plus touchés (15 hospitalisations pour 10 000 habitants dans le Val-de-Marne, 13 à Paris, 12 dans le Haut-Rhin…). Pour autant, les soignants de ces territoires d’outre-mer craignent la suite des événements. « La population de la Martinique fait partie des plus âgées en France, souligne le Dr Anne Criquet-Hayot, généraliste à Fort-de-France et présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) médecins libéraux de l’île. Nous avons également une forte prévalence du diabète, de l’hypertension, de l’insuffisance rénale, du surpoids… Notre population est donc particulièrement à risque, et la vigilance est de mise. » D’autant que les maladies chroniques ne sont pas seules en cause. « Le coronavirus vient s’ajouter à une situation déjà médiocre à la base, notamment avec la sévère épidémie de dengue que nous subissons », indique ainsi Céline Boulineau, infirmière libérale et présidente de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) du Lagon à Mamoudzou, à Mayotte.

  Des infrastructures moins denses qu’ailleurs Sans oublier que dans plusieurs DOM, ce contexte épidémiologique particulièrement défavorable se combine avec une densité de personnel et d’infrastructures sanitaires moindre...

en comparaison au reste du territoire français. « Les capacités de réanimation en Guadeloupe ne sont pas très élevées, note ainsi le Dr Adèle Bussy, généraliste installée à Trois-Rivières, au sud de Basse-Terre. Si l’épidémie explosait, la situation deviendrait rapidement très compliquée. » « Avant la crise, nous avions moins d’une quinzaine de lits de réanimation, explique de son côté Clara de Bort, directrice générale de l’ARS de Guyane. Nous en sommes maintenant à une quarantaine, et nous avons un plan pour passer à 65, mais il nous faudrait pour cela du personnel et du matériel en plus. » Car les DOM pourraient avoir besoin de renfort si la situation se détériorait, et rien ne dit qu’ils obtiendraient facilement les ressources nécessaires. « Nous sommes très isolés, à des milliers de kilomètres de l’hexagone, et presque tous nos échanges passent par Paris, remarque Anne Criquet-Hayot. Nous manquons de masques, de curare… et les médecins qui viennent nous aider sont mis en quatorzaine à leur arrivée. »

Beaucoup considèrent donc le confinement intervenu très précocement dans l’épidémie – et qui peut à première vue paraître démesuré au regard de la situation locale – a été une chance pour les DOM. Car la meilleure arme de ces départements reste encore la prévention. « Nous avons confiné en stade 1, se félicite Clara de Bort depuis Cayenne. Nous sommes maintenant en stade 2, mais nous avons un temps d’avance : il est possible de faire du contact tracing quand on n’a que quelques cas positifs par jour, alors que cela devient impossible quand on en a 200 quotidiennement. » Un confinement difficile Vu les conditions particulières des DOM, grande question est donc de déterminer si le confinement peut être appliqué de manière à réellement porter ses fruits. Et c’est là que le bât blesse...

« Le confinement est impossible quand on vit dans des cases en tôle », soupire Céline Boulineau, avant d’ajouter qu’en raison de spécificités locales, l’identification des cas suspects pourrait être plus complexe à Mayotte qu’ailleurs. « Comme il y a des aspects culturels qui font qu’il est mal vu d’avoir ce genre de maladie, certaines personnes vont avoir tendance à se cacher de peur que cela se sache », souligne l’infirmière. De plus, il peut être particulièrement difficile, au sein de certaines populations, d’appliquer les mesures barrières. « C’est compliqué de se laver les mains de manière efficace quand on n’a pas l’eau courante », note Clara de Bort qui, en Guyane, a affaire à des populations parfois éloignées de certaines infrastructures de base. Un problème auquel s’ajoute celui de la communication. « Nous devons traduire nos documents en une quinzaine de langues, souligne la directrice de l’ARS. C’est un travail auquel nous sommes habitués, mais qui nous mobilise encore plus en ce moment. »

  Des retards de prise en charge Mais le simple fait de penser aux conséquences d’un échec des mesures de prévention ou d’une large diffusion de l’épidémie comme en métropole aide les soignants à relativiser le contre-coup du confinement, qu’ils subissent de plein fouet. Car si le coronavirus frappe moins sous les tropiques que dans les autres départements français, la fréquentation des cabinets médicaux n’en a pas moins chuté de manière drastique. « Dans notre maison de santé, nous sommes habituellement à deux médecins et notre agenda est complet. En ce moment, nous n’en avons plus qu’un car cela ne sert à rien d’être deux pour se tourner les pouces », témoigne Adèle Bussy. Dans les DOM comme ailleurs, le renoncement aux soins constaté depuis le début du confinement risque de faire des ravages. « Nous observons déjà des retards de prise en charge préjudiciables, remarque Anne Criquet-Hayot. Les gens sont restés chez eux, et certains arrivent maintenant avec des pathologies décompensées. »  

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