Chirurgie

Deux fois moins chère et moins risquée : pourquoi l'Académie veut encourager la chirurgie au cabinet

Le 23 octobre dernier, l’Académie nationale de chirurgie a abordé en séance le sujet de la chirurgie hors bloc opératoire. Le Dr Frédéric Teboul, chirurgien de la main et du plexus brachial et membre de l’Académie, a été l’un des premiers médecins à l’exercer en France. Il explique à Egora les bénéfices de cette pratique encore trop peu utilisée.

04/11/2024 Par Mathilde Gendron
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Egora : Vous êtes l’un des premiers médecins à avoir pratiqué la chirurgie hors bloc opératoire, pourquoi vous y êtes-vous intéressé ?

Dr Frédéric Teboul : J’ai une patientèle qui vient de l’étranger ou de très loin. Comme ils viennent en avion, l’opération hors bloc opératoire leur permet de repartir dès le lendemain en avion. Alors que quand je les envoyais au bloc opératoire, il fallait voir l’anesthésiste, attendre cinq jours, les opérer, les revoir trois ou quatre jours après. Là, en l’occurrence, je les vois le soir même et s’ils sont bien, c’est déjà fini. C’est beaucoup plus pratique pour eux.

 

Combien de médecins pratiquent, aujourd’hui, la chirurgie hors bloc opératoire en France ?

Je ne pourrais pas donner de chiffres parce que c’est propre à chaque spécialité. On doit être deux ou trois en chirurgie de la main. Les gynécologues en font aussi, il y en a qui ont déjà commencé à faire des IVG en cabinet.

 

Cette pratique demande-t-elle des conditions particulières ?

Oui, il faut aménager une salle dédiée. On en a parlé à l’Académie nationale de chirurgie, parce que c’est justement tout le problème. Aujourd’hui, ce n’est pas encore normé. On s’est tous réunis avec les différentes spécialités, mais aussi avec des acteurs de la santé notamment la Cnam, la HAS, tous les organismes qui vont permettre de donner des accréditations.

 

Quels sont les avantages de ce type de chirurgie ?

Il y a trois points essentiels :

  • Le premier, c’est beaucoup moins de stress pour le patient, parce qu’il ne passe pas au bloc opératoire. Il vient, il a mangé, il ne se déshabille pas. C’est une chirurgie "comme si on va chez le dentiste". C’est un confort pour le patient, avec un parcours beaucoup plus court. C’est aussi une anesthésie seulement locale donc il va pouvoir réutiliser sa main tout de suite, le bras n’est pas complètement endormi. L’auto-rééducation est immédiate, le patient sort en bougeant sa main.
  • Le deuxième avantage est écologique et loin d’être négligeable. Quand on opère un patient en ambulatoire, on utilise beaucoup plus de matériels, beaucoup plus de champs opératoires, de compresses, d’installations… Ne serait-ce que mettre le patient en pyjama, l’installer dans un fauteuil. On a fait des calculs et on s’est aperçu que l’empreinte carbone était divisée par trois lorsqu’on l’opère hors bloc opératoire.
  • Le troisième avantage est économique. À l’hôpital, si Madame X vient se faire opérer du canal carpien, la Sécurité sociale va verser une enveloppe à l’établissement de santé, qu’on appelle le GHS [Groupe homogène de séjour, NDLR]. En cabinet, on a négocié un GHS qui est de la moitié du GHS normal puisqu’il y a moins de personnels, on ne passe pas par les admissions, le bloc opératoire, la salle de réveil, les anesthésistes… C’est nous qui faisons l’anesthésie locale. Donc on a négocié un prix divisé par deux, mais ce n’est pas encore institutionnalisé.

Si on prend toutes les interventions de toutes les spécialités chirurgicales, à peu près 30% pourraient être faites en cabinet, mais sont finalement réalisées au bloc opératoire. Je pense qu’à l’heure actuelle, c’est un véritable problème puisque la Sécurité sociale est vraiment déficitaire. L’économie des opérations hors bloc opératoire se chiffre en termes de centaines de millions d’euros.

On est là pour apporter un confort aux patients, qui est certains, mais on n’est pas là pour prendre des risques

Si 30% des opérations pourraient se faire au cabinet, pourquoi sont-elles encore réalisées en bloc opératoire ?

C’est l’aventure du système français. Parmi les orateurs que j’avais invités à l’Académie nationale de chirurgie, il y avait le Dr Gilles Bontemps, médecin généraliste et directeur de mission à la Cnam. Il est tout à fait d’accord pour développer cette pratique, mais, il dit que pour ça, il faut passer par beaucoup de commissions notamment la HAS, la Direction générale de l'Offre de soins (DGOS), il y a beaucoup d’étapes administratives. On travaille dessus déjà depuis 2017. Et, il y a eu des avancées notables, puisqu’il y a des praticiens qui font de la chirurgie hors bloc opératoire.

 

Quels sont les types de chirurgies qui pourraient être réalisées hors bloc opératoire ?

Bien sûr, on ne pourra jamais faire de chirurgie cardiaque en cabinet. Actuellement, en chirurgie de la main, seules les interventions de niveau 1, celles qui touchent uniquement les parties molles et essentiellement le canal carpien qui sont opérées hors bloc opératoire.

Pour le reste, c’est surtout la chirurgie orthopédique, gynécologique, l’ORL, l’ophtalmologie et le vasculaire. À chacune des spécialités ensuite, de trouver son chemin et ses indications. Mais par exemple, le comité national professionnel en orthopédie s’est déjà prononcé en sa faveur de la chirurgie hors bloc opératoire, dans certaines conditions.

 

Tous les patients peuvent-ils être opéré hors bloc opératoire ?

Il faut sélectionner les patients. J’avais établi des critères extrêmement sélectifs, qui sont essentiellement l’âge, les comorbidités et les pathologies associées.

Un patient de 55 ans, sans antécédents, en bon état général peut. Je ne vais, en revanche, pas opérer une patiente de 85 ans, diabétique sous anticoagulants, hors bloc opératoire. Je vais avoir besoin de mon anesthésiste s’il y a un souci, un saignement, un problème de tension…

En moyenne, sur dix patients souffrant du canal carpien, il y en a trois qui sont éligibles à une chirurgie en cabinet et sept qui ne vont pas l’être parce que soit ils sont diabétiques, soit ils ont plus de 65 ans, soit ils ont des problèmes rénaux… On est là pour apporter un confort aux patients, qui est certains, mais on n’est pas là pour prendre des risques.

On n’est pas là pour faire perdre en termes de chances pour le patient

Le fait qu’il y ait moins de personnels hors bloc opératoire n’engendre-t-il pas justement un risque supplémentaire pour les patients ?

Non, parce qu’on a défini des normes de sécurité drastiques. Je prends l’exemple des implants dentaires, ce sont des interventions que la grande majorité des patients font en cabinet chez le stomatologue, hors bloc opératoire.

On a défini des caractères exclusifs où le patient est éligible à ce type de chirurgie, uniquement si on ne prend pas de risques supplémentaires pour lui. Les études – notamment réalisées aux Etats-Unis – prouvent qu’en termes de risques et de sécurité, on a moins d’infections des sites opératoires et moins de complications, ou dans tous les cas pas plus.

 

Comment cela s’explique ?

Quand un patient arrive au cabinet, il voit une personne et se fait opérer. En revanche, s’il va dans une clinique, il passe d’abord par les admissions, ensuite en ambulatoire, en salle de réveil, avec un anesthésiste, dans la salle d’opération, à nouveau en salle de réveil et en ambulatoire. On multiplie les contacts. Globalement 70% des infections sont exogènes, donc manuportées. Donc plus on a de contacts, plus on a de risques infectieux.

 

Est-ce que les médecins ont besoin d’une formation supplémentaire pour pouvoir opérer hors bloc opératoire ?

Non, l’opération reste la même. Il a autant d’outils en cabinet qu’au bloc opératoire. On n’est pas là pour faire perdre en termes de chances pour le patient.

 

Tous les médecins peuvent-ils pratiquer ce type de chirurgie, par exemple les généralistes ?

Non, c’est vraiment de la chirurgie. Une opération peut se compliquer, donc il faut savoir gérer les complications et prendre en charge le patient. Ce n’est pas parce qu’on fait l’opération en cabinet que c’est plus simple.

 

Quelle est la situation à l’étranger, la chirurgie hors bloc opératoire est-elle plus développée ?

Les Etats-Unis ont beaucoup plus d’avance que nous, puisque les médecins font déjà 30% de chirurgie en dehors du bloc opératoire. Plus généralement en Amérique du Nord, c’est fait de manière beaucoup plus large. Dans les pays anglo-saxons également, mais dans le reste de l’Europe beaucoup moins.

Approuvez-vous la décision de rendre obligatoire une prescription pour les médicaments anti-rhume à base de pseudoéphédrine ?

Frederic Limier

Frederic Limier

Oui

Il est grand temps de réaliser qu’un pharmacien n’a aucune compétence pour soigner, n’ayant, pendant ses études, jamais vu un mala... Lire plus

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7,2 k points
Débatteur Passionné
Anesthésie-réanimation
il y a 1 mois
En dehors de ma réponse un tantinet sarcastique à P.Precheron et de ma critique de la déclaration d'un autre âge et d'un autre monde de notre confrère F.Teboul, qui semble-t-il est un spécialiste reconnu et tout en étant conscient que la chirurgie du canal carpien n'est pas la chirurgie carcinologique... (ouf, quel long préambule), la chirurgie au cabinet est aussi une façon d'échapper au regard des autres confrères. Je suis bien d'accord que cette chirurgie n'impose pas des réunions multidisciplinaires et/ou RCP, mais une des dernières publications de Prescrire* montre que les discussions ne sont pas encore tranchées sur l'intérêt de la chirurgie par rapport aux infiltrations de corticoïdes et du port d'une attelle dans ce syndrome s'il n'est pas compliqué d'un déficit sensitif ou moteur du nerf médian ou d'une atrophie de l'éminence thénar . Dans ces conditions on est aussi en droit de se poser la question de la nécessité de réviser la nomenclature pour ce type de chirurgie. Intéressant non?
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275 points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 1 mois
Ce débat est intéressant, malheureusement l’interview csest limité à un exercice très particulier, puisque le docteur Touboul a une clientèle qui n’est pas celle que l’on va retrouver dans les activités chirurgicales pour des patients résidants en France. Il y a plusieurs commentaires qui peuvent alimenter la réflexion. Premièrement, il s’agit d’un retour au statu quo ante dans un contexte de contraintes de toutes sortes. Beaucoup de petits actes chirurgicaux se pratiquaient au cabinet avant que les différents organismes en poupées gigognes, qui nous coûtent une blinde n’interdisent qui la chirurgie esthétique, c’est-à-dire la liposuccion qui la greffe des cheveux qui les résections cutanées, etc. Encore une fois ces organismes ont fait beaucoup de mal à la Medecine et en particulier à la Chirurgie, en ne laissant pas le professionnel décider, ils ont fait comme d’habitude du principe de précaution à donf, et bien sûr provoqué une explosion des couts. Deuxièmement, les Chirurgiens Médecins sont très en retard sur les chirurgiens Dentiste, ces derniers font des interventions importantes en particulier les implants ou il faut disposer d’un minibloc et surtout ou le risque infectieux doit être réduit au maximum. Ils y arrivent tres bien Troisièmement s’agissant de la Chirurgie Vasculaire, presque toute la chirurgie des veines superficielles peut être faite au cabinet. Cela impose évidemment une exigence technique de perfection et l’organisation des suites postopératoires de manière précise. Mais il y a aussi une autre intervention qui peut se passer du bloc opératoire, il s’agit des gestes endovascultures sur les artères des membres inférieurs en particulier. Certes, il faut une imagerie avec toutes les autorisations que cela suppose, mais les prix de ces équipements ont baissé. Encore une fois ces Patients séjournent souvent pour rien jusqu’au lendemain. Ils occupent aussi des places de chirurgie ambulatoire alors que ce n’est pas nécessaire notamment au regard des dispositifs de fermeture Vasculaire actuels. Quatrièmement, et c’est là que l’interview est très intéressant, on voit bien que la technostructure du système de soins n’a plus aucun contact avec la réalité. Commencer des discussions depuis 2017, alors que nous sommes en 2024 et bientôt en 2025 sans que nous ayons la moindre vision d’un agenda où on pourrait préparer un investissement et une activité de cette sorte, c’est tout simplement l’image complète de la France étatisée. Il faut assouplir tous ces règlements, il faut simplifier la technostructure, il faut faire confiance aux chirurgiens et aux Français.
Photo de profil de Jean-Marc Juvanon
1,3 k points
Débatteur Passionné
Oto-rhino-laryngologie
il y a 1 mois
Tres amusant, la proposition de ce cher professeur, dont on ignore les dépassements qu'il appliquait à ses actes. Il est évident que dans l'état actuel de la nomenclature, il est illusoire de pratiquer la chirurgie en cabinet (l'ancienne "chirurgie sur un coin de table") Respect des normes d'asepsie, emploi de personnel qualifié, matériel de réanimation au cas où, locaux adaptés, etc. A moins de le faire à fonds perdus. On aimerait savoir comment il a "négocié" un GHS qui est de la moitié du GHS normal. Petit arrangement entre amis? Bref, la chirurgie en appartement parisien, pour clients fortunés venant de l'étranger en avion et repartant le jour meme, est une exception, absolument intransposable pour le chirurgien "normal". Mais c'est bon de rire au moins une fois par jour.
 
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