"Cherche excellent médecin (donc pas n'importe quel généraliste)" : les gens n'ont rien compris à ce qui se passe...

02/05/2023 Par Dre Marion Lagneau
Billet de blog
Les patients ont-ils saisi l'ampleur de la crise qui touche le monde de la santé ? A lire certaines petites annonces, ou à parcourir les réseaux sociaux on peut en douter, se désole la Dre Marion Lagneau dans son dernier billet de blog. Et si on arrêtait de taper sur les soignants et qu'on commençait à parler d'argent ?

    Ca commence aujourd’hui avec 2 annonces de recherche de médecin sur le réseau social de voisinage. Des messages que l’on rencontre de plus en plus fréquemment. Une attente … mais elle risque d’être déceptive. Et pourtant on n’est pas en désert médical:

  • Annonce 1 : cherche pour mes parents âgés (80) et souffrant naturellement de divers maux, un excellent médecin de famille, expérimenté et recommandé(Donc pas n’importe quel médecin généraliste) Le leur commence à être trop âgé aussi pour les suivre longtemps et correctement »
  • Annonce 2 : « Bonjour, mon médecin traitant étant en retraite, je cherche un bon généraliste qui soigne bien comme il faut pas un docteur qui donne juste du doliprane et terminer merci de me donner des contacts»

Ca continue ce soir, sur M6, avec l’émission « Hôpital : le combat des soignants pour sauver un système à bout de souffle » Petite promenade en fin d’émission sur Twitter et découverte des commentaires.. ça corrobore l’esprit des annonces vues ce jour : LES GENS NE SONT PAS PRETS- LES GENS N’ONT RIEN COMPRIS A CE QUI SE PASSE Pénurie de medecins, patients entassés dans des couloirs qui finissent par y mourir sans même avoir été vus par un soignant, et dans l’indifférence des voisins de brancards. Aides-soignants recrutés sans formation… Nous avions l’un des meilleurs système de santé au monde. Nous ne l’avons plus. Et ce n’est pas en tapant sur les médecins que nous le retrouverons de sitôt. Leur boulot porte la responsabilité de la santé voire de la vie des gens. Cela fait des années qu’il alertent sur leurs conditions de travail, leurs horaires à rallonge, la pénurie de soignants, et les mauvaises conditions de prise en charge des patients. Au lieu de taper sur les médecins, les patients (les usagers du système de soins dans leur ensemble) devraient se réveiller.
Au lieu de taper sur les médecins, les patients et les fiers bien-portants qui seront un jour malades mais qui pour l’instant critiquent sur Twitter, feraient mieux de se poser 2 questions:

  • Comment on en est arrivé là, qui est responsable ?
  • Pourquoi on ne trouve que des solutions merdiques, des intérimaires, des personnels non formés, des urgences obligées de fermer, des lits d’aval absents pour hospitaliser, d’ailleurs non pas du fait de l’absence de lit, mais du fait de l’absence de personnel soignants pour s’occuper des patients

;;... Parce que oui, on en est arrivé la et le problème n’est pas l’intérim. Le problème est une organisation catastrophique, un système mal organisé, pas centré patient ou médecin, mais centré administratifs. Qui a remarqué le bureaucrate de l’ARS bien cravaté interviewé à Draguignan qui pense que « la population a bien géré la fermetures des urgences de la ville », et qui n’est même pas au courant qu’un monsieur est mort dans la salle d’attente…. Les multiples problèmes ont été maladroitement abordés dans cette émission. La mise en lumière de l’intérim voulait en fait souligner la nullissime gestion du système, les salaires trop bas, les conditions de travail indignes, le manque de reconnaissance, la mise en cause des soignant auxquels on fait porter le poids de l’organisation catastrophique du système. C’est facile de critiquer. Mais aucun de ceux qui critiquent n’accepterait de telles conditions de travail. Ce n’est pas parce qu’on se consacre à la santé des autres que l’on doit accepter de travailler des heures sans pause, sans manger, sans dormir durant 24 heures d’affilée,  sans vie sociale  Les médecins et tout le personnel soignant restent humains, et aspirent autant que les autres à avoir une vie en dehors de leur travail.
Cela semble inacceptable à plein de commentateurs. Et nombreux sont ceux qui ont alors un mot à la bouche, ce mot phare « Hippocrate » Toutes les sauces hippocratiques leur semblent bonnes pour justifier que les médecins consacrent leur vie entière au service des patients (et prioritairement à leur service s’ils en ressentent le besoin, on suppose) Hippo a dit que l’humain doit passer avant l’argent, Hippo a dit que le médecin ne doit pas se laisser influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. Hippo prendrait une claque dans la gueule s’il savait que des médecins disent qu’après 15 ans d’étude ils ne veulent pas partir loin de leurs amis et de leur famille. Hippo dirait que la priorité serait de refaire l’éthique, la déontologie et de rappeler aux médecins leurs serment : faire passer l’humain (enfin les autres humains) avant eux, ne pas faire attendre les patients et surtout ne pas faire ce métier pour du fric.   Ah le fric. Sauf qu’il ne faut pas passer à côté de la VRAIE question : savoir pourquoi on en est à faire appel à des vilains intérimaires payés des fortunes, qui profitent du système. Pourquoi trouver normal de voir un médecin porter un service entier, et gagner 5000 euros, ce qui n’est pas le revenu d’un cadre de ce même niveau d’études et avec bien moins de responsabilités. Pourquoi être choqué de voir un médecin gagner 10000 euros par mois en intérim  alors qu’une  influenceuse gagne le double, et en poussant les gens à dépenser pour acheter des objets de consommation. Tous, d’une seule voix, de crier au scandale face à l’intérim. De crier au scandale quand l’infirmière refuse un poste où elle va gérer 10 ou 15 services seule alors qu’elle ne connait pas les patients.  Sans remarquer que la personne interviewée explique qu’elle travaille pratiquement tous les dimanches parce qu’elle est mieux payée. Et finalement ça arrange bien, ça permet aux personnel sur site de se reposer. Parce qu’ils en ont ras le bol d’être rappelés sur leurs jours de repos, sur leurs vacances, de faire des heures sup jamais payées, et des réunions hors sol avec les administratifs qui ne comprennent rien au soin. Pourquoi accabler ces soignants. Alors que c’est en fait le système qui est mal organisé. Alors que tous ceux à qui l’on offrirait l’opportunité de  travailler 2 fois moins et gagner 2 fois  plus ne se gêneraient pas s’ils pouvaient le faire dans leur profession. Travailler 100h par semaine pour 5 000€ ou travailler 40h par semaine pour 11 000€ ? Évidemment tout le monde choisirait l’option 2. Alors pourquoi quand c’est un médecin ça pose problème ? D’ailleurs,  si les salaires étaient meilleurs, les gens ne se tourneraient pas vers l’intérim. Et puis, s’ils sont capables de payer 2 à 4 fois + des intérim pourquoi ils ne le font pas directement avec leur salariés ? En tout état de cause, il semblerait que ça pose problème qu’on rémunère assez haut les médecins parce que les gens ont dans l’idée qu’être médecin implique que l’on soit OK pour faire du bénévolat ! Sauf que parler seulement d’argent c’est passer totalement à côté du vrai deal de la santé. Désormais, le problème auquel nous sommes confrontés pour de nombreuses années à venir c’est de soigner des patients alors que tout a été fait pour limiter le nombre de médecins, et oublier la forte croissance de population vieillissante et la forte demande de soins. Ce n’est pas en tapant sur le dernier maillon de la chaine que ça apportera une solution. Les soignants ne méritent pas d’être dédaignés. Il n’y a aucune raison valable de rabâcher qu’un médecin ou une infirmière ou une aide-soignante est formé pour accepter de bosser comme un chien, au-delà des heures légales,  pour un salaire de merde et en plus avec bonté, gentillesse, patience. Tous les soignants sont le dernier maillon d’une chaine dysfonctionnelle de prise en charge des malades et des demandes de soins. Cela les a éreintés, car jamais on n’a voulu améliorer leur sort, ni conditions de travail, ni salaire. Le désastre n’est pas venu en un jour, mais insidieusement. Il n’y a vraiment que ceux qui travaillent dans la santé qui ont compris cela ? Clairement, il faudrait que les patients atterrissent et saisissent le fond du problème, car actuellement, au vu de la la situation, on peut parfaitement comprendre le sentiment des médecins de pas être écoutés ni entendus.  Rejeter la faute sur les soignants alors que le problème est le manque de moyen pour la santé, c’est rester aveugle et continuer à laisser pourrir le système dans les années à venir. Public, comme privé.

La consultation longue à 60 euros pour les patients de plus de 80 ans et/ou handicapés est-elle une bonne mesure ?

A Rem

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Non

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