2022 : la fin du paiement à l’acte (ou presque)

29/01/2019 Par Aveline Marques

Les généralistes ont entrebâillé la porte, la mission Aubert vient de l'enfoncer. En quête d'économies, le Gouvernement a décrété la fin du tout paiement à l'acte pour 2022. Inadapté à la prise en charge des patients chroniques, générateur d'actes inutiles… ce mode de financement concentre tous les maux du système du santé. Une task force menée par Jean-Marc Aubert, directeur de la Drees, a été chargée de réfléchir à des modalités alternatives de rémunération des professionnels de santé et des établissements. Son rapport, remis ce mardi matin à Agnès Buzyn, plaide pour une plus large place à la rémunération forfaitaire et à la qualité.

Votre avis compte ! Agnès Buzyn, ministre de la Santé, lance sur Egora une grande consultation des professionnels libéraux au sujet de ces propositions de réforme.

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"Le paiement à l’acte a un problème d’efficacité. Avec lui, le médecin est perdant en chiffre d’affaires s’il fait de la prévention, il a plus intérêt à avoir de la consultation récurrente. Or, nous avons besoin de plus de prévention." Octobre 2016 : Emmanuel Macron, qui vient de se déclarer candidat à l’élection présidentielle, prononce son premier discours sur la santé. Il décrit un système "défaillant", où le court terme l’emporte sur le long terme, où la quantité prime sur la qualité et où les inégalités perdurent malgré un budget conséquent (11.7% du PIB). Le diagnostic est partagé par l’ensemble des acteurs : face au vieillissement de la population et au poids croissant des maladies chroniques, qui menacent la soutenabilité même du système de santé, la tarification à l’activité (T2A) n’est plus adaptée. La part de ce mode de financement, qui s’établit actuellement à 63% (77% pour la médecine-chirurgie-obstétrique publique, 87% pour les généralistes, quasi 100% pour les spécialistes et paramédicaux), doit être réduite. Cet immense chantier, l’un des cinq "prioritaires" de la réforme de la santé, a été confié à une task force constituée de 10 experts*, sous la houlette de Jean-Marc Aubert, directeur de la Drees. Après des mois de concertations avec les fédérations, les syndicats, les ordres, les conférences ou les associations de patients et une observation attentive des expériences étrangères, la mission vient de rendre son rapport à la ministre de la Santé. Plutôt que de remplacer un système imparfait par un autre, la task force plaide pour des "modalités de paiement combinées", de façon à cumuler les avantages, tout en gommant les inconvénients. Avec quatre enjeux : favoriser le suivi coordonné des malades chroniques au long cours, accroître la qualité et la pertinence des soins, créer les conditions de la transformation de l’offre de santé et maintenir cette réactivité du système que permet malgré tout le financement à l’acte, tout en responsabilisant les acteurs. La transformation, étalée sur 5 ans, conduirait à dépenser autrement plus de 10 milliards d’euros et à réduire la part de la T2A à 50% dans les établissements de santé. Pour les soins de ville, l’objectif est moins ambitieux, et vise à poursuivre et étendre à l’ensemble des professionnels la dynamique engagée en 2009 pour les médecins généralistes avec les Capi puis la Rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp).   1 – Le paiement au suivi : objectif 6% des dépenses en 2022 C’est le mode de financement le plus adapté à la prise en charge des maladies chroniques, qui représentent 60% des dépenses d’assurance maladie alors qu’elles ne concernent "que" 35% des assurés, relève le rapport Aubert. L’objectif est "d’inciter les professionnels à se focaliser sur la prévention et sur les résultats de santé obtenus bien plus que sur le nombre d’actes ou de séjours réalisés en leur donnant plus de souplesse dans le choix des modalités de prise en charge" (consultation, mais aussi contacts téléphoniques avec le patient, coordination avec les autres acteurs…). Bref à "soigner mieux", plutôt que "soigner plus". Dans ce schéma, le médecin traitant est repositionné "dans sa fonction pivot, sans crainte de l’impact sur ses revenus d’une diminution du nombre d’actes associés à un patient particulier". Concrètement, les professionnels -médecins mais aussi infirmiers- toucheraient un forfait global pour la prise en charge d’une pathologie, rémunérant l’ensemble du suivi. "Afin d’éviter les stratégies de sélection des patients, le montant du forfait devra différer en fonction de l’état clinique du patient et de son histoire personnelle" (polypathologie, facteurs sociaux…), préviennent les experts. Son versement sera conditionné au respect d’un cahier des charges, qui précisera les "principales prestations attendues" (nombre de consultations, d’examens etc.). Le risque du paiement au forfait étant de diminuer le "niveau de service", des indicateurs de qualité seront mesurés. A l’instar de la ROSP pour le diabète ou l’HTA, il pourra s’agir d’indicateurs cliniques et/ou biologiques, mais aussi d’indicateurs d’expérience patient. "Le niveau des forfaits pourra être modulé à court ou à moyen terme par le niveau de qualité", précise le rapport. Chaque professionnel sera payé individuellement dans un premier temps mais à terme, l’objectif est d’instaurer un forfait unique, que se partageraient les acteurs. Prévue par la LFS, l’expérimentation débutera dès cette année à l’hôpital avec un forfait diabète et un forfait insuffisance rénale chronique : 200 à 300 000 patients seront concernés. Pour les généralistes, la mission Aubert suggère de débuter par la forfaitisation de la prise en charge du diabète (7% des consultations).   2- Le paiement à la qualité/à la pertinence : objectif 2% des dépenses d’ici 2022 En ville, le modèle n’est autre que celui de la Rosp, qui concerne pour l’instant essentiellement le médecin traitant de l’adulte (cabinet et centres de santé), mais aussi le médecin traitant de l’enfant (2017) et désormais le cardiologue, le médecin spécialiste de gastroentérologie-hépatologie, et le spécialiste d’endocrinologie-diabétologie-nutrition. La task force plaide pour son extension à d’autres spécialistes et à certains paramédicaux, comme les infirmiers. A terme, elle milite pour que la Rosp, à l’instar du Royaume-Uni ou l’Allemagne, rémunère les professionnels au regard de leur "juste prescription" (médicaments, imagerie…) en fonction des caractéristiques de la patientèle. A l’hôpital, c’est le modèle Ifaq (Incitation financière à l'amélioration de la qualité), dont l’impact doit être porté à 300 millions d’euros, contre 5 millions actuellement. Pour 2020, la LFSS prévoit une extension à la psychiatrie. Le système, reposant pour l’instant uniquement sur du bonus, appliquera dès l’année prochaine des malus aux établissements ne remplissant pas certains niveaux de qualité. La France, qui manque d’indicateurs pertinents, pourrait puiser dans ceux du programme international Ichom. La mission Aubert plaide également pour la prise en compte de la qualité ressentie par les patients, via les résultats rapportés : Prom’s (Patient-reported outcomes measures) et Prem’s (Patient-reported experience measures). Mais la task force met en garde les pouvoirs publics : pas plus de 7-10 indicateurs par professionnel/structure pour que le système soit "lisible" et simple et puisse faire l’objet d’un suivi régulier.   3- Le paiement à la séquence de soins : objectif 4% des dépenses en 2022 C’est ce que les Anglos-Saxons appellent le "paiement groupé" (bundled payment). Il s’agit de rémunérer conjointement une séquence de soins à des acteurs qui aujourd’hui sont financés séparément. Pour une chirurgie orthopédique par exemple, une même enveloppe rémunérait la phase de préparation à l’hospitalisation, l’intervention, le séjour en SSR et/ou les séances de masseur-kinésithérapeute et les éventuelles complications-réhospitalisations dans un délai de 90 jours à 1 an. Le forfait est déterminé en fonction du coût moyen de la prise en charge médicale la plus adaptée, décrite selon les recommandations de bonnes pratiques ou d’avis d’experts (best practice tarif). Là encore, les forfaits sont ajustés en fonction du risque pour éviter "les effets de sélection". In fine, ils seront modulés en fonction des résultats (bonus/malus). A l’étranger, l’impact sur la qualité est significatif : en Suède, sur les épisodes de prothèse totale de hanche et de genou (programme Orthochoice), les complications ont été réduites de 18% et les réhospitalisations de 23%. Mais pour la mission Aubert, la complexité et la multiplicité des soins de ville en France ne permet pas encore de déployer ce mode de financement, qui repose sur la contractualisation entre les acteurs. Les experts proposent à ce stade de l’expérimenter via l’article 51 de la LFSS 2018 : dès cette année, 25 établissements et leurs partenaires vont tester le paiement à l’épisode de soins pour la colectomie pour cancer colique, la prothèse totale de hanche et la prothèse totale de genou.   4- Le paiement à la structuration : objectif 21% des dépenses d'ici à 2022 (+10% Migac) Ces crédits doivent permettre d’organiser l’offre de soins dans un territoire et de répondre aux besoins particuliers de ses habitants. Dans cette catégorie, la mission Aubert place notamment la psychiatrie, qui doit être financée en partie par une dotation populationnelle (nombre d’habitants et indicateurs sociaux), mais aussi pour les services d’urgence, les SSR et les services de HAD, qui doivent bénéficier d’un financement socle en parallèle de la part à l’activité. Cette modalité de financement structurante concerne également l’investissement hospitalier : plutôt que sur les projets immobiliers, la mission recommande de mettre l’accent sur les projets numériques, l’intelligence artificielle et les plateaux techniques. S’agissant des soins de ville, la structuration passe par les CPTS, qui vont aider les professionnels à se coordonner à l’échelle du territoire, par un financement à l’usage des outils numériques (échanges d’informations, télémédecine…), ou des financements dédiés aux actions en faveur de la qualité des pratiques (groupes qualité, revues de morbi-mortalité…) et aux services rendus à la population (plages de soins non programmés par exemple). "Ces financements, le cas échéant individuels, devront être conditionnés à un exercice regroupé (ou une CPTS)", estime la mission Aubert.   5- Le paiement à l’acte et au séjour : objectif 50% des dépenses d’établissements en 2022 En ville, le paiement à l’acte reste le mode de financement "le plus pertinent" pour une consultation d’expertise chez un spécialiste, pour une virose chez le généraliste ou encore pour un examen radiologique, soulignent les experts. Mais il faut impérativement revoir les nomenclatures des actes, qui redistribuent environ 84 milliards d’euros (50% de la dépense d’assurance maladie), estiment-ils. A l’hôpital, 2600 groupements homogènes de séjour (GHS), "fondés sur l’observation de pratiques historiques d’un échantillon d’établissements de santé" et non sur ce qui devrait être fait, sont recensés, contre moins de 1000 dans certains pays. "Des regroupements apparaissent souhaitables", jugent les membres de la mission. Même chose pour la classification commune des actes médicaux (CCAM), trop précise, trop dense : elle ne compte pas moins de 8500 actes, contre 5200 en Australie. De plus, "la sur-cotation d’un acte peut conduire à sa réalisation trop fréquente comme la sous-cotation peut conduire à ne pas réaliser l’acte dans un cas où il serait nécessaire", pointe le rapport. En découle la création de "rentes économiques" pour certaines spécialités ou activités. Les rythmes de mises à jour sont beaucoup trop lents pour coller à l’état de l’art médical, jugent encore les experts : sachant qu’en moyenne 40 actes sont révisés chaque année, il faudrait 200 ans pour en faire le tour… Plutôt que coter et payer chaque séance de kiné, il serait souhaitable pour la mission Aubert de créer un paiement regroupant "une séquence complète de rééducation", qui permet également d’en apprécier les résultats.   *Sandrine Billet (DGOS), Pr Cyrille Colin (PU-PH santé publique Hospices civils de Lyon), Mathieu Doutreligne (Ministère), Claire Lise Dubost (Drees), Dr Elisabeth Fery Lemonier (ARS Auvergne-Rhônes-Alpes), Didier Guidoni (DG adjoint CHU de Dijon), Edouard Hatton (Ministère), Jacqueline Hubert (ex DG du CHU de Grenoble), Natacha Lemaire (Conseil stratégique de l’innovation en santé) et Clémence Marty Chastan (Igas).

Faut-il mettre fin à la possibilité pour un médecin retraité de prescrire pour lui-même ou pour ses proches ?

Didier Thiranos

Didier Thiranos

Oui

Le médecin retraité ayant toujours son diplôme et acteur d'une longue carrière, donc d'expérience doit pouvoir le faire . Sauf bie... Lire plus

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