
Etude sur la téléconsultation en France : un miroir partiel d’une médecine en mutation
[CHRONIQUE] Alors que la téléconsultation s’ancre durablement dans le paysage médical français, Doctolib a publié cette semaine une étude fondée sur plus de cinq millions d’actes analysés en 2024. Si l’entreprise y dresse un tableau prometteur, Rémy Teston, consultant digital et expert e-santé pour Buzz e-santé, en décrypte les enseignements et en interroge les limites. Derrière les chiffres flatteurs, quels usages réels, quels bénéfices concrets — et quelles zones d’ombre ?

Doctolib signe une nouvelle publication sur les usages de la téléconsultation en 2024, fondée sur l’analyse de 5,1 millions d’actes médicaux réalisés via sa plateforme. Derrière cette masse de données, l’entreprise souhaite offrir un “panorama inédit” des usages en médecine de ville, tout en participant à la réflexion collective sur les transformations du système de soins. L’intention est louable, et certains enseignements sont indéniablement intéressants. Mais comme souvent avec les études issues d’acteurs privés, la lecture des résultats mérite un peu de recul.
La première tendance confirmée par Doctolib est l’enracinement durable de la téléconsultation dans les pratiques médicales. Loin d’être une réponse provisoire à la crise sanitaire, elle s’est intégrée dans les habitudes, notamment en psychiatrie (où elle représente 20,3 % des actes), en médecine générale (8,1 %) et en pédiatrie (5,1 %). Cette stabilisation montre que l’outil a trouvé sa place, en particulier pour le suivi de patients déjà connus. Mais au-delà de ces moyennes, les usages restent très inégaux selon les disciplines et surtout en léger recul par rapport à 2022.
Autre apport significatif : la téléconsultation permet un accès plus rapide aux soins, un argument de poids dans un contexte de tension généralisée sur les rendez-vous médicaux. En médecine générale comme en pédiatrie, plus de 60 % des téléconsultations ont lieu dans les 48 heures suivant la demande. Ce gain de réactivité est réel, et peut répondre efficacement à certaines demandes urgentes ou à des consultations de suivi.
Là où l’on aurait espéré que la technologie pallie le désert médical, elle semble au contraire reproduire les fractures existantes
L’étude pointe aussi des évolutions dans la façon d’organiser l’activité médicale. Les consultations à distance, souvent plus courtes, peuvent permettre une meilleure gestion du temps, sans pour autant dénaturer la relation de soin. Les témoignages de praticiens intégrés au rapport soulignent d’ailleurs que la qualité de l’échange n’est pas forcément altérée, à condition que la téléconsultation soit bien ciblée et qu’elle s’inscrive dans un parcours de soins cohérent.
Mais certains constats invitent à la vigilance. L’usage reste encore très concentré : les jeunes adultes urbains sont les principaux utilisateurs, tandis que les personnes âgées (pourtant plus exposées à la fragilité) y ont bien moins recours. De même, les zones médicalement sous-dotées, qui auraient le plus à gagner de la téléconsultation, ne sont pas celles où elle est la plus pratiquée. Là où l’on aurait espéré que la technologie pallie le désert médical, elle semble au contraire reproduire les fractures existantes. Doctolib en est conscient et pose la question ouvertement : comment faire en sorte que cet outil bénéficie davantage aux territoires en tension ?
Enfin, si l’étude évoque un effet positif sur la capacité des praticiens à accueillir de nouveaux patients, elle reste prudente quant aux implications plus larges sur la qualité ou la continuité des soins. De nombreux sujets restent à explorer : comment éviter les ruptures de parcours ? La téléconsultation peut-elle être un levier d’équité ou risque-t-elle de creuser davantage les écarts ? Ces questions dépassent les chiffres et appellent à des analyses indépendantes et transversales.
En somme, cette étude de Doctolib constitue une base utile pour appréhender les usages actuels de la téléconsultation. Elle confirme que cette pratique s’est installée dans le paysage médical, qu’elle peut répondre à des besoins concrets, et qu’elle mérite d’être intégrée avec discernement. Mais elle ne saurait clore le débat. Car si la technologie ouvre de nouvelles perspectives, c’est bien le cadre collectif (éthique, médical, territorial) qui déterminera si ces outils servent réellement à mieux soigner. Oui, la téléconsultation a sa place dans l’arsenal des soins modernes. Oui, elle peut répondre à des besoins concrets et améliorer certaines situations d’urgence ou de suivi. Mais pour mesurer son réel impact, il faudra des études indépendantes, un vrai débat public et une régulation adaptée. En attendant, la prudence reste de mise : la santé ne doit pas devenir un marché comme un autre. Même derrière une interface ergonomique et des statistiques rassurantes.
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