"Fourre-tout" aux "chiffres fantaisistes" : ces médecins veulent chambouler la Rosp ​

12/01/2021 Par A.M.

La Fédération des médecins de France et le Collège de médecine générale planchent sur l'évolution de la rémunération sur objectifs de santé publique. Pour les médecins interrogés par le syndicat, la Rosp porte mal son nom :  à défaut de réellement améliorer les prises en charge, ce forfait ne fait que compenser la faiblesse du G. Des pistes de réforme vont être prochainement soumises à la Cnam.

Il s'en souvient presque comme si c'était hier. Le Dr Stéphane Pinard, généraliste à Belle-Ile-en-mer, venait juste de s'installer, en 2009, lorsqu'il a signé le premier "contrat d'amélioration des pratiques individuelles" (Capi), ancêtre de la Rosp. "Au début, je trouvais ça intéressant. C'était clair et net. Il y avait peu d'indicateurs, axés diabète et maladies cardio-vasculaires. Pour les patients diabétiques, je me souviens m'être dit de faire attention aux fonds d'œil, à la microalbuminurie, à la tension, à la prescription de statine." Mais ça, c'était avant. A force d'en "rajouter chaque année une couche", la Rosp est devenue pour bon nombre de médecins libéraux un "mille-feuille" indigeste comprenant pas moins de 29 indicateurs (à déclarer avant le 31 janvier). C'est en tout cas ce qui ressort d'une enquête flash menée en décembre par l'Union généraliste (UG) de la FMF, présidée depuis peu par le Dr Pinard, dans le cadre d'une réflexion conjointe avec le Collège de médecine générale (CMG). "Négocier la convention est une prérogative des syndicats, souligne le Dr Paul Frappé, président du CMG. Au collège, nous avons une réflexion sur le fond. Mais nous pouvons avoir une vision complémentaire et défendre un discours commun." C'est ainsi que le syndicat, qui planche sur la simplification de l'exercice, et la société savante, qui réfléchit globalement au financement des soins, se sont trouvé un intérêt commun pour cette "rémunération sur objectif de santé publique"… qui porte bien mal son nom. Pour 80,9% des 214 généralistes répondants, la Rosp ne permet pas d'améliorer la qualité de la prise en charge des patients. Seuls 9.3% d'entre eux y croient, tandis que 9.8% se montrent sceptiques.

Pour 83.3% d'entre eux, la Rosp n'est en réalité qu'un complément de revenus compensant le blocage du G – un complément qui s'élevait en moyenne à 5021 euros pour les médecins traitants de l'adulte en 2019. "Il y a deux catégories de médecins, résume le Dr Pinard, qui a mené l'enquête avec le Dr Richard Talbot. Celui qui considère que la Rosp, c'est de la merde, ne la signe pas et tant pis pour lui si le G est pourri. Et celui qui signe la Rosp parce que quand même, 25 euros la consult', avec 60% de charges, faut pas déconner. Je parle crûment, mais c'est comme ça que les médecins nous disent les choses." La plupart, souligne le syndicaliste, remplissent la Rosp sans vraiment y prêter attention. Les trois quarts des répondants jugent en effet la Rosp "incompréhensible". Même les 25 membres du comité directeur de la FMF-UG interrogés en parallèle, a priori plus au fait sur le sujet, s'avouent perdus à 68%. Ces derniers sont par ailleurs 55% à confesser indiquer des chiffres fantaisistes pour les quatre items déclaratifs. "Je m'attendais à plus", commente Stéphane Pinard. "Il y a des médecins qui m'ont dit qu'ils mettaient 100% partout." D'abord parce qu'ils y seront gagnants. Et ensuite parce qu'ils n'ont pas le temps de faire dans la dentelle, en l'absence de logiciel métier permettant de coder l'activité comme à l'hôpital. "On nous demande d'être des qualiticiens", déplore Stéphane Pinard, qui précise passer une trentaine de minutes à compléter chaque année sa déclaration. "Tout dépend de comment on le fait… S'il faut que j'aille voir tous mes dossiers pour récupérer tous mes patients diabétiques, vérifier leur prise de sang, regarder leur tension, ça peut me prendre plusieurs semaines." Pour 86.4% des adhérents sondés et 92% des membres du comité, la Rosp apparaît en tout cas "déconnectée de la réalité médicale". Stéphane Pinard cite l'exemple des mammographies ou des fonds d'œil, examens parfois difficiles d'accès dans certains territoires. Et qui reposent sur la bonne volonté du patient, comme tant d'autres indicateurs (dosage de l'HB1ac, vaccin grippe, dépistage CCR, FCV). "On a beau dire au patient d'aller le faire, lui donner une ordonnance, s'il ne le fait pas, je ne vois pas pourquoi ça serait un indicateur de ma performance à moi, considère le syndicaliste. Ce n'est pas là-dessus que j'ai envie d'être jugé. Moi, je suis investi dans un hôpital de proximité et dans une CPTS, je reçois et forme des internes, je me forme, je fais des soins non programmés, de la nuit profonde. C'est peut-être ça, qu'il faut valoriser aujourd'hui : les médecins investis dans le développement de l'offre de soin, qui mouillent le maillot."

Pour le syndicaliste, il est de toute façon impossible pour un généraliste à l'emploi du temps déjà bien chargé de travailler sur l'ensemble des indicateurs. "On ne peut pas nous dire que tout est important, il faut nous dire quoi surveiller", estime-t-il. Pour le Dr Paul Frappé, c'est le nœud du problème : la Rosp doit-elle être, à la manière des Anglais, un "tableau de bord de suivi de la qualité, avec une liste gigantesque d'indicateurs qui ne sont finalement pas regardés" ? Ou un outil de "stimulation, d'évolution des pratiques", avec des "focus" nécessairement changeants ? La restriction de la Rosp à cinq indicateurs prioritaires sur le plan de la santé publique est l'une des pistes d'évolution soulevées par le CMG dans un document remis à la Cnam en 2019 et soumise au vote par la FMF : 64% des membres du comité directeur de l'UG eux y sont favorables. "Aujourd'hui, il y a 5 millions de Français qui ont une consommation excessive d'alcool. On pourrait décider de mettre le paquet, pendant cinq ans, sur les interventions brèves sur le sujet. Pareil sur la prévention des maladies cardio-vasculaires ou le dépistage de la maladie d'Alzheimer, relève Stéphane Pinard. Alors que là, on a fourre-tout, avec l'EFR pour l'asthme de l'enfant*, les antidépresseurs, l'alcool, les génériques… ça part dans tous les sens. C'est pour ça que personne n'y comprend rien!" Bémol : retirer des indicateurs pourrait envoyer "un signal négatif en laissant penser qu'ils ne servent à rien", relève Paul Frappé. Autres pistes de réforme : mieux prendre en compte le profil du médecin (junior, senior, activité à dominante gynéco ou pédiatrique) et ne plus pondérer la Rosp clinique avec la patientèle. "Encore une fois, on valorise la quantité et non la qualité, regrette le président de FMF-UG. Ce qui est intéressant, c'est de savoir si le médecin fait ou pas, s'il le fait bien ou pas bien." Exerçant en zone touristique, le médecin a une petite patientèle médecin traitant et réalise très peu de suivi de patients chroniques. Il a donc une rémunération forfaitaire inférieure à la moyenne, alors qu'il fait des gardes "la nuit, le dimanche et les jours fériés". "On n'a pas tous la même activité, mais on a la même Rosp." Le médecin concède toutefois que prendre en compte le profil d'activité des praticiens pourrait encore compliquer un système qui a désespérément besoin d'être simplifié. De même, l'idée de fournir aux médecins une liste des patients hors objectifs (52% de membres du comité directeur favorables) pourrait se révéler difficile à mettre en œuvre. "ça pourrait être utile en cas d'indicateurs ciblés, en revanche", souligne le représentant syndical. La FMF milite enfin pour un gonflement du forfait structure, afin qu'ils permettent aux médecins d'embaucher une secrétaire. Ces résultats nourriront les réflexions du CMG, qui doit remettre une nouvelle proposition à la Cnam en début d'année.     *Indicateur inclus dans la Rosp du médecin traitant de l'enfant

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