Suppression du tiers-payant, statut mixte... Comment 12 000 médecins veulent sauver l'exercice libéral

16/12/2022 Par Marion Jort
Comment rendre l’exercice libéral attractif demain ? C’est à cette réponse qu'ont tenté de répondre les médecins libéraux de Nouvelle Aquitaine. Consultés par l’URPS*, 12 000 praticiens ont été invités à formuler leurs idées sur divers sujets : organisation territoriale, tarification, prévention, installation… Un document de travail de 37 propositions a été remis au président de la République la semaine dernière. Le président de l’URPS-ML, le Dr Benoit Feger, défend ardemment une médecine plus territorialisée, axée sur la prévention et la coordination en fonction des besoins de soins des populations locales.  "Ce n’est pas avec une vision jacobine parisienne qu’on va pouvoir s’adapter !", affirme cet ORL. Il revient sur les mesures phares de l’enquête pour Egora.  

  

Egora.fr : Dans votre document de propositions, vous appelez à un "changement de paradigme" Quelle était votre ambition ? 

Dr Benoit Feger : Nous avons souhaité partir d’une enquête de terrain pour savoir ce que les médecins souhaitent pour l’avenir de leur exercice libéral. Le système de santé a été construit dans les années 1945 pour répondre à l’urgence de la création d’un système adapté au traitement de pathologies aiguës et d’une population jeune pour une reprise du travail rapide. Tout a changé depuis : on est passé de pathologies aiguës à des pathologies chroniques, d’une population jeune à une population âgée, d’une prise en charge rapide à une prise en charge plus longue et d’une prise en charge monodisciplinaire à une prise en charge pluridisciplinaire. Le système n'est pas adapté à cela et il faut le changer. Il faut plus de coordination, de concertation entre les professionnels de santé et, en même temps, il faut un pilote dans l’avion. Un autre changement à prendre en compte, c’est celui de la perception du travail, qui n’est plus la valeur principale et unique des médecins d’aujourd’hui.   

  

Vous avez déterminé trois grands axes de travail : un virage préventif, l’attractivité des territoires et l’accès aux soins. Pourquoi ?  

Nous avons en quelque sorte "classé" les propositions des médecins que nous avons sollicités, ainsi que de nos experts.  

  

En quoi la prévention est-elle primordiale ? Vous évoquez même la nécessité d’une "prévention personnalisée"...  

Oui, car la prévention institutionnelle ne marche pas. Prenons un exemple récent avec la vaccination contre le Covid : quand il a fallu la développer, on a donné les listes de patients à vacciner aux médecins traitants et ce sont eux qui ont fait des actions personnalisées, soit pour réaliser l’injection, soit pour les convaincre. La prévention se fait plus facilement dans ce cadre car il y a une relation de confiance et de dialogue avec son médecin. Les consultations de prévention annoncées par François Braun sont un premier pas, mais il faut aller plus loin. Il faut prévoir, comme en médecine du travail, une prévention en amont. Par exemple, il manquerait en pédiatrie une consultation à l’adolescence car c’est à ce moment qu’il est question de sexualité ou d’addiction. C’est pour cela que nous demandons des consultations longues de prévention au moins tous les 5 ans, quelle que soit la spécialité du médecin, et de mettre en place un parcours personnalisé de prévention, piloté et coordonné par le médecin, dès lors que les facteurs de risques le justifient.  

  

Vous demandez la suppression du tiers-payant. Par quoi le remplacer ?  

Pour nous, le tiers-payant est inflationniste. Les gens ne sont pas responsabilisés. Comme ils ne paient plus le service médical, ils pensent que tout est gratuit et qu’on est corvéables à merci. La charge administrative, pour nous, est très lourde. Il y a des systèmes, comme des cartes bancaires santé, qui nous semblent plus pertinents. Au moins, les médecins sont honorés tout de suite par le patient. Ce n’est pas à eux d’être pénalisés par le système.  

 

Vous proposez aussi d'unifier le statut des médecins, "quels que soient leurs modes d’exercice" pour un "statut mixte". Comment cela fonctionnerait-il ?  

Actuellement quand on est médecins, on a soit un statut de salarié, soit de libéral. Dans les faits, on a des hospitaliers qui font du libéral et l’inverse. Quand on est en ville, on est payés à l’acte mais on ne touche rien pour tout ce qui relève des réunions, des concertations, etc. A l’hôpital en revanche, même quand on gère l’organisation et qu’on n’est pas dans le soin pur, on est payés. Il y a une différence. On voit bien que dans le milieu hospitalier, certains profitent du système alors qu’en libéral, on est obligés de tout faire car on a besoin de manger. Si on veut donner plus de souplesse et surtout harmoniser les politiques de santé, il faut que les rémunérations soient d’abord séparées de la T2A. Il serait plus cohérent d’avoir un statut unique : qu’on soit hospitaliers ou libéraux, quand on fait du soin on est payés à l’acte, quand on fait de la concertation, on est payés au forfait en salariat, quand on fait de la coordination, on est payés en salaire.  

  

L’une de vos propositions entend mettre fin aux projets de loi de financement de la Sécurité sociale, votés tous les ans, pour une loi de programmation. Qu’est-ce que cela changerait ? 

On ne peut pas faire une politique de santé avec des lois de financement de la Sécurité sociale qui sont décidées au mois d’octobre, votées au mois de novembre, et applicables au mois de décembre. Certaines mesures sont valables à peine un an et cela ne permet pas d’avoir une bonne stratégie pour refondre le système de santé. Ce que nous proposons, c’est une loi de programmation sur cinq ans, comme une loi de programmation militaire, qui permet de dire que tel ou tel objectif est à atteindre d’ici-là et que progressivement, on augmente les moyens. La loi de finances, ensuite, s’adapterait à cet objectif. Au moins, on saurait où on va et les médecins aussi.  

  

Vous proposez également que 20% de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) soient reversés à un Ordam, au niveau régional… C’est inédit ? 

Ça n'existe pas encore ! Pourquoi propose-t-on cela ? Pour qu’on ait des marges de manœuvre. Nous croyons fermement que les politiques doivent être adaptées aux territoires. Comme je le disais, on change de paradigme et donc il faut prendre en compte les besoins de soins des populations d’un territoire donné et pouvoir adapter l’offre de soins à cette échelle. On ne peut pas faire une offre de soins centralisée à Paris, ça ne résoudra rien ! Ce n’est pas à Bercy, ni à Ségur, que ça se décide. En fonction des besoins, on définit une politique avec l’aide des acteurs du terrain. Ce sont eux qui sont les plus à même de définir ce programme. Pour prendre l’exemple de l’obésité, plutôt que de faire des campagnes avec des spots de pub nationaux, nous, on peut organiser des filières de prise en charge, organiser l’éducation thérapeutique, etc.  

  

Les médecins que vous avez concertés demandent un bonus d’un minimum de 60% de la tarification de l’ensemble des actes dans les zones sous-dotées. Vous n’êtes pas pour une revalorisation générale de l’acte ?  

Si, les deux bien sûr ! Mais l'URPS n’est pas un syndicat. Notre mission, c’est l’organisation des soins. Si la tarification n'est pas adaptée pour rendre attractif l’exercice libéral, c’est un problème que les syndicats vont défendre. Nous, ce que nous proposons, c’est de donner, dans un territoire donné, ce bonus à tout le monde. Pourquoi ? Car aujourd’hui, on ne l’accorde qu’aux jeunes installés… mais le médecin qui exerce au même endroit depuis 20 ans n’a rien. Il faut récompenser...

tous les médecins qui exercent dans les territoires sous-dotés, quelle que soit leur date d’installation.  

  

Il faut, selon vous, adapter la formation des médecins aux territoires. Qu’attendez-vous exactement ?  

Aujourd’hui, les postes d’internes ne sont pas décidés en fonction des besoins de la population mais de ceux des services hospitaliers. Si tel chef de service a un peu de pouvoir, il peut obtenir telle ou telle chose. Ce n’est représentatif de rien ! Il faut, en plus, que les postes soient ouverts dans les hôpitaux, les hôpitaux périphériques et dans les cabinets libéraux. Ce que nous souhaitons aussi, c’est que la formation des spécialistes ne soit pas ultra-spécialisée. Par exemple : si vous êtes interne en neurologie, à Bordeaux, vous n'avez que 4 ou 5 services d’hyperspécialisation et vous ne tournerez qu’à Bordeaux même. Une fois diplômé, vous serez hyper spécialiste en neuro-vasculaire par exemple, mais pas en neuro "standard". Au lieu de vous installer en ville, vous allez logiquement préférer vous installer à l’hôpital. Résultat : on crée des déserts médicaux. Tout est lié.  

  

Que manque-t-il aux futurs médecins ? 

Il y a globalement peu de culture du libéral. Nous souhaiterions ajouter à leur formation des modules de management, de gestion d’équipe, de projet, qu’ils aient des notions d’économie de santé. On a une formation médicale uniquement centrée sur la pathologie, la sémiologie, à l’heure actuelle et il manque le volet professionnalisant, quel que soit l’exercice qu’on veut faire plus tard. 

 

Vous proposez également de mettre en place un "mentorat territorial" pour les jeunes et futurs installés. Cela remplacerait-il le guichet unique, qui peine à se mettre en place partout en France ? 

C’est plus qu’un guichet unique, c’est une sorte de tutorat, de compagnonnage, d'accompagnement individualisé. Si un jeune veut s’installer, qu’il a des problèmes par exemple avec un patient ou avec des interlocuteurs comme la Sécu, il aura un contact privilégié. Il ne sera pas seul dans son coin. On a le nombre de médecins nécessaires pour mettre une telle action en place, mais il faut s’en donner les moyens. Si on demande aux médecins déjà installés de le faire gratuitement, ça risque de ne pas marcher.  

  

Il faut absolument "prendre des mesures en faveur de l’organisation collective", dites-vous. Les libéraux sont-ils trop seuls ?  

Le libéral seul n’a jamais existé. Le médecin a des correspondances avec des spécialistes, des paramédicaux, mais c’était jusque-là informel et pas forcément adapté aux territoires. Nous pensons qu’il faut des concertations à l’échelle territoriale pour mettre en place des filières de soins adaptées aux besoins de santé. Aujourd’hui, on ne traite plus seulement des angines mais des pathologies chroniques dans lesquelles on va avoir des correspondants paramédicaux ou médicaux pour construire des parcours de santé adaptés au patient. L’organisation collective que nous prônons est fonctionnelle. Il faut sortir de l’organisation collective dans un même lieu telle qu’une maison de santé, qui n’est qu’un outil parmi d’autres.   

  

Quelle serait la bonne échelle pour mettre en place des filières de soins pertinentes ? 

Pour nous, ce serait plutôt à l’échelle d’un canton ou d’un regroupement de plusieurs communes. Cela permet que les gens se connaissent et que les professionnels de santé puissent s’organiser facilement. Ce n’est pas avec une vision jacobine parisienne qu’on va pouvoir s’adapter ! Il faut créer du lien entre les différents acteurs. Le regroupement peut se faire autour des CTPS, de plateaux techniques libéraux comme dans des cliniques ou des MSP avec accueil d’urgence, par exemple. A cette échelle, on saura qu’il vaut mieux s’organiser de telle ou telle manière et si ça ne marche pas, on pourra changer le fonctionnement plus facilement. Peut-être qu’il faudra, selon la géographie du territoire, faire deux CTPS au lieu d’une par exemple. 

 

*Union régionale des professionnels de santé 

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