"Chers Patients, notre système de santé brûle et vous regardez ailleurs"

"Chers Patients,
Je veux vous écrire cette lettre pour vous informer de ce qu’il est en train de se passer… mais aussi pour vous poser un certain nombre de questions.
A toi la patiente venue sans moyen de règlement, qui devais revenir « sans faute » me payer mes honoraires et que j’attends encore…
…penses-tu sincèrement que ton attitude est respectueuse de mon travail ?
A toi la patiente venue avec ta liste de courses et qui es partie furieuse parce que j’ai refusé de te prescrire des médicaments dangereux pour toi…
…penses-tu sincèrement que ton attitude est respectueuse de mon expertise ?
A toi le patient qui insultes ma secrétaire parce mes « créneaux de rendez-vous sont trop longs », parce que je refuse de faire « un simple renouvellement d’ordonnance » par téléphone, parce que j’ai le culot de te faire venir en consultation pour équilibrer ce qui doit l’être dans ton intérêt ou « juste pour un certificat »,
…penses-tu sincèrement que ton agressivité soit légitime – en dehors du fait qu’elle soit pénalement répréhensible ?
A toi le patient qui boycottes mes internes ou mes remplaçants lorsque j’ai l’outrecuidance de ne pas être là, sans penser au mal que nous avons à maintenir les cabinets ouverts,
…qui te soignera lorsque nous aurons effectivement tous déserté ?
A toi le patient qui prends rendez-vous et ne daignes même pas l’annuler en cas d’imprévu alors qu’un simple clic suffit désormais,
…te sentiras-tu seulement un minimum coupable pour ceux qui auraient pu prendre ta place ?
Chers Patients, notre système de protection sociale brûle, notre Sécurité Sociale est en train de disparaître et vous regardez ailleurs. Vous nous regardez nous, « nantis de médecins », « ingrats corporatistes », « Divas capricieuses » « réfractaires au changement » et vous déplorez que « les médecins d’avant étaient mieux, vraiment ». Oui, eux, ils travaillaient 5 à 6 jours sur 7, eux ils étaient disponibles, joignables, corvéables à merci, eux ils avaient également la délicatesse de venir en visite à domicile à toute heure du jour et de la nuit pour soulager vos maux, fièvres et inquiétudes. Où sont-ils passés ceux-là ? Pourquoi ont-ils été remplacés par nous, jeunes médecins prétentieux qui exigent repos, droit à la déconnexion, vie de famille et vacances ?
Je vous invite à poser la question à vos élus, à tous ceux qui ont voté depuis 40 ans la politique de Santé. Où sont-ils « vos » médecins ? Ils sont à la retraite après avoir payé leurs 40 et quelques annuités, eux qui étaient trop nombreux dans les années 80 sont désormais au repos… ou tombés malades, dans l’indifférence générale… ou suicidés en silence, sous une pression colossale.
Hélas la lune de miel et les applaudissements n’ont pas duré
Qui les a remplacés ? Nous, jeune génération qui avons eu notre 1ère année au Numerus Clausus, au moment où Bercy décidait – déjà – que la Santé devrait être gouvernée par l’Argent et non par le Serment d’Hippocrate. Je fais partie de ceux qui ont eu leur concours d’entrée lorsque seulement 16% des inscrits en médecine étaient admis en seconde année, pour essayer d’enrayer le gouffre abyssal que formait alors le « Trou de la Sécu ». Économie après économie, réforme après réforme, la résilience des personnels a permis de redresser la barre tout en essayant de continuer à soigner mais à moindre coût – et tant pis pour le coût humain qui commençait, déjà, à faire fuir les soignants. Quarante années que l’hôpital public vacille, tangue, se noie, chancelle sous les coupures budgétaires, tenu par les seules vocations et dévouements de ses personnels. Plans Blancs. Fermetures de lits. Manques de matériels. Vous ne les entendez même plus ces mots dans vos journaux tant ils font désormais partie de votre quotidien.
Il aura fallu attendre la menace d’un virus inconnu pour éveiller les consciences et donner aux soignants les moyens dont ils avaient besoin pour soigner. Hélas la lune de miel et les applaudissements n’ont pas duré et trois années de pandémie ont aggravé les déserts médicaux : les soignants ne sont plus des héros, mais des professionnels de santé épuisés par le retour des...
D'accord, pas d'accord ?
Débattez-en avec vos confrères.