Deux fois moins chère et moins risquée : pourquoi l'Académie veut encourager la chirurgie au cabinet
Le 23 octobre dernier, l’Académie nationale de chirurgie a abordé en séance le sujet de la chirurgie hors bloc opératoire. Le Dr Frédéric Teboul, chirurgien de la main et du plexus brachial et membre de l’Académie, a été l’un des premiers médecins à l’exercer en France. Il explique à Egora les bénéfices de cette pratique encore trop peu utilisée.
Egora : Vous êtes l’un des premiers médecins à avoir pratiqué la chirurgie hors bloc opératoire, pourquoi vous y êtes-vous intéressé ?
Dr Frédéric Teboul : J’ai une patientèle qui vient de l’étranger ou de très loin. Comme ils viennent en avion, l’opération hors bloc opératoire leur permet de repartir dès le lendemain en avion. Alors que quand je les envoyais au bloc opératoire, il fallait voir l’anesthésiste, attendre cinq jours, les opérer, les revoir trois ou quatre jours après. Là, en l’occurrence, je les vois le soir même et s’ils sont bien, c’est déjà fini. C’est beaucoup plus pratique pour eux.
Combien de médecins pratiquent, aujourd’hui, la chirurgie hors bloc opératoire en France ?
Je ne pourrais pas donner de chiffres parce que c’est propre à chaque spécialité. On doit être deux ou trois en chirurgie de la main. Les gynécologues en font aussi, il y en a qui ont déjà commencé à faire des IVG en cabinet.
Cette pratique demande-t-elle des conditions particulières ?
Oui, il faut aménager une salle dédiée. On en a parlé à l’Académie nationale de chirurgie, parce que c’est justement tout le problème. Aujourd’hui, ce n’est pas encore normé. On s’est tous réunis avec les différentes spécialités, mais aussi avec des acteurs de la santé notamment la Cnam, la HAS, tous les organismes qui vont permettre de donner des accréditations.
Quels sont les avantages de ce type de chirurgie ?
Il y a trois points essentiels :
- Le premier, c’est beaucoup moins de stress pour le patient, parce qu’il ne passe pas au bloc opératoire. Il vient, il a mangé, il ne se déshabille pas. C’est une chirurgie "comme si on va chez le dentiste". C’est un confort pour le patient, avec un parcours beaucoup plus court. C’est aussi une anesthésie seulement locale donc il va pouvoir réutiliser sa main tout de suite, le bras n’est pas complètement endormi. L’auto-rééducation est immédiate, le patient sort en bougeant sa main.
- Le deuxième avantage est écologique et loin d’être négligeable. Quand on opère un patient en ambulatoire, on utilise beaucoup plus de matériels, beaucoup plus de champs opératoires, de compresses, d’installations… Ne serait-ce que mettre le patient en pyjama, l’installer dans un fauteuil. On a fait des calculs et on s’est aperçu que l’empreinte carbone était divisée par trois lorsqu’on l’opère hors bloc opératoire.
- Le troisième avantage est économique. À l’hôpital, si Madame X vient se faire opérer du canal carpien, la Sécurité sociale va verser une enveloppe à l’établissement de santé, qu’on appelle le GHS [Groupe homogène de séjour, NDLR]. En cabinet, on a négocié un GHS qui est de la moitié du GHS normal puisqu’il y a moins de personnels, on ne passe pas par les admissions, le bloc opératoire, la salle de réveil, les anesthésistes… C’est nous qui faisons l’anesthésie locale. Donc on a négocié un prix divisé par deux, mais ce n’est pas encore institutionnalisé.
Si on prend toutes les interventions de toutes les spécialités chirurgicales, à peu près 30% pourraient être faites en cabinet, mais sont finalement réalisées au bloc opératoire. Je pense qu’à l’heure actuelle, c’est un véritable problème puisque la Sécurité sociale est vraiment déficitaire. L’économie des opérations hors bloc opératoire se chiffre en termes de centaines de millions d’euros.
On est là pour apporter un confort aux patients, qui est certains, mais on n’est pas là pour prendre des risques
Si 30% des opérations pourraient se faire au cabinet, pourquoi sont-elles encore réalisées en bloc opératoire ?
C’est l’aventure du système français. Parmi les orateurs que j’avais invités à l’Académie nationale de chirurgie, il y avait le Dr Gilles Bontemps, médecin généraliste et directeur de mission à la Cnam. Il est tout à fait d’accord pour développer cette pratique, mais, il dit que pour ça, il faut passer par beaucoup de commissions notamment la HAS, la Direction générale de l'Offre de soins (DGOS), il y a beaucoup d’étapes administratives. On travaille dessus déjà depuis 2017. Et, il y a eu des avancées notables, puisqu’il y a des praticiens qui font de la chirurgie hors bloc opératoire.
Quels sont les types de chirurgies qui pourraient être réalisées hors bloc opératoire ?
Bien sûr, on ne pourra jamais faire de chirurgie cardiaque en cabinet. Actuellement, en chirurgie de la main, seules les interventions de niveau 1, celles qui touchent uniquement les parties molles et essentiellement le canal carpien qui sont opérées hors bloc opératoire.
Pour le reste, c’est surtout la chirurgie orthopédique, gynécologique, l’ORL, l’ophtalmologie et le vasculaire. À chacune des spécialités ensuite, de trouver son chemin et ses indications. Mais par exemple, le comité national professionnel en orthopédie s’est déjà prononcé en sa faveur de la chirurgie hors bloc opératoire, dans certaines conditions.
Tous les patients peuvent-ils être opéré hors bloc opératoire ?
Il faut sélectionner les patients. J’avais établi des critères extrêmement sélectifs, qui sont essentiellement l’âge, les comorbidités et les pathologies associées.
Un patient de 55 ans, sans antécédents, en bon état général peut. Je ne vais, en revanche, pas opérer une patiente de 85 ans, diabétique sous anticoagulants, hors bloc opératoire. Je vais avoir besoin de mon anesthésiste s’il y a un souci, un saignement, un problème de tension…
En moyenne, sur dix patients souffrant du canal carpien, il y en a trois qui sont éligibles à une chirurgie en cabinet et sept qui ne vont pas l’être parce que soit ils sont diabétiques, soit ils ont plus de 65 ans, soit ils ont des problèmes rénaux… On est là pour apporter un confort aux patients, qui est certains, mais on n’est pas là pour prendre des risques.
On n’est pas là pour faire perdre en termes de chances pour le patient
Le fait qu’il y ait moins de personnels hors bloc opératoire n’engendre-t-il pas justement un risque supplémentaire pour les patients ?
Non, parce qu’on a défini des normes de sécurité drastiques. Je prends l’exemple des implants dentaires, ce sont des interventions que la grande majorité des patients font en cabinet chez le stomatologue, hors bloc opératoire.
On a défini des caractères exclusifs où le patient est éligible à ce type de chirurgie, uniquement si on ne prend pas de risques supplémentaires pour lui. Les études – notamment réalisées aux Etats-Unis – prouvent qu’en termes de risques et de sécurité, on a moins d’infections des sites opératoires et moins de complications, ou dans tous les cas pas plus.
Comment cela s’explique ?
Quand un patient arrive au cabinet, il voit une personne et se fait opérer. En revanche, s’il va dans une clinique, il passe d’abord par les admissions, ensuite en ambulatoire, en salle de réveil, avec un anesthésiste, dans la salle d’opération, à nouveau en salle de réveil et en ambulatoire. On multiplie les contacts. Globalement 70% des infections sont exogènes, donc manuportées. Donc plus on a de contacts, plus on a de risques infectieux.
Est-ce que les médecins ont besoin d’une formation supplémentaire pour pouvoir opérer hors bloc opératoire ?
Non, l’opération reste la même. Il a autant d’outils en cabinet qu’au bloc opératoire. On n’est pas là pour faire perdre en termes de chances pour le patient.
Tous les médecins peuvent-ils pratiquer ce type de chirurgie, par exemple les généralistes ?
Non, c’est vraiment de la chirurgie. Une opération peut se compliquer, donc il faut savoir gérer les complications et prendre en charge le patient. Ce n’est pas parce qu’on fait l’opération en cabinet que c’est plus simple.
Quelle est la situation à l’étranger, la chirurgie hors bloc opératoire est-elle plus développée ?
Les Etats-Unis ont beaucoup plus d’avance que nous, puisque les médecins font déjà 30% de chirurgie en dehors du bloc opératoire. Plus généralement en Amérique du Nord, c’est fait de manière beaucoup plus large. Dans les pays anglo-saxons également, mais dans le reste de l’Europe beaucoup moins.
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