Faciliter "l'intégration des innovations à l’hôpital et chez les professionnels libéraux" : focus sur les tiers-lieux d'expérimentation
D’ici la fin de l’année et la dernière vague d’appel à projets, une trentaine de tiers-lieux d’expérimentation en santé numérique seront officiellement installés en France. Si ces structures commencent à se faire une place dans le monde de l’innovation en santé, cette notion reste tout de même floue pour une majorité de professionnels de santé. Décryptage.
Développer une solution numérique est un parcours long et fastidieux. Pourtant, la santé a besoin d’innovations pour optimiser l’accès aux soins et améliorer le confort de ses usagers. " L’une des difficultés rencontrées par les entrepreneurs, en particulier du numérique en santé, est de franchir les portes d’un hôpital, d’un Ehpad ou d’une autre structure, pour construire une solution avec les professionnels et les usagers. Mais aussi pour la tester en vie réelle, l’évaluer et avoir donc tous les éléments en main pour faire la preuve de son bénéfice et de son impact ", explique Elsa Creac’h, responsable de mission à l’Agence du numérique en santé (ANS), lors du congrès City Healthcare, le 3 octobre dernier à Nantes.
Entre 2022 et 2024, le ministère de la Santé, et plus particulièrement l’ANS, a lancé un appel à projets national en trois vagues, porté par la Banque des territoires, pour aider financièrement 30 tiers-lieux d’expérimentation en santé numérique à se lancer. Objectif : créer des équipes permettant de faire le lien entre des professionnels de santé, des start-ups et/ou entreprises, et des patients ou résidents. Le tiers-lieu d’expérimentation peut ainsi " aider les entreprises pour tester les solutions [auprès de professionnels de santé] et vérifier qu’elles ont un intérêt ", explique Bénédicte Simon, directrice recherche clinique et innovation au CHU de Brest, qui porte le tiers-lieu d’expérimentation W.INN.
Il a également pour objectif de faciliter " l’intégration des innovations à l’hôpital, dans le parcours de vie médico-social jusqu’au domicile et aux professionnels libéraux ", explique pour sa part Anne-Claude Lefebvre, directrice du CoWork‘HIT, qui porte Inh.Lab. " L’idée, c’est que ce soit un facilitateur pour qu’il y ait des solutions pour les professionnels de santé et pour que in fine les usagers soient mieux pris en charge ", ajoute Bénédicte Simon.
" Une coconstruction de la solution "
Pour les professionnels de santé, les tiers-lieux d’expérimentation sont l’occasion d'exprimer leurs besoins et les innovations qui pourraient leur être utiles. Côté entreprise, " c’est une coconstruction de la solution qui répond vraiment aux besoins de l’utilisateur. Et cela permet par conséquent à la start-up de développer une offre plus facilement commercialisable ", admet Bénédicte Simon. Il est aussi possible de se faire aider dans toutes les modalités scientifiques et administratives. " Pour une start-up, faire les tests d’usage, mobiliser des professionnels, faire un focus group ou une étude clinique avec les dépôts réglementaires, c’est assez rare, poursuit Anne-Claude Lefebvre. L’intérêt des tiers-lieux d’expérimentation, c’est aussi d’apporter une crédibilité neutre. Par exemple, quand un tiers-lieu montre l’intérêt d’une innovation, avec un rapport à l’appui et la satisfaction des professionnels, la solution a plus de poids. "
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Alors qu’une soixantaine de structures françaises répondent à la première vague d’appel à projet, seule une dizaine sont désignées lauréates. Parmi elles, la majorité est portée par des structures hospitalières comme des CHU. C’est le cas de W.INN, porté par le CHU de Brest. Même si Bénédicte Simon estime que ce tiers-lieu d'expérimentation est plutôt à tendance généraliste, c’est-à-dire qu’il suit des solutions avec des spécificités variées, il accompagne tout de même " des projets qui ont une connotation très hospitalière ". Il soutient par exemple " une technologie qui vise à faire une ventilation plus intelligente des patients en réanimation ".
D'autres, en revanche, ne sont pas portés par des centres hospitaliers. C'est le cas de Inh.Lab, lancé en 2023, et porté par le CoWork’HIT, " un centre d’innovation sur le handicap et la perte d’autonomie, créé il y a trois ans dans le cadre du plan d’investissement France 2030 ", détaille Anne-Claude Lefebvre. " On est très proche de Kerpape [un centre de séjour et de soins pour personnes en situation de handicap, NDLR] et des fondations Saint-Hélier et Ildys [qui proposent des parcours de réadaptation et de soin]. On s’est tout de suite dit : ‘Cet appel à projets, c’est pour nous’ et on a été lauréat de la première vague ", confie la directrice. En plus de ces trois établissements, le tiers-lieu d’expérimentation se compose également de CoWork’HIT et BioTech santé Bretagne. " Avec nos cinq partenaires, on partage les mêmes valeurs : faire aboutir des innovations en réponses aux besoins sur le handicap ", ajoute Anne-Claude Lefebvre.
Consortium
Si un tiers-lieu est une organisation reliant plusieurs partenaires différents, à quoi cela ressemble en pratique ? " C’est vrai qu’en disant ‘tiers-lieu’, on imagine un lieu physique. En réalité, nous n’en avons pas. La plupart, comme Inh.Lab, ce sont des consortiums ", explique Anne-Claude Lefebvre. En revanche, du côté de W.INN, il existe bien un lieu physique au sein du CHU de Brest. " Il est installé dans une petite maison où on faisait les vaccinations contre le Covid. On l'a réhabilitée par la suite pour accueillir le site du tiers-lieu. Il y a un grand hall d’accueil, des salles de réunion, quelques bureaux pour notre équipe et qui permettent aussi d’accueillir les start-ups quand elles se lancent ", explique Bénédicte Simon. Car en mettant ses locaux à disposition, le tiers-lieu peut déjà aider une start-up, qui " peut y convier les banques, placer des kakemonos dans le hall d’accueil… Ça permet tout de suite de donner une bonne image. "
Mais toutes les start-ups n’utilisent pas ces locaux. Et pour cause, W.INN accompagne " une trentaine de sociétés " avec " des relations très variables ". Parfois, une même entreprise peut travailler avec plusieurs tiers-lieux selon les champs d’action sur lesquels repose l’innovation. " Il y a aussi des start-up qui nous ont sollicités mais de loin ", poursuit-elle. Mais pour pouvoir être accompagné par W.INN, le projet doit avoir " un haut niveau d’intérêt pour nos équipes ", indique Bénédicte Simon. Au sein du tiers-lieu d'expérimentation, un staff hebdomadaire a été organisé avec " deux médecins et deux paramédicaux " qui doivent trancher si l’innovation est " vraiment intéressante " pour le CHU ou contacter un médecin de l’hôpital pour avis.
INH.Lab, pour sa part, suit entre 5 et 6 projets à l’année. " On visait une dizaine de projets par an, on n’est pas encore dans notre rythme de croisière, mais l’idée, c’est d’augmenter ", reconnaît Anne-Claude Lefebvre. Comme pour W.INN, trois d’entre eux ont bénéficié du deuxième volet de l’appel à projet national, qui doit financer une centaine de projets portés par des tiers-lieux d'expérimentation. " Ce financement est donné aux porteurs de projet qui vont ensuite solliciter les tiers-lieux. Dans notre cas, nos trois projets déjà retenus sont portés par des entreprises qui vont mener une étude clinique avec nous ", précise-t-elle. Parmi ces projets, se trouvent Kaligo+, de l’entreprise Learn and Go, qui accompagne l’apprentissage de l’écriture pour des enfants en difficulté, ou encore Autonome de Neuradom, qui concerne le télésoin et la télérééducation après un accident de vie.
" Partager les résultats "
" Les tiers-lieux d'expérimentation ont aussi pour mission de partager les résultats des expérimentations qu’ils ont menées ", ajoute Elsa Creac’h. Ainsi, ces structures communiquent " via des publications scientifiques, quand il y a eu une étude clinique réalisée ", indique Anne-Claude Lefebvre. Au sein du CoWork’HIT, elle a également mis en place des " petits-déjeuners de l’innovation " : " On les ouvre aux professionnels libéraux qui peuvent venir tester les solutions. On peut même faire des formations dédiées pour montrer l’intérêt d’une innovation ".
Pour l’heure, les tiers-lieux d'expérimentation sont aidés financièrement par l’Etat de manière " dégressive ", d’abord à hauteur de 50% jusqu’en 2026. Mais il leur faudra, ensuite, trouver leur propre modèle économique, notamment en accompagnant plusieurs projets en même temps, afin de pérenniser cette activité.
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