"On a parfois l’impression d’être moins écoutés que les étudiants en médecine" : les confidences du Doyen des doyens
Avec lui, tout est une affaire de transmission. Professeur d’anesthésie-réanimation depuis près de 30 ans, Benoît Veber, qui préside désormais la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine, est un interlocuteur phare pour le Gouvernement. Que ce soit au CHU de Rouen, où il exerce et enseigne toujours avec passion, ou au niveau national, il s’attache à accompagner la nouvelle génération dans cette noble voie qu’est la médecine, s’efforçant de comprendre ses attentes sans céder au conflit générationnel. Nous l’avons rencontré début septembre, à Sorbonne Université, en marge de la conférence de presse de rentrée de la Conf’.
Benoît Veber n’aime pas parler de lui. Il le reconnaît avec un sourire discret : "Je n’en ai pas l’habitude." Calé dans le fond de sa chaise, il a toutefois accepté de se prêter au jeu du portrait. Lui, son truc, c’est de causer des réformes : celle de la Paces, du concours de l’internat, sans oublier la 4e année de médecine générale, qui a fait couler beaucoup d’encre mais est désormais sur les rails. Avec près de 30 années d’enseignement à son actif, il maîtrise ces sujets, et nous ne le connaissons d’ailleurs qu’à travers eux. Depuis mars 2023, il préside la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine. Il en est "l’émanation", le "porte-parole", aime-t-il à dire. "Nous sommes incontournables, car nous faisons tourner les facs. Sans nous, les pouvoirs publics ne pourraient pas mettre en place les réformes qu’ils voudraient", défend-il, après avoir tenu sa deuxième conférence de presse de rentrée en tant que président.
Endosser ce rôle de Doyen des doyens, Benoît Veber ne l’avait pas imaginé lorsqu’il s’est lancé dans les études de médecine à la faculté Cochin, à Paris. Tout juste sorti de l’adolescence, il rêvait surtout de pratiquer : "Je voulais être médecin, c’est ça qui a été mon fil conducteur, c’est ça qui me plaisait." Il en avait eu un avant-goût alors qu’il n’avait que 16 ans. Scout, il s’était porté volontaire pour devenir le secouriste de son équipe. "J’ai fait une formation durant deux soirées à la Croix-Rouge des Hauts-de-Seine. Mais les médecins bénévoles m’ont dit que si je souhaitais être capable de faire quelque chose, il fallait que je pratique. Ils m’ont proposé d’intégrer le réseau de secours primaire." Le lycéen accepte volontiers. "À l’époque, les ambulances de la Croix-Rouge répondaient aux appels de secours sur le 17. On prenait en charge les accidents de voiture, les malaises à domicile… On faisait des permanences – l’équivalent des gardes", se souvient-il avec la même fougue qui l’habitait alors.
J’ai adoré mes études
Benoît Veber est fasciné par les médecins qu’il voit en intervention. "Ces hommes en blanc faisaient des choses incroyables !" Quand l’heure de faire un choix de carrière a sonné, c’est sans hésitation que le bachelier passionné de biologie a annoncé à ses parents : "Je serai médecin !" "Ils ont eu un regard très positif sur ma décision." Sa sœur aînée et son cousin germain avaient déjà fait ce choix quelques années plus tôt, mais "je ne crois pas qu’ils aient été mes modèles", estime Benoît Veber. "C’est une histoire assez personnelle." Il redouble sa première année mais ne renonce pas, et finit par décrocher son ticket gagnant. "J’ai adoré mes études, confie-t-il. Je n’ai pas du tout un vécu douloureux, il y avait beaucoup de bienveillance de la part des enseignants." "Je n’ai pas de souvenir de fêtes effroyables comme on en a parlé aujourd’hui", tient-il à ajouter après avoir été interpellé, plus tôt dans l’après-midi, sur les récentes affaires de viols et d’agressions sexuelles qui ont rouvert le dossier du bizutage en médecine.
Pressé de retourner dans le feu de l’action – comme quand il était scout, mais aussi pour arrondir ses fins de mois, le carabin prend un petit job l’été. "Je conduisais les ambulances du Smur Beaujon et j’ai adoré ça ! Quand on a 22 ans et qu’on conduit une ambulance qui fait pin-pon, c’est sympa, s’esclaffe-t-il… Au-delà du fait qu’on sauvait des gens bien sûr…" En octobre 1985, lorsqu’il passe le concours de l’internat, Benoît Veber se classe très bien à Lyon et dans les 300 premiers à Paris. Il choisit de rester dans la capitale, où il a rencontré sa future épouse, interne en pharmacie. Le premier stage était un stage indifférencié. "On commençait l’internat en novembre, les profs n’avaient pas le temps de corriger les copies du concours. Alors au premier semestre, on tirait au sort une lettre, et on choisissait notre stage par ordre alphabétique. La lettre tirée était le B, ça vous laisse imaginer le choix que j’avais…" Pour lui, ce sera "longs séjours" ou anesthésie à Bichat (AP-HP). Un ancien chef scout, médecin dans cet hôpital, lui conseille d’opter pour l’anesthésie. "Voilà comment je suis arrivé dans la discipline", sourit Benoît Veber.
Le néo-interne accroche tout de suite avec la discipline, "polyvalente" et éminemment "humaine" bien que les patients soient souvent endormis. "Une médecine dont on voit les résultats rapidement." Très vite, le Pr Jean-Marie Desmonts, chef du service, le prend sous son aile : "Il m’a permis d’avancer dans cette spécialité", assure Benoît Veber, reconnaissant. Après l’internat, il intègre d’ailleurs son service comme praticien hospitalier. C’est là qu’il rencontre le Pr Bertrand Dureuil, agrégé, à qui l’on propose de prendre la tête du service d’anesthésie-réanimation du CHU de Rouen : il pense à Benoît Veber pour constituer un binôme solide. Ce dernier se voit confier la réanimation chirurgicale du service en novembre 1995, "avec la perspective, si je bossais bien, d’être nommé professeur d’anesthésie réanimation à l’université de Rouen Normandie". Statut qu’il obtiendra deux ans plus tard, à seulement 37 ans. "Assez jeune", commente-t-il, le ton très posé, comme à l’accoutumé.
J’aime mon métier et j’ai eu envie de le transmettre
Benoît Veber fait son petit bonhomme de chemin à Rouen, ville aux 100 clochers, où il a un exercice prédominant en réanimation. Il se présente d’ailleurs comme "réanimateur-anesthésiste" et non l’inverse. Alors que Bertrand Dureuil s’investit sur le côté hôpital, lui se passionne pour l’enseignement et la pédagogie. "Nous formions un binôme très complémentaire", songe le Doyen des doyens, indiquant que son "grand ami" est désormais à la retraite. Il coordonne dès 2002 la commission recherche du CHU puis prend la direction du second cycle des études médicales à la faculté, de 2005 à 2009. En parallèle, il assume la casquette de responsable de la formation des médecins urgentistes, le Samu étant intégré au département d’anesthésie.
Quand le chef du service des urgences part en 2008, on propose à Benoît Veber de prendre sa place. "Jusqu’en 2013, j’ai assumé la double coordination du service de réanimation et du service des urgences du CHU. C’était une période chargée, mais passionnante, avec beaucoup de gestion humaine." A l’époque, il est également coordinateur des Diplômes d'études spécialisées complémentaires (DESC) de médecine d’urgence et d’anesthésie-réanimation pour l’inter-région Nord-Ouest (Lille, Amiens, Rouen, Caen), en plus d’enseigner. Un investissement à 100%. "J’aime mon métier et j’ai eu envie de le transmettre, comme Jean-Marie Desmonts et Bertrand Dureuil m’ont montré la route. On a un métier qui ne peut s’apprendre sans passer par une phase de compagnonnage : des gens m’ont accompagné, c’est agréable d’accompagner à mon tour les plus jeunes", confie-t-il.
Aucun de ses trois enfants n’a souhaité se lancer dans des études de médecine, à son grand regret : "J’aurais bien aimé les accompagner, mais ils sont heureux et je suis un père comblé, s’accommode le médecin. Et qui sait, ça sautera peut-être une génération ?"
De 2009 à 2019, il seconde le doyen de faculté de Rouen – "dix belles années au contact des étudiants". Durant cette période, en passionné de challenges, il s’attache à mettre en place des réformes, comme l’enseignement par la simulation. Premières d’une longue série. "En toute logique", il succède au doyen en 2019. "C’était une filiation quelque part. Je connaissais parfaitement le fonctionnement de la fac." Il s’investit alors au sein de la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine, et se retrouve chargé de mission pour la réforme du troisième cycle des études de médecine (R3C) par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Mesri). "Raison pour laquelle, quand Didier Samuel est devenu président de la Conférence, il m’a proposé d’être son vice-président : lui ayant une très forte coloration recherche, moi une coloration très enseignement."
En mars 2023, quand Didier Samuel démissionne pour prendre la tête de l’Inserm, Benoît Veber est élu président en binôme avec le Pr Bruno Riou, "avec qui nous sommes très complémentaires" : "l’un Parisien, l’autre provincial". L’un plutôt cash, l’autre plus posé. Lors de sa première année de présidence, sa "principale préoccupation mais aussi d’attention" a été la réforme du deuxième cycle (R2C) des études médicales : "Il a fallu faire des arbitrages, porter toutes les facs, encourager les doyens qui avaient encore des doutes." Pour décompresser et se recentrer, Benoît Veber se rend à la piscine deux fois par semaine pour faire de l’apnée : "C’est un moment à moi, où je me concentre. J’ai un métier qui nécessite du calme et de la sérénité."
On a une expertise à faire valoir
Alors que vient de se terminer la deuxième édition des EDN, Benoît Veber se montre satisfait du travail entrepris : "C’est une réforme éminemment pédagogique, loue-t-il, convaincu. Elle a permis de rééquilibrer les choses entre les connaissances et les compétences."
"Avant, je voyais des internes de premier semestre arriver dans mon service : ils avaient été bien classés aux ECN, ils avaient des connaissances, mais ils étaient gauchers des deux mains !", souligne le doyen de Rouen, en réajustant les manches de sa veste. C’est pourquoi, "20% du programme" a été gommé. "Et je pense qu’on peut encore en enlever." A aussi été introduite l’évaluation de la compétence, via les Ecos. "Je trouve ça satisfaisant de voir que des étudiants qui ne sont pas parfaits en termes de connaissances ont gagné des places en compétences, cela veut dire qu’ils ont un vrai savoir-faire. Ce n’est pas parce qu’on est premier [au concours de] l’internat qu’on sera un bon médecin… Cette réforme a forcé les étudiants à se pencher sur leur savoir-faire et leur savoir-être", défend Benoît Veber.
Pour les syndicats étudiants, toutefois, cette réforme a été bâclée. Et cette évaluation des compétences, bien que noble sur le papier, a comporté son lot de dysfonctionnements et d’injustices. "Les étudiants ont exprimé une défiance vis-à-vis des enseignants sur leurs capacités à les évaluer, ce que nous n’avons pas pu valider : nous sommes quand même des professionnels... Dire que l’on note à la tête du client, c’est difficile à avaler pour nous", déplore Benoît Veber, le visage plus fermé. Celui-ci regrette que la parole ait été peu donnée aux doyens : "Je pense que le ministère a arbitré en faveur des étudiants dans un souci d’apaisement. C’est sûr que les doyens ne vont pas se mettre en grève…", lâche-t-il. "De temps en temps on a l’impression que les étudiants sont plus écoutés que les doyens. C’est évidemment un ressenti, il faut le pondérer, mais j’aimerais que notre poids soit au moins équivalent."
Réajustant ses lunettes rondes, le Doyen des doyens se montre un peu irrité. "C’est vrai je râle de temps en temps parce que les représentants nationaux défendent des positions qui ne sont pas les miennes, et c’est normal, c’est leur job. Ils sont dans une posture et nous devons nous aussi tenir nos objectifs, cela ne veut pas dire qu’on n’essaie pas d’avoir des relations apaisées et constructives", assure-t-il. Et de poursuivre : "Mais ce que je voudrais dire quand même, c’est que j’ai 64 ans, j’exerce la médecine depuis 1985, j’enseigne depuis près de 30 ans. J’ai une certaine expérience qu’un étudiant en 3e année, président de l’Anemf, qui n’a jamais vu de malades, n’a pas. C’est un peu difficile pour les doyens de voir que la représentation nationale ne reconnaît pas cette expertise. Cela ne veut pas dire qu’on sait tout ni qu’il faut reproduire ce que notre génération a vécu, mais on a une expertise à faire valoir."
Benoît Veber l’affirme, quand il s’exprime ainsi, il "ne prend pas [les jeunes] de haut". "J’aime ce lien avec cette jeunesse, soutient le professeur d’anesthésie-réanimation. Beaucoup d’étudiants ne sont pas dans des postures dogmatiques et sont là pour apprendre leur métier, ils le font avec beaucoup de sympathie et de bonheur." Le Doyen des doyens constate néanmoins un choc des générations, inévitable à ses yeux. "Evidemment qu’ils me considèrent un peu ‘du passé, même si je suis toujours actif", plaisante-t-il. "C’est évident que les générations se suivent et ne s’organisent pas de la même façon – probablement que j’ai fait pareil avec mes aînés. L’important, c’est qu’on ait le sens de la mission", considère le professeur, qui affirme ne pas se retrouver dans le discours "C’était mieux avant".
Cela ne l’empêche pas d’être parfois dérouté. "Les étudiants sont beaucoup plus dans un fonctionnement horizontal. Moi, je ne savais même pas qu’il y avait un doyen quand j’étais à leur place. Eux nous écrivent directement par mail, en disant ‘cordialement’ et en faisant éventuellement une faute d’orthographe à notre nom, ironise-t-il. Certains nous écrivent pour dire qu’ils ne sont pas d’accord avec leur note. Jamais je n’aurais osé faire ça : si j’avais une mauvaise note, c’est parce que je n’avais pas assez bossé et je retournais travailler." Une façon de faire qu’il désapprouve. "Même si j’aime beaucoup mes étudiants, certains ont une faible capacité à se remettre en cause." Il s’inquiète aussi de l’absence de "sens du collectif" chez certains : "Nous on était moins nombreux, on mettait 1h pour remplir le tableau de garde, eux sont obligés de tirer au sort les dimanches…"
Je ne suis pas prêt à raccrocher la blouse.
"La seule chose que je leur souhaite, c’est de se lever tous les matins et d’être contents d’aller au boulot", confie Benoît Veber, le regard soudain flamboyant. "C’est pour ça que je les encourage à bosser pour se classer correctement aux EDN, parce que ça va impacter les 40 prochaines années de leur vie. Quand on fait un choix de carrière positif, on peut supporter les contraintes", certifie le doyen. Ce dernier se montre toutefois admiratif devant l’énergie de cette nouvelle génération : "Elle fourmille de vie, elle a besoin de s’approprier les concepts, les réformes, pour les mener. Il faut l’accompagner dans ce sens." A la fin de son mandat, en mars 2025, Benoît Veber ne compte pas les lâcher. "Je passerai le flambeau à la Conf’ mais mon métier de doyen de Rouen* et de médecin se poursuivra. Je ne suis pas prêt à raccrocher la blouse."
Le faire le temps des vacances est largement suffisant. "Quand je suis revenu de congés en août, des étudiants qui étaient en stage dans mon service avaient encore deux semaines à faire. L’un d’eux m’a sorti : ‘Monsieur, le stage est bientôt fini, est-ce que vous ne voudriez pas qu’on recommence ? J’étais ravi !", jubile le Doyen des doyens. Nul doute que dans sa tête, la réponse, c’était évidemment "oui"…
*il a été réélu en juin dernier pour un mandat de cinq ans
Bio express :
24 mars 1960 : naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
1989 : passe sa thèse de médecine
1996 : est nommé membre de la Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar)
Septembre 1997 : est nommé Professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH)
Juin 2019 : est élu doyen de la faculté de Rouen Normandie
7 mars 2023 : est nommé président de la Conférence nationale des doyens
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