Crédit : Mathilde Gendron
Médecin légiste, il est l'un des pionniers de l'autopsie virtuelle
Depuis quelques années, une nouvelle technique vient révolutionner la médecine légale. Mise au point dans les années 2000 par le Pr Michael Thali, la "virtopsie", ou imagerie forensique, consiste à scanner le corps d’un défunt avant de procéder à l’autopsie. Utilisée par exemple sur les victimes de l’attentat commis par Mohammed Merah en 2012 à Toulouse, cette pratique représente un gain de temps et une aide précieuse pour les médecins légistes. Egora a rencontré le Dr Fabrice Dedouit, médecin légiste et radiologue au CHU de Toulouse, pionnier de la virtopsie en France.
Crédit : Mathilde Gendron
De garde la nuit précédente, le Dr Fabrice Dedouit, médecin légiste, rejoint le CHU de Toulouse vers 10 heures, ce jeudi 4 juillet. Après avoir récupéré son café, le médecin gagne son bureau rempli de livres, dont plusieurs évoquent la virtopsie, aussi appelée imagerie forensique ou post-mortem. Cette pratique consiste à scanner un cadavre avant de procéder aux examens. Fabrice Dedouit a été le premier à l’expérimenter en France.
Tout commence dans les années 2000. Le jeune médecin s'apprête à faire un clinicat en radiologie lorsque ses chefs de service de médecine légale et de radiologie lui parlent d’une nouvelle technique. "L’un des deux a lu un papier du Pr Michael Thali [Pr à l'Université de Zurich, NDLR], qui est le père de la virtopsie. Ils se sont dit : ‘Ça a l’air génial, est-ce qu’on ne pourrait pas faire ça à Toulouse ?’ Et ils m’ont proposé", se souvient Fabrice Dedouit. S’il est immédiatement intéressé par cette nouvelle technique, c’est parce qu’avant d’être légiste, le médecin était radiologue*. Grâce à cette double compétence, le praticien a plus de facilités pour interpréter les images obtenues.
"Des outils dédiés au post-mortem"
Pendant cette période, le médecin légiste s’entraîne sur le scanner du service de radiologie. "Il fallait que les chefs de service de radio et de médecine légale s'arrangent", relate Fabrice Dedouit. Car le protocole utilisé pour réaliser un scanner chez un vivant est différent de celui d’un cadavre. "On utilise des outils dédiés au post-mortem", détaille le légiste. Depuis avril dernier, le service de médecine légale du CHU de Toulouse a changé de locaux. En récupérant un ancien scanner inutilisé, le service a dorénavant son propre appareil.
Le scanner du service de médecine légale du CHU de Toulouse peut capturer jusqu’à quatre corps par jour. Crédit : Mathilde Gendron
Après avoir bu son café, le médecin rejoint la salle de scanner. L’appareil ressemble en tout point à celui utilisé pour des patients vivants. De l’autre côté de la vitre, la manipulatrice radio lui indique que tous les corps ont déjà été scannés ce matin. Le médecin rejoint alors la salle d’interprétation, où trois écrans sont allumés. Il s’assoit et consulte les différents dossiers. Le médecin s’arrête sur celui d’un piéton percuté par un véhicule sur la voie publique. Le premier écran affiche une vue en 3D du corps, les deux autres, des coupes axiales, coronales et sagittales. Sur ces images, le légiste doit relever tous les éléments "qui peuvent expliquer le décès". Il précise cependant que l’imagerie seule ne peut pas donner la cause exacte du décès. "C’est la confrontation de l’ensemble des éléments de l’enquête, de l’autopsie, de la biochimie, de l’imagerie…" qui va permettre d’écarter ou non certaines pistes.
Sur les images, le légiste constate la présence d’eau et de sang dans la cage thoracique, expliquant que "la mécanique d’inflation et d’exsufflation ne fonctionne plus". Une première cause de décès est identifiée. Le médecin remarque ensuite de nombreuses fractures au niveau du bassin et des membres inférieures. "Ça peut aussi contribuer au décès", déduit-il.
Son travail ne s’arrête pas là. Il doit pratiquer l’autopsie, car l’objectif de l’imagerie n’est pas de la remplacer. "Les deux techniques sont complémentaires ; ce que l’autopsie va rater, le scanner va le voir et vice-versa." L’imagerie lui permet cependant de gagner du temps dans sa pratique : "On ne va pas ouvrir les membres inférieurs, on sait que c’est cassé. Par contre, on va regarder les choses où le scanner est moins bon, par exemple au niveau du cœur."
Un intérêt conservatoire
En plus d’apporter de nouveaux éléments, l’imagerie forensique a "un intérêt conservatoire" : "On garde les images toute la vie." Ce point est particulièrement utile lors de la réouverture d’une enquête, ou lors de l’ajout d’un nouvel élément à un dossier. Le scanner, qui permet de voir l’ensemble des os et l’air présent dans le corps, est également réalisé du crâne jusqu’aux orteils. "Ça permet un balayage exhaustif du corps, sachant que lors d’une autopsie, on ne suspecte des fractures que s’il y a une déformation ou une plaie. Concernant l’air dans les vaisseaux, on ne peut pas voir ça pendant l’autopsie", ajoute-t-il.
Si en 2003, "quasiment aucun CHU ne faisait de scanners sur les cadavres, se rappelle le légiste, maintenant dans à peu près tous les CHU, c’est possible de le faire, ça se démocratise". Pour cela, il a fallu faire "un travail de formation et d’éducation, car les médecins légistes ne sont pas radiologues, il faut les convaincre que c’est utile dans certains cas", indique Fabrice Dedouit, qui donne aussi des cours aux légistes et radiologues.
Au-delà d’aider les médecins, l’imagerie post-mortem est également très utile dans la recherche. "À Toulouse, on fait partie d’un laboratoire de recherche**, donc on travaille aussi avec des archéologues. On a travaillé sur des momies ou sur le sarcophage de Notre-Dame de Paris."
*À cette époque, pour exercer la médecine légale, un diplôme d’étude spécialisé complémentaire (DESC) était nécessaire. Il fallait donc avoir au préalable une autre spécialité médicale. La réforme du 3e cycle, en 2017, a créé le DES de médecine légale et expertises médicales.
**Le laboratoire Amis (Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse).
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