Jeune généraliste, il prescrit des vidéos YouTube à ses patients : "C’est la prolongation de la consultation"

02/02/2022 Par L. C.
Portrait
A 32 ans, le Dr Corentin Lacroix, médecin généraliste à Vertou, près de Nantes, a été distingué en décembre dernier par ses pairs. Il a en effet reçu le prix Albert Sézary de l’Académie de médecine pour ses vidéos de vulgarisation à destination des patients, qu’il réalise sur YouTube depuis la fin de son internat. Une fierté pour le jeune praticien qui s’attache à redorer l’image de la médecine générale. Portrait. 
 

En voilà une nomination qui "détonne", pour reprendre ses propres termes. Le 21 décembre dernier, le Dr Corentin Lacroix, 32 ans, a reçu des mains du Pr Pierre-François Plouin, secrétaire adjoint de l’Académie nationale de médecine, le prix Albert Sézary de l’institution, décerné à un "jeune médecin digne d’intérêt". Le généraliste installé à Vertou (Loire-Atlantique), thésé en 2018, s’est vu honorer de cette récompense pour les vidéos de vulgarisation médicale qu’il réalise sur YouTube depuis la fin de son internat.  Pourtant, lorsqu’il a envoyé sa candidature spontanément en mars 2021, WhyDoc – son pseudo sur Internet – n’y croyait pas, nous confie-t-il. "Pas de nouvelles, pas de nouvelles, pas de nouvelles... Je me suis dit que c’était mort." Alors qu’il ne l’attendait plus, il reçut un jour un courrier de l’Académie. "Je m’attendais à avoir un message du type ‘merci pour votre participation, mais nous avons le regret de vous annoncer que…’. Finalement, j’ai lu ‘nous avons le plaisir de vous informer…’. Je n’y ai pas cru."  Tout est devenu plus concret lorsqu’il a reçu son invitation. Jusqu’au grand jour. "Je me suis retrouvé avec des médecins qui ont des palmarès de fou : grand professeur, chef de service, directeur de labo de l’Inserm. On se sent un peu tout petit au niveau de ce qu’on a accompli", raconte ce fils, petit-fils et arrière-petit-fils de médecin, dont on parvient à déceler les étoiles dans les yeux à travers le combiné. Vient alors la présentation du lauréat aux membres titulaires de l’Académie.  "On m’appelle : ‘Corentin Lacroix, médecin généraliste’. Déjà, ça détonne un peu avec les autres spécialités présentes. J’ai bien senti que ce n’était pas un grand ‘Oh’. Et puis, ‘il fait des vidéos sur Internet’. Là pareil, j’ai l’impression d’un ‘c’est quoi ça ?’, plaisante-t-il. J’avais un peu le syndrome de l’imposteur. Finalement, après une présentation très sympathique, le secrétaire perpétuel adjoint a dit : ‘Je suis allé voir ce que vous faites, c’est bien, allez voir son site, ça vaut le coup’." 

Le trentenaire descend de l’estrade, son prix en main. En sortant de la grande salle, il passe devant les bustes de Charcot, d’Ambroise Paré… "Des noms qu’on a lus dans les bouquins." Des académiciens le félicitent pour ses vidéos. On lui dit que ce qu’il fait valorise la médecine générale. Des compliments qui restent gravés dans sa mémoire. "Ça fait du bien, confie le généraliste, éprouvé par deux années d’épidémie de Covid-19. Ce n’est pas pour l’ego, mais ça me donne du courage pour continuer ce que je fais."   

"Pour l’ego, j’ai eu droit au titre de lauréat, ça fait toujours chic dans les soirées", ajoute-t-il en riant. "Ça me donne aussi une certaine crédibilité ou légitimité", indique le praticien, qui explique n’avoir...

parfois pas pu mener à bien certains projets car les institutions qui devaient lui permettre d’obtenir des subventions ne le connaissaient pas. "Il y a deux ans, je voulais demander des subventions à l’ARS, mais elle m’a pris pour un extraterrestre. Si j’avais eu le titre de lauréat à ce moment-là, ça m’aurait donné un argument pour appuyer et leur dire de me faire confiance."  Aujourd’hui, des milliers d’internautes lui ont accordé leur confiance en regardant ses vidéos, qui totalisent près 1,5 million de vues.    "Rendre les patients autonomes"  C’est il y a cinq ans que Corentin Lacroix, alors interne en médecine générale à la faculté de Nantes, décide de se lancer sur la plateforme, avec un but bien précis : "informer les patients sans les saturer d’informations, en utilisant les bons mots, les bonnes métaphores". "Initialement, je voulais faire des fiches pour les patients, mais je ne trouvais pas ça très sexy. Et puis j’ai vu les vidéos sur YouTube en sciences, histoire, physique quantique… mais il n’y avait pas vraiment de vidéos de médecine. Un ami m’a encouragé à me lancer."  En 2017, six mois après le lancement de sa chaîne, WhyDoc reçoit le prix Alexandre Varney de l’ISNAR-IMG (InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale), qui récompense "un travail original mettant en valeur la médecine générale". Si la fabrication des vidéos était jusqu’ici un peu "home-made", ce prix motive le jeune médecin à investir dans du bon matériel pour poursuivre la création de contenu, qui traite de thèmes aussi divers que variés : l’épilepsie, les vers intestinaux, le diabète – qui totalise plus de 500.000 vues –, l’asthme, le saignement du nez ou encore les pleurs du bébé.   A travers ses vidéos, le Dr Lacroix veut montrer que la médecine générale, ce n’est pas "que soigner des rhumes et des gastros". Le généraliste est le médecin qui a "les mains dans le cambouis, est sur le terrain, et arrive à parler d’un sujet avec des mots simples". "Ces vidéos sont faites pour que les patients, s’ils le veulent, puissent devenir autonomes, notamment lorsqu’ils sont atteints de maladies chroniques, et comprendre ce qu’il se passe. Quand on peut échanger avec les mêmes termes techniques, c’est génial", explique-t-il.  "Aujourd’hui, de nombreux patients ne connaissent pas leur maladie. Il y en a que ça ne gêne pas, notamment des générations qui font ce qu’on leur dit et basta. Mais, de manière générale, dans la société, on essaie maintenant de davantage s’informer : même lorsque l’on va chez le garagiste, on se demande si on ne pourrait pas réparer ça tout seul. Moi, j’essaie de guider les patients", illustre le praticien, qui n’en oublie pas d’intégrer un côté décalé à sa démarche pour rendre l’information attrayante pour le grand public. 

"Je ne fais pas quelque chose d’exhaustif, mais, en général, je m’appuie quand même sur une dizaine d’articles scientifiques. Cela peut être des articles dans des revues, des thèses, même des mémoires, voire des billets d’humeur pour le dépistage du cancer de la prostate, parfois aussi des articles historiques. De tout cela, j’essaie d’en faire un petit résumé et j’essaie également de voir sur les forums de patients ce qu’il se dit, les questions qui se posent [au sujet d’une pathologie], les points de vue, les idées reçues…"      Si, au début, le Dr Lacroix n’osait pas inciter ses propres patients à regarder ses vidéos, maintenant, il n’hésite plus. "De toutes façons, ils arrivent à me retrouver sur Internet, presqu’avant de trouver mon agenda", plaisante-t-il. En consultation, il leur...

suggère telle ou telle vidéo en fonction des circonstances. "Par exemple, au sujet du prépuce, un patient m’a dit un jour : ‘on m’a dit qu’il fallait décalotter’. Je lui ai dit ‘non, on ne décalotte pas. Si vous voulez, j’ai fait une petite vidéo de 3 minutes pour appuyer le propos’. En général, les gens aiment bien."  Ses vidéos sont devenues en quelque sorte "la prolongation de la consultation". Comme des prescriptions, finalement, résume-t-il.     "Expert"  Au fil du temps, le généraliste s’est imposé comme un expert en vulgarisation médicale, même certains de ses confrères ou étudiants en médecine consomment ses vidéos pour "se remettre les idées en place". Si bien que dorénavant, ce sont les institutions qui viennent à lui pour lui proposer des partenariats. WhyDoc réalise par exemple des vidéos pour l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur des sujets précis : la balance bénéfices/risques, les médicaments et la grossesse, etc. Il a aussi travaillé avec le Centre ressources francilien du traumatisme crânien. "Je demande aux partenaires, qui ont leur langage ‘technique’, ce qu’ils veulent faire passer comme message. Et mon but, c’est de le dire avec des termes de la vie de tous les jours, que ce soit un peu dynamique et vivant", ajoute-t-il.   Pour ces vidéos-là, le Dr Lacroix touche des subventions des partenaires. Il est par exemple devenu expert de l’ANSM et est rémunéré en fonction des avis qu’il donne. "Forcément je ne suis pas entièrement indépendant, car j’ai des subventions, mais dans les échanges que j’ai, j’estime que ce que je fais, je le fais en accord avec mes valeurs. Je ne me sens pas bridé", assure le médecin-youtubeur, qui indique qu’il "n’a pas vraiment de modèle économique mais que cela repose surtout sur beaucoup de bonne volonté". "Que les vidéos soient vues 2000 ou 100.000 fois, ça ne me change rien. Je n’en ai aucun bénéfice", ajoute le trentenaire, précisant qu’il ne touche pas 1 centime des publicités YouTube. "Je pourrais demander, mais je n’en ai pas envie."  Le généraliste est tellement sollicité qu’il a du mal à trouver du temps pour faire des vidéos sur des sujets qu’il a imaginés. Après deux années de lutte contre l’épidémie de Covid-19, le praticien, qui exercice dans un cabinet pluriprofessionnel, est tout de même parvenu à reprendre les scripts originaux : il travaille actuellement sur la vasectomie. Désormais, il consacre deux journées par semaine à YouTube, et se rend une fois par mois à la faculté de Nantes où il est chargé d’enseignement au département de médecine générale. Les consultations des autres jours sont assurées par sa binôme.   "Je ne m’ennuie pas", résume le jeune homme, dont les idées semblent fuser à toute vitesse. "A la maison, quand tout le monde dort le soir, j’écris mes scripts. Je tourne les jours d’école car je filme dans la chambre de ma fille, qui a 3 ans. C’est un peu mon studio car j’ai commencé à tourner les vidéos avant qu’elle naisse", se souvient le papa. "Les étagères qu’on voit derrière moi, normalement il y a des peluches", s’amuse-t-il à révéler.    "Savoir dire non"  Dans ce quotidien à cent à l’heure, le Dr Lacroix essaie néanmoins de se poser des limites. "J’ai appris ça aux internes : savoir dire non. C’est facile à dire, mais pas hyper facile à faire", reconnaît-il. Celui qui travaille également bénévolement sur le fonctionnement de KitMédical – qui référence les sites intéressants pour la pratique médicale – l’admet : "l’année dernière j’ai failli me faire submerger". Entre l’épidémie, la sortie régulière de vidéos, et la vie familiale, il ne s’en sortait plus. "J’ai dû dire non à certains projets que j’aurais aimé faire." Mais son épouse, également généraliste, était là pour lui rappeler de se préserver, confie-t-il, reconnaissant. 

Cette dernière le soutient chaque jour dans cette aventure youtubesque. "Au début, quand je lui ai demandé ce qu’elle pensait de me lancer sur YouTube, elle m’a dit : ‘Je pense que tu as mis beaucoup d’argent pour rien’. J’avais mis 200 euros pour acheter des lampes et un pied. Très vite, elle m’a dit ‘Je me suis plantée, tu as raison, c’est super ce que tu fais’, se rappelle le Dr Lacroix. Souvent elle me donne des conseils, des petites idées, et elle me maquille pour je ne brille pas à l’image", s’amuse à dire le praticien.  Celle qu’il a rencontrée à la faculté autour du babyfoot de la cafet’ fait même quelques apparitions dans ses vidéos, comme celle sur le choc toxique. "C’était marrant parce qu’elle a vu ce que c’était de devoir écrire le texte. Moi, j’écris tout pour être sûr des mots que je vais employer. On a relu son texte ensemble. Elle l’a joué plusieurs fois parce que je fais plusieurs prises pour savoir laquelle est la meilleure." Une rigueur qu’il s’applique à maintenir dans chacun de ses projets face à la désinformation médicale, désormais omniprésente depuis l’épidémie.  

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