Pénurie de médecins : "Il faut une coercition douce et consentie"

Egora.fr : Vous êtes l'auteur d'une proposition de loi visant à "rétablir l'équité territoriale en matière d'accès aux soins : agir avant qu'il ne soit trop tard". L'une de vos solutions est d'introduire la coercition. Des dizaines de propositions de loi limitant la liberté d'installation ont déjà été déposées et toutes ont été rejetées. En quoi votre texte est-il différent ?
Bruno Rojouan : C'est vrai que ce sujet a été X fois traité, mais il l'a toujours été par la commission des Affaires sociales. Cette commission a, en général, une dominante de représentativité des professionnels de santé. Le milieu médical y siège beaucoup. Et les propositions se heurtaient au dilemme de ces députés et sénateurs médecins. Ils étaient dans un certain corporatisme. Les mesures coercitives ne passaient donc pas. La puissance de l'Ordre et des syndicats médicaux a toujours joué un jeu qui était de dire qu'il fallait garder la sacrosainte liberté d'installation du médecin.
De mon côté je n'ai rien à voir avec le milieu médical et c'est la commission Aménagement des territoires, dont je fais partie, qui a pris le texte. On passe donc du milieu médical à la vision des maires de France et au point de vue des usagers, plutôt que celui des médecins. On se positionne du côté des patients. C'est un élément majeur.
Et de votre côté vous pensez que cette "sacrosainte liberté d'installation du médecin" n'a plus raison d'être…
Non, effectivement. Et pourtant notre texte ne va pas jusque-là non plus. Il faut emmener tout le monde dans le même bateau sur les options de ces territoires. Je propose une autre vision beaucoup plus coercitive. Nous avions une politique uniquement incitative jusque-là. L'idée est donc de passer de mesures uniquement incitatives à des mesures coercitives. Dans les 10 années qui viennent, le pire est devant nous. Six millions de Français n'ont actuellement plus de médecin traitant, mais cela va encore augmenter.
Il faut donc une coercition douce et consentie. Les temps ont aussi changé dans les états d'esprit. Pour ce texte, j'ai auditionné beaucoup de monde : les syndicats de médecins, l'Ordre, les doyens de facultés…Eux aussi ont changé. Il y a 5 ans, ils n'étaient pas prêts à accepter des propositions coercitives. Aujourd'hui, ils y sont prêts.
Ça n'est pas ce qu'ils disent dans la presse…
Ils sont conscients qu'on ne peut pas laisser le pays aller à vau-l'eau. On estime qu'il y a 1,7 million de Français qui ne sont plus soignés. Quand on découvre les problèmes de santé trop tard, on rentre directement dans des traitements lourds et cela met en danger la vie du patient. Il y a une prise de conscience là-dessus.
Vos proposez dans votre texte que les médecins ne puissent s'installer dans une zone sur-dotée qu'en cas de départ d'un médecin déjà installé, mais y a-t-il vraiment des zones sur-dotées en France ?
Il y en a quelques-unes, notamment sur le littoral, dans les villes touristiques ou dans certains arrondissement de Paris.
De toute façon, il n'y a pas de mesures aujourd'hui qui puissent permettre de retrouver le nombre de médecins nécessaires. C'est pour cela que je pense qu'il faut diminuer le temps administratif des praticiens avec l'aide des assistants médicaux par exemple. L'objectif est qu'ils passent d'une patientèle de 1.200 patients à 2.500. Il faut donc organiser le système de manière différente. Il n'y a pas que le médecin. L'infirmier ou le pharmacien peut devenir prescripteur. Il faut pouvoir accéder aux spécialistes sans passer par le généraliste.
Vous parlez aussi dans votre texte de conventionnement sélectif temporaire, de quoi s'agit-il ?
Le temporaire nous permet de faire passer un peu la pilule. Cela pondère l'idée qu'il s'agit d'un conventionnement sélectif définitif parce...
D'accord, pas d'accord ?
Débattez-en avec vos confrères.